Michel par Petrucciani, épisode 10
Michel Petrucciani nous a quittés le 6 janvier 1999. Chaque jour jusqu’au 25 janvier, date de la sortie du nouveau numéro de Jazz Magazine dont il fera la Une, retrouvez en vingt épisodes la vie incroyable de ce pianiste hors norme, telle qu’il l’avait racontée à Fred Goaty à l’été 1998.
« En mai 1982, j’ai enregistré “Toot Sweet” en duo avec le saxophoniste alto Lee Konitz. C’est marrant, je ne me souviens pas du tout de la séance. Mais le disque n’est pas mal, il y a un climat. Konitz apporte une couleur, une saveur très particulière. C’était une idée de Jean- Jacques. Moi, j’ai fait ce que j’ai pu derrière, et voilà. Pussiau m’avait dit : « J’aime beaucoup Lee et je t’entends bien jouer avec lui. Est-ce que tu aimerais ça ? » Tu parles ! J’étais vachement fier. Enregistrer avec Konitz ! J’ai cru qu’il ne voudrait pas, mais il a dit d’accord. Deux mois plus tard, j’ai enquatregistré pour la première fois avec Charles Lloyd lors du festival de Montreux. Sur le recto de la pochette, il y a une photo : à cette époque je ne marchais pas tout seul, ma femme me portait – Charles aussi – pour m’amener sur scène. Je pesais 25 kilos, aujourd’hui j’en fais 41, je suis trop gros ! Ma femme, une indienne navajo, je l’avais épousée là-bas. On s’est mariés un peu comme dans le film Green Card avec Gérard Depardieu : on a flirté, on sortait beaucoup, et je lui ai demandé, car je l’aimais vraiment, si elle voulait m’épouser. Elle a dit non. Je lui ai dit : « Epouse-moi, sinon je n’aurai pas la carte verte et je serai dans la merde… » Elle a fini par accepter, et nous nous sommes mariés à toute vitesse, avec juste deux témoins, sans cérémonie ni rien. Nous sommes restés ensemble cinq ans… Elle s’appelait Erlinda Montaño. En 1982, je tournais surtout avec Charles Lloyd. Son batteur, Son Ship Theus, était un géant. Je jouais un peu au directeur musical avec Charles : c’est moi qui l’ai forcé, par exemple, à jouer Very Early de Bill Evans, qui ne faisait pas partie de son répertoire. Je lui ai fait travailler six mois ce morceau – il n’arrivait pas à mettre les accords en place. Six mois jusqu’à ce qu’il arrive à le jouer. Il le trouvait bien, mais il disait qu’il préférait jouer modal. Par la suite, j’ai habité à côté de chez lui. Avec sa femme, c’était un peu ma famille. J’ai fait entrer dans le groupe Palle Danielsson, car Charles avait toujours des bassistes qui jouaient faux. Je lui ai dit qu’il fallait absolument en changer, sinon j’allais me casser. J’ai rencontré Palle lors d’un dîner avec Geneviève Peyrègne et Aldo. Palle m’a laissé ses coordonnées et j’ai annoncé à Charles qu’il y avait un contrebassiste qu’il fallait absolument engager. Son nom ne lui disait rien… Je lui ai répondu qu’il avait joué avec Keith Jarrett – je m’étais intéressé à la carrière de Jarrett quand j’ai su que je lui avais en quelque sorte succédé auprès de Charles. Je lui ai fait écouter leur disque, il a trouvé ça super et j’ai appelé Palle… » (À suivre.)