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Publié le 14 Déc 2023

Pierre Durand : « Je reste fidèle au blues »

Quelques jours avant le concert de sortie de son nouvel album, le 20 décembre au Studio de l’Ermitage à Paris, Pierre Durant est revenu pour Jazz Magazine sur la genèse de “Chapter III – The End & The Beginning”. Et, surtout, sur son amour et sa vision de la musique.

Propos recueillis par Félix Marciano / photo : XDR (pierredurandmusic.com)

Vos albums personnels sont tous numérotés : c’est une série ?

En effet, c’est bien une histoire que je raconte, avec un début et une fin. Pour autant, il n’y a pas d’ordre imposé pour les écouter. C’est simplement une suite qui devrait compter sept chapitres, peut-être huit. Chaque album propose ainsi un angle de lecture du jazz. Car, pour moi, le jazz n’est pas un style : c’est un état d’esprit. Même s’il a des racines africaines, on peut y mélanger tous les genres musicaux en y incorporant une part d’improvisation. Le premier album était le solo, une forme essentielle en jazz, tourné vers l’introspection. Le deuxième reposait sur le quartette, une autre forme classique, avec sax, guitare, contrebasse et batterie. Mais j’ai essayé d’apporter ma vision, mon regard, en mélangeant des esthétiques très différentes, issues de musiques traditionnelles irlandaise ; malienne, mexicaine ou mauritanienne, mais aussi du blues. Et dans “Chapter III – The End & The Beginning”, le troisième disque, j’ai essayé de donner une lecture jazz d’un son pop-rock.

Vous parlez de lecture et de chapitres : ce sont plutôt des notions littéraire…

J’ai un rapport très fort à la littérature. En fait, j’ai lu plus de livres que je n’ai écouté de disques. Et j’en écoute beaucoup ! Le premier titre du deuxième album est même une composition directement inspirée par Dans la brume électrique avec les morts confédérés, le roman de James Lee Burke, que j’ai lu au début des années 2000. C’est d’ailleurs après avoir lu ce livre que j’ai décidé d’aller enregistrer mon premier album à La Nouvelle Orléans. Et c’est aussi en référence à la littérature que je mets des citations dans les livrets de mes disques.

Vous parlez des sept chapitres : vous savez déjà quelle sera la couleur des prochains ?

Oui. J’en ai une idée claire. Mais c’est un travail de longue haleine. Car j’essaye à chaque fois de proposer une vision personnelle, différente de ce qui existe déjà. Je dois à chaque fois trouver un nouvel angle, une nouvelle vision. Et je tiens à faire vivre les albums sur scène, avec des concerts, avant même d’enregistrer. Tout cela prend du temps. Épisode Covid mis à part, chaque disque m’a demandé quatre ans de préparation, de gestation, de réalisation : j’espère aller plus vite pour les suivants. Mais je suis plutôt un marathonien qu’un sprinter !

Découvrez la chronique 4 étoiles du nouvel album de Pierre Durand dans notre N°766

Vous avez d’ailleurs attendu longtemps avant de réaliser un premier album sous votre nom….

Absolument ! Déjà, je me suis mis très tard au jazz : je n’aimais pas cette musique, et c’est seulement vers 18 ans que j’ai commencé à l’apprécier. Et c’est même à 21 ans que j’ai compris que ma vie était dans la musique, et pas dans les études générales que j’avais entamées et qui m’ennuyaient profondément. C’était vital. C’est à ce moment que je suis allé à l’American School, à Paris, avant d’entrer au CNSM. C’est seulement après avoir obtenu mon prix de conservatoire, en 2003, que j’ai réellement commencé à travailler comme musicien professionnel, un peu avant mes 30 ans. Mais cela m’a laissé le temps de mûrir ma réflexion, et de savoir ce que je voulais vraiment faire dans cette voie.

Le jazz est par nature une musique protéiforme. Passer d’un univers à un autre me permet de ne pas ronronner et d’apprendre toujours des choses.

Cette passion pour la musique remontait à quand ?

A mon enfance. En fait, dès mes 5 ans, j’étais déjà attiré, fasciné par la guitare. Mon premier choc provient de Atahualpa Yupanqui, un chanteur-guitariste argentin. J’étais complètement sous le charme de cet “ailleurs”, de ce que sa musique véhiculait. Je me souviens également d’un autre moment très fort en famille, à la même époque, chez ma tante qui vivait en Algérie avec son compagnon, Ahmid, jouant de la guitare dans le jardin, à la nuit tombée. C’était magique… Mes parents ont vite compris mon intérêt pour la musique et j’ai commencé à prendre des cours avec un prof un peu particulier : un disquaire, ancien accordéoniste, qui enseignait à la dure dans son arrière-boutique, en me forçant à apprendre le solfège et à jouer en droitier alors que je suis gaucher. J’étais frustré au début, mais avec le recul, je lui en suis vraiment reconnaissant.

Pourquoi ?

J’ai une très mauvaise main droite. Même en travaillant beaucoup, je suis incapable de faire des allers-retours propres et rapides comme certains guitaristes. J’ai donc développé un jeu plus legato à la main gauche, en alternant les notes attaquées et les notes liées, comme des consonnes et des voyelles.

Vous avez aussi suivi des cours au conservatoire…

Oui, notamment avec Philippe Lombardo, à qui je dois énormément. Le répertoire classique, qui était le seul enseigné au conservatoire, commençait à m’ennuyer, surtout quand j’ai commencé à écouter les guitaristes de rock comme Chuck Berry, Gene Vincent, Bill Halley ou Little Richard dont je suis vite devenu fan. Et c’est ce prof qui m’a fait comprendre ce que j’aimais profondément dans leur musique, en me jouant du blues : ça m’a bouleversé. Une révélation ! Et je me suis plongé dans cette musique, c’était viscéral. Ce qui m’impressionnait, qui me touchait le plus, c’était cette possibilité de dire autant de choses avec très peu de notes. Et c’est ce qui m’a progressivement entraîné vers le jazz, que je trouvais très compliqué et trop démonstratif au départ. J’ai commencé à l’apprécier avec Wayne Shorter, Count Basie et Archie Shepp chez qui j’ai retrouvé cet esprit minimaliste et ce groove implacable. Et même si j’ai depuis étudié beaucoup d’autres styles que j’adore, je reste fidèle au blues. C’est ma “maison”, mes racines. La mode passe, le blues reste !

Des racines qui ne vous ont pas empêché de vous impliquer dans toutes sortes de musiques en jouant avec une multitude d’artistes, de Greg Zlap à Daniel Humair en passant par Amina Claudine Myers, Henri Texier, Daniel Zimmermann, Airelle Besson, Joce Mienniel, Anne Paceo, Raphaël Imbert et beaucoup d’autres. Vous n’avez pas peur de vous perdre entre tous ces univers ?

J’ai aussi beaucoup joué au Caveau de la Huchette [le temple parisien du jazz traditionnel, NDR], avec une équipe formidable. Et j’ai adoré ! Car cette musique dansante remet les pendules à l’heure. Elle groove terriblement et elle autorise plein d’expérimentations. Il m’est même arrivé de jouer totalement out, et de réharmoniser des grilles en temps réel. Tout est possible, tant que l’on respecte le groove et le son. C’est qui fait que cette musique ne sent pas la naphtaline ! Mais oui, je suis curieux de nature et j’aime mélanger les genres. Le jazz est par nature une musique protéiforme. Passer d’un univers à un autre me permet de ne pas ronronner et d’apprendre toujours des choses. Et même si c’est imparfait, j’essaye toujours de m’imprégner de chaque style, de chaque culture. Tant pis s’il y a des “pains”, l’essentiel, c’est de respecter l’esprit. A titre personnel, je privilégie toujours le fond à la forme.

C’est aussi ce que vous avez fait dans “Chapter III – The End & The Beginning” ? Comment avez-vous construit ce projet, et choisi les musiciens qui vous accompagnent ?

Comme à chaque fois, j’ai essayé de trouver un angle d’attaque original, qui représente ma vision. Ce n’était pas simple dans le cas de ce projet, car il y a déjà des dizaines d’excellents albums de jazz dans l’esprit pop-rock. J’avais déjà des idées de compositions, mais pas la couleur générale, ni l’esprit. Et c’est lors d’une balance, avant un concert avec Daniel Zimmermann que tout s’est déclenché. Jérôme [Regard], qui est très connu pour son jeu à la contrebasse, joue de la basse électrique dans ce groupe. Et il en joue incroyablement bien, pas comme un contrebassiste qui transpose son jeu, mais comme un vrai bassiste électrique, avec des effets. Et c’est en improvisant avec lui, pendant les réglages de son, que l’esprit de l’album m’est apparu, comme une évidence. C’est aussi lui qui m’a présenté le batteur, Marc Michel. Il était parfait, à la fois nerveux, terrien, toujours à l’écoute des autres. Pour compléter l’ensemble, car je ne voulais pas d’un énième trio, je cherchais un pianiste jouant des synthés et, surtout, du Vocoder, pour apporter une touche vocale et organique aux mélodies, mais sans chanteur, car je tenais à faire une musique instrumentale. Et c’est l’ingénieur du son qui m’a parlé de Fred Escoffier. Un conseil judicieux car c’était exactement le claviériste dont je rêvais ! Un vrai musicien tout-terrain. Il connaît le jazz, la pop, le rock, il sait improviser, et il adore David Bowie, comme moi ! Je voulais aussi éviter le côté groupe de jazz-rock fusion, avec une musique trop “propre”, car j’aime que l’on puisse partir instantanément dans n’importe quelle direction, tous ensemble, sans préméditation, à l’instinct. Et Fred est exactement dans cet état d’esprit, comme les autres. Tout a collé immédiatement entre nous, dès la première répétition. J’ai ensuite beaucoup travaillé sur les compositions, pour les affiner, les rendre plus “justes”, plus cohérentes, quitte à tout changer d’une fois sur l’autre. Surtout, nous avons eu la chance de faire rapidement une résidence et plusieurs concerts, pour faire vivre ce répertoire et l’améliorer avant d’entrer en studio pour enregistrer l’album. C’est ce qui nous a permis de prendre des risques, d’aller plus loin encore dans l’interaction. Et c’est cette cohésion, cet esprit, cette fraîcheur que je compte bien retrouver pour notre concert au Studio de l’Ermitage !

Concert : le 20 décembre au Studio de l’Ermitage à Paris

Avec :

Pierre Durand (guitare, compositions)

Fred Escoffier (synthé, claviers, vocoder)

Jérôme Regard (basse électrique)

Marc Michel (batterie)