Pedro Kouyaté : “ Dans mes chansons, il y a du souffle ”
À l’occasion de la sortie de son nouveau CD “Following” et avant son concert le 15 novembre au Studio de L’Ermitage, Pedro Kouyaté a répondu à mes questions, inspirées par les grands entretiens que menait Jean-Louis Ginibre dans Jazz Magazine dans les années 1960, notamment avec l’un des héros de Pedro, Bill Evans. Au micro : Edouard Rencker
Pedro Kouyaté, quelle musique écoutiez-vous enfant ?
Mon père travaillait à la radio du Soudan, devenu le Mali. En Afrique, pour les pouvoirs publics comme pour la population, la radio est le média majeur, les yeux du peuple. Donc j’écoutais tout, et tous les disques que me ramenait mon père : beaucoup de musique française, Charles Trenet, mais aussi Johnny Halliday, Sylvie Vartan, de la pop anglaise plus, forcément, de la musique malienne : Ballaké Sissoko, Ali Farka Touré…
Quelles sont vos principales inspirations ?
L’inspiration majeure pour moi est venue des instruments et des sons qui, justement, n’étaient pas maliens. Le saxophone, la trompette, le cornet, le piano, puis les synthés. Donc, j’ai beaucoup écouté Miles Davis, Bill Evans, puis Stevie Wonder, qui fut une véritable révélation avec tous ses sons électroniques. Mes influences étaient également visuelles : les photos incroyables de tous ces artistes me fascinaient. Je posais comme les musiciens sur les pochettes des vinyles, je mimais Miles, Coltrane… Dans mes chansons, il y a du souffle. C’est un hommage à Miles Davis. Mon père aussi jouait du saxophone. Ca m’a beaucoup influencé.
Pour vous, un concert réussi c’est quoi ?
Ça ne tient pas à grand-chose : c’est un concert où tu donnes dans la sincérité, tout ce que tu peux donner, sans retenue, sans attendre en retour. Tu partages. Et là, je suis heureux.
Pensez-vous témoigner de votre époque, notamment avec votre titre Sage-Femme ?
Je pense que la liberté appartient aux libres penseurs, aux conteurs, aux philosophes, aux écrivains, aux narrateurs. Moi, j’ai simplement un droit de regard. Le musicien à un droit de regard sur la société, sur son époque. Le titre Sage-Femme, c’est un jeu de mot destiné à saluer et remercier nos sœurs, nos mères, nos amies. L’humanité entière est née des mères, qui nous ont conçu, porté, enfanté. Merci à elles. C’est un vrai sujet de méditation pour tout le monde. Et je remercie spécifiquement ma mère qui m’a porté, protégé et élevé. Ce titre est un moment de paix consacré aux femmes.
Croyez-vous en une puissance supérieure ?
C’est une question très importante. Oui, je crois. Je ne suis qu’un “petit” élément constitutif d’un grand univers mais, néanmoins, la preuve de l’existence de l’homme sur terre. Pourquoi suis-je sur terre ? Pour quoi faire ? Dans quel but ? Ces sujets sont toujours complexes. J’ai souvent fait des appels… à l’univers, et on m’a souvent répondu. Je crois à la présence d’une force supérieure. Je ne sais pas où elle est, mais elle existe, j’en suis certain.
Lisez-vous beaucoup ?
Je lis, mais est-ce beaucoup ? Quand on aime, on ne compte pas. On lit pour voyager, pour apprendre, pour combler le manque, pour se rassurer, pour rire, pour se sauver, pour ne pas sombrer. Lire pour avoir une béquille. La lecture est une sorte de façon de cultiver son jardin secret. Ça participe également de l’apprentissage, et apprendre est une sorte d’humilité. Tu apprends ce que tu ne sais pas. C’est une leçon. Il y a également la part de l’autre dans la lecture. C’est pourquoi, il faut réserver des espaces spécifiques pour lire. Quand je lis, mon cœur bat autrement. J’aime lire
Avez-vous peur de vieillir ?
Pas du tout. C’est très intéressant de vieillir. D’ailleurs, chez nous on ne dit pas vieillir mais mûrir ! Le patriarche, le vieux n’existe pas dans la tête d’un Africain : on ne vieillit pas, on devient sage. La vie n’est que transformation. Un bébé dans le ventre de sa mère se transforme tous les jours. C’est pareil par la suite. L’homme se transforme tous les jours. D’ailleurs, on devrait fêter son anniversaire tous les jours. Je passe ainsi sur la rivière de la vie. Avec mon âge, la question est de plus en plus intéressante. La vie est un fleuve. Ce qui est passionnant, c’est la capacité de s’adapter, de suivre ce le courant. On ne peut pas vivre avec tout le malheur du monde sur le dos. Il faut avancer. Tous les grands artistes ont été des passeurs et ont accompagné, comme ils le pouvaient, la vie : Picasso, Bernard Buffet… Les grands acteurs Lino Ventura, Jean Gabin, François Truffaut tous ont été de grands amoureux de la vie. La vie c’est l’eau, la terre, le feu.
Pedro Kouyaté en concert le 15 novembre au Studio de l’Ermitage, et bientôt beaucoup d’autres dates à découvrir ici !