Michel par Petrucciani, épisode 3
Michel Petrucciani nous a quittés le 6 janvier 1999. Chaque jour jusqu’au 25 janvier, date de la sortie du nouveau numéro de Jazz Magazine dont il fera la Une, retrouvez en vingt épisodes la vie incroyable de ce pianiste hors norme, telle qu’il l’avait racontée à Fred Goaty à l’été 1998.
« Je n’avais pas la moindre ambition de devenir quoi que ce soit. J’étais à la maison, je jouais, j’étais bien. Mon père et ma mère étaient très protecteurs, je ne sortais pas beaucoup. À Montélimar, rue Pierre Julien, ils avaient ouvert un magasin de musique, Special Music. Je réparais les cassettes des types qui les avaient coincées dans leur autoradio. Je les ouvrais, je rafistolais tout ça… Je réparais aussi les postes de radio, j’accordais les guitares, faisais la démonstration des orgues pour les clients. « Michel ! Viens jouer pour le monsieur ! » J’ai entendu ça toute ma jeunesse… Dès que quelqu’un débarquait à la maison, je le sentais venir, et je me planquais en me disant que j’allais y avoir droit. Ça ne me plaisait pas de montrer que je jouais, mais beaucoup de parents ont cette attitude. Je me rappellerai toujours la voix de mon père criant « Michel ! » Finalement, quand j’y repense, je n’ai pas eu une enfance tellement heureuse. D’hôpital en hôpital, de jambes en bras cassés, de plaques en plâtres, de rêves en choses oubliées… Au début des années 1970, j’ai participé à mes premiers concerts, des bals. On jouait des tangos, des paso-doble, du Christophe (Aline, Les mots bleus)… Je n’oublierai pas mon premier cachet : une orange, que m’avait donnée mon père. J’étais très fier ! A l’époque, je jouais de la batterie. Comme je faisais des études classiques, je n’avais pas vraiment le droit de jouer du jazz – ou autre chose – au piano, ma mère ne voulait pas, elle insistait pour que je ne joue que du classique. Donc, mon père a eu la bonne idée de me mettre à la batterie. Il en avait assemblé une petite, à ma taille, ce qui me permettait en plus de me muscler les jambes. C’était à la fois une thérapie d’ostéopathe et un moyen de m’éclater en jouant du jazz avec mes frères et mon père. Beaucoup de pianistes jouent aussi de la batterie : Keith Jarrett en joue très bien, Corea aussi. Et Jack DeJohnette, lui, joue très bien du piano ! Moi, je joue un peu de guitare, de la basse, et un peu de saxophone soprano… Pas étonnant : dans le magasin d’instruments de mes parents, je touchais à tout… Mais je connais surtout la batterie et la guitare. Comme je jouais toujours avec mon père, j’avais l’impression de participer à un vrai concert seulement quand il n’était pas là, et quand je jouais avec d’autres musiciens. Dès qu’il était là, j’étais en famille, en sécurité, comme si on était à la maison. Avec d’autres musiciens, plus question d’amour ou de famille, si je faisais une bêtise, il fallait assurer… »
(À suivre.)