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Publié le 24 Mar 2025

Pau: Chucho pianoforte

Chucho Valdes (p), Armando Gola (b), Horacio « El Negro » Hernandez (dm), Roberto Vizcaino Jr (percu

Jazz à Pau, Le Foirail, Pau (64 000), 21,  22 mars

Quatre vingt quatre ans, plus d’une cinquantaine d’années de carrière à travers le monde, une ribambelle de Grammys dont un honorifique célébrant sa carrière, Chucho Valdes n’a plus rien à prouver. Pourtant de ses mains immenses déployées sur le clavier du piano il continue à jouer. À visiblement prendre du plaisir à ce faire, à en donner également, à commencer à l’adresse de  ses musiciens eu égard aux sourires déployés sur leurs visages en ce concert palois offert en double face au pays de premier ministre comme à l’occasion d’autres, on en témoigne, antérieurement visités. Une stature de géant débonnaire, un regard toujours malicieux: à la loterie de concerts enchainés le pianiste cubain né bien avant la révolution castriste, sur scène se montre d’évidence soucieux encore et toujours de déclencher quelque effet de lots surprises. 

Ainsi part-il  in petto de quelques couplets et mesures teintés d’écho directement afro-cubains pour enchainer en formule trio jazz (les percus restants alors quelque peu en dedans) sur du ternaire plein swing. Juste le temps que cette musique s’installe dans les têtes. Pour mieux rebondir en retour sur des schémas de Cuba toujours, fort de la clef du coffre recélant les présents typiques des richesses de la musique de  l’île, ce tempo immuable dit de la « clave » que Roberto Vizcaino Jr se fait un plaisir de dicter de la main et du pied à l’aide d’une petite pédale spéciale…Chucho -il fait partie de ces personnages d’une telle renommée qu’on les désigne de leur seul prénom-  doigts sur le clavier, d’un mouvement de tête et de quelques regards jetés vers ses copilotes conduit ainsi sa machine à tempo variable. Mais produit sûr, certain et tout en maîtrise.

Roberto Vizcaíno Jr

Dans une histoire pianistique personnelle très fournie, du classique à la chanson en passant par les différentes périodes du jazz, le musicien de la Havane en passe toujours par des ingrédients de Cuba. Cet ancrage il tient systématiquement à l’expliquer à son auditoire « Là nous allons vous faire découvrir un style de d’une région de chez nous baptisé Punto Guajiro. Mais cette composition issue de notre histoire je l’ai modernisée bien entendu » Là, tout de suite, on sent qu’il joue au sens littéral du terme. D’une substance musicale modelée par la tradition hispano caribéenne, il déjoue de possibles pièges de facilité qu’il se plait à créer lui même. Ludique, quelque peu espiègle il en sourit, s’en amuse pour mieux vampiriser son piano. Sans jamais oublier de flatter la ( ou les) mélodie(s) de base. Certains dans ces jeux de passe passe pourraient déceler le seul artifice d’une virtuosité gratuite. Voire de simples gimmicks racoleurs. Ce serait mal connaître le personnage. Son exigence, son sens du défi.…

Armando Gola

Et ignorer la richesse du parcours. Témoin si besoin était l’hommage en toute fidélité au jeu (festival d’accords sur toute l’étendue du clavier) de Chick Corea valorisé par ses complices à coup de plans croisés, appuyés de percussions (le jeu de batterie complexe, riche de Horacio Hernadez en particulier, lequel avait d’ailleurs eu l’occasion de se produire aux côtés du pianiste américain disparu) De quoi flatter la part de latinité de thèmes comme Spain ou Armando’s Rumba  lesquels avaient séduit en leur temps Al Dimeola ou Paco de Lucia. Revenir au génie de Mozart également. Mais à sa façon comme l’explique, pince sas rire,  Chucho à sa façon « À l’âge de huit ans mon père Bebo me faisait travailler sur les partitions de ses sonates. Plus tard j’ai rêvé d’un Mozart made in Cuba. On l’aurait attiré avec des mojitos et des photos de belles femmes cubaines…» Du coup son Mozart a la Cubana part bien d’un début de sonate…pour se voir rapidement métissé de couleurs et rythmes façon coups de cloches et autre caresses de guiro ou frappes de congas. Pour se trouver même singulièrement bigarré d’une citation flash du Boléro de Ravel. 

Chucho

Une longue pièce (Tatomania) chargée d’échanges prolongés basse-percussions congas et tambours conjugués surtout lancés de pair en roulements infinis. Puis « un tango hybride…comme les voitures d’aujourd’hui. Celui là je l’ai composé pour mon épouse Lorena » Le piano explose alors au long d’explorations séquentielles à coups de rafales d’accords frappés des deux mains. Petit à petit le pianiste cubain transforme cette forme de tango en un bien bon joli morceau de jazz. Support rythmique privilégié alors, Horacio « El Negro » Hernandez y ajoute un numéro de batterie top niveau.

Horacio “El Negro” Hernández

En guise de coda dessert, Chucho sert une superbe intro mode piano solo, savoir faire question toucher, brio dans le rendu improvisé,  manière forte d’expressionnisme  que n’aurait pas reniée…un Martial Solal.

Question piano, ce Chucho Valdes a de la ressource.

Robert Latxague