So Lieb Quartet, plus qu’une promesse
Des cinq propositions du festival JazzContreBand hier 19 octobre, mon choix s’est porté vers l’inconnu, un nom mystérieux, “So Lieb”, pour un quartette porté par un tandem de compositeurs : la trompettiste Sonja Ott et le batteur Philipp Leibundgut. Très belle découverte.
La trentaine entamée, sauf pour la trompettiste qui y accédera l’an prochain, ils entrent sur la scène du Sud des Alpes à Genève, résidence historique de la non moins historique AMR (Association pour encouragement de la musique), devant un public plutôt jeune . Ils viennent de Suisse allemande, les deux co-leaders ayant grandi à Berne. Le pianiste François Lana est français passé par Bruxelles, Lausanne et Zürich. Rafaël Jerjen a étudié la contrebasse en Australie, à New York avant de revenir en Suisse où il est basé à Lucerne. Un disque enregistré en janvier dernier sur NeuKlang (“Partial Lunar Eclipse”), trois concerts à leur actif avec un premier bassiste, Rafaël Jerjen faisant hier ses débuts au sein du groupe.
En guise d’ouverture, Sonja Ott donne le ton d’une trompette évoquant plus les pastels de Booker Little ou Kenny Wheeler que les gouaches de Dizzy ou Clifford. Encore que la métaphore du pastel puisse induire en erreur, lorsqu’il faudrait aussi signaler l’angularité des phrases et leurs embardées soudaines vers la stratosphère. À quoi rêvent les jeunes gens ? Peut-être plus aujourd’hui à leurs aînés directs : Ambrose Akinmusire ? Avishai Cohen ? Miles Davis quand même, directement ou indirectement mais surement, celui des années 1966-1967 avec le piano d’Herbie Hancock.
Peu importe, l’onirisme des vols planés nous saisit. Il y a là d’emblée un imaginaire qui ne demande qu’à se déployer. Lorsqu’entre la batterie, saisissante de décontraction et d’élégance, on comprend d’emblée qui tient la plume, dans un travail de composition partagé, sans redondance, mais avec ce sentiment de lire à partition ouverte rien qu’en observant Philipp Leibundgut distribuer et négocier ses coups, choisir ses angles de frappes et les peaux ou cymbales auxquelles il les destine.
Le pianiste François Lana est moins salué pour ses performances de soliste que pour sa contribution attentionnée au récit de chaque pièce. À écouter son album en trio sur Leo Records (“Cathédrale”), on imagine que le quartette n’a pas exploité tout son potentiel et qu’il y a là quelques liens qui ne tarderont pas à se débrider. En revanche, Rafaël Jerjen crève d’autant plus l’écran, que c’est son premier concert avec le groupe. Virtuosité et imagination jubilatoire tirent moins la couverture qu’elles ne s’exercent en constante complicité avec les constructions musicales du batteur. Tout ça coulé dans un son d’orchestre admirablement équilibré (merci au sonorisateur du lieu pour son respect de la nature acoustique de la formation) au service de rêveries que laissent deviner les titres de leur répertoire tels qu’assemblés dans la pochette de “Partial Lunar Eclipse” sous la forme de deux petits poèmes en prose. Franck Bergerot (photos © X.Deher)