Le coffret “1976” regroupe deux albums cultes de Thin Lizzy, “Jailbreak” et “Johnny The Fox”. Cinq CD et un blu-ray pour revivre la période dorée du groupe de Phil Lynott
Par
Fred Goaty

Sur scène, Phil Lynott et sa bande étaient des hard-rockers. En studio, c’était une autre affaire, moins énergique peut-être, mais plus nuancée. Au grand dam, d’ailleurs, des deux axemen de la célèbre frontline de guitares de Thin Lizzy, l’Américain Scott Gorham et l’Écossais Brian Robertson, qui ont toujours estimé que leur groupe était bien trop sage sur disque. Depuis que “Jailbreak” et “Johnny The Fox” bénéficient du traitement “Deluxe” (une première fois en 2011, la seconde cette année), tout est donc fait pour tenter de rétablir sinon la vérité, du moins leur vérité : le son de Thin Lizzy doit être virilisé pour mieux refléter la vraie personnalité du groupe. Voilà pourquoi ces deux albums figurent dans ce nouveau coffret en “New Stereo Mix”, supervisés par Scott Gorham. Mais qu’on se rassure : les mixages originaux sont bien présents, ainsi que les outtakes et versions live (à la BBC ou à Cleveland) de rigueur, sans oublier, sur le blu-ray, le nouveau mix préféré des audiophiles : l’Atmos Mix.

La scène… Le studio… Et à la maison, il écoutait quoi Phil Lynott ? Du rock, du folk irlandais, du reggae, du jazz… Sa culture musicale n’avait pas de frontières, comme en témoignent “Solo In Soho” (1980) et “The Philip Lynott Album” (1982), ses deux albums persos que certains fans de Thin Lizzy – fort heureusement minoritaires… – n’ont jamais réussi à aimer, ces ballots. [Petit message amicalo-professionnel à Mercury Records et Universal Music Recordings : le coffret Phil Lynott avec ses deux opus solo et moult inédits, c’est quand vous voulez .]

En 1976, Phil Lynott, persuadé qu’avec “Jailbreak” il tenait enfin le hit album qui allait permettre à son groupe de conquérir l’Amérique, était remonté comme jamais et prêt à en découdre avec nul autre que Ritchie Blackmore et son Rainbow, alors au sommet de sa gloire – une tournée US avait été montée, et Phil, avant qu’elle ne commence, avait allumé son compatriote au Rainbow Bar And Grill de Los Angeles, lui promettant que son Liz’ allait manger tout cru son groupe arc-en-ciel, dont le Liz’ faisait la première partie. John Bonham, présent ce soir-là, était plié en quatre. Blackmore un peu moins. (Pourtant, Lynott et Blackmore étaient amis, et avaient même fomenté l’idée de former un groupe ensemble, Baby Face : des bandes existent, avec Ian Paice à la batterie, elles n’ont jamais parues.)
Le rêve américain de Phil Lynott tourna cependant vite au cauchemar puisqu’il contracta une hépatite C au tout début de la tournée, qui fut annulée aussi sec.

De retour à la maison, forcé de prendre du repos, Phil Lynott commença d’écrire de nouvelles chansons. Ça tombait bien : le management et la maison de disques voulait capitaliser sans attendre sur le succès de “Jailbreak”. Et comme notre (jeune) homme était plus inspiré que jamais, de nouveaux classiques lui tombèrent des mains, magnifiés par un groupe au sommet de son art, qui enregistra donc dans la foulée “Johnny The Fox”, toujours sous la supervision du producteur John Alcock, qui avec des loustics pareils devait avoir fort à faire – seul Brian Downey, cet excellent batteur aux inflexions jazz et funky, avait, disons, une personnalité plus mesurée. La tournée, anglaise cette fois, fut un triomphe.

Avec leurs magnifiques pochettes illustrées par Jim Fitzpatrick, “Jailbreak” et “Johnny The Fox” contiennent chacun son lot de classic songs : The Boys Are Back In Town (la chanson rock parfaite ?), Jailbreak, Emerald et Warriors pour le premier, Don’t Believe A Word, Johnny The Fox Meets Jimmy The Weed (dont les DJ pionniers du Bronx s’approprieront vite le groove), Massacre et Fool’s Gold pour le second. Dans les années suivantes, Thin Lizzy continuera d’enchaîner les grands albums et de déchaîner les foules. Gageons que les coffrets reflétant cette belle saga vont suivre au même tempo.

COFFRET Thin Lizzy : “1976” (Mercury Records / Universal Music Recordings, déjà dans les bacs). 
PS : Merci Valérie !
Photos : X/DR (Mercury Records / Universal Music Recordings).

En septembre 1973, le groupe du regretté Phil Lynott publiait son troisième album, “Vagabonds Of The Western World”, dernier opus de Thin Lizzy en mode power trio. Le coffret “50th Anniversary” 3 CD / Blu-ray nous fait revivre cette période clé avec tout le confort moderne.
Par Doc Sillon

– Alors Doc, il est bien ce box set “Vagabonds In The Western World” du Liz’ ? Parce que bon, entre la première réédition CD de 1991 et ses bonus tracks et le double CD “Deluxe Edition” de 2010 avec les sessions BBC et encore plus de raretés, je me demandais si…
– …je t’arrête tout de suite mon Bébert : ce coffret “efface” les précédentes rééditions de “Vagabonds”, même si je te conseille de garder celle de 2010.
– Je te sens enthousiaste là. Qu’est-ce qu’il a donc de si indispensable ce coffret ?
– D’abord, l’objet est magnifique. J’imagine que les fans de vinyle ont dû se précipiter sur le coffret LP paru pour le Black Friday, mais crois-moi, le coffret CD / blu-ray, au même format que celui de “Live And Dangerous” paru l’an dernier, est aussi réussi. Le livret de 60 pages est richement illustré (pochettes de 45-tours, photos…) et les liner notes de Mark Blake se lisent d’une seule traite.
– Qu’est-ce qu’il y a exactement dans les trois CD ?
– Les huit chansons de l’album original dans le premier, plus sept faces A et B et  des sessions radio BBC dans le second (John Peel, Bob Harris…, seize chansons au total). Quant au troisième CD, on y trouve un concert en enregistré le 26 juillet 1973 au Paris Theatre de Londres, et de nouveau mult raretés, démos et autres outtakes (versions instrumentales, alternatives, acetate…).
– Et dans le blu-ray, y’a quoi comme vidéos ?
– Pas de vidéo. Que du (bon) son.
– Ah bon ?!
– Oui. Ces blu-ray “audiophiles”, on risque d’en voir de plus en plus souvent. Celui-là contient les mix stéréro, 5.1 et, une première pour Thin Lizzy, un mix Atmos.
– Il faut être équipé pour ça non ? C’est le même système que pour regarder les films ?
– Exactement. Et même si tu n’as pas l’Atmos, il y a le 5.1. Bon, c’est une expérience très sympa de redécouvrir un disque en mode “spatial”, mais je dois t’avouer que je reste attaché à la bonne vieille stéréo. Cela dit, quand on passe le blu-ray, il y a un diaporama qui défile, avec les pochettes et les photos extraites du livret, ça fait son petit effet sur un grand écran.


– Sinon, tu l’aimes ce Thin Lizzy toi ? Moi je trouve que ce n’est pas un album majeur, mais sacrément attachant…
– Tout à fait d’accord avec toi. Je me souviens qu’à la grande époque de Thin Lizzy, quand ils alignaient des classiques comme à la parade, “Vagabonds Of The Western World” nous semblait un tout petit peu daté, d’une autre époque quoi… Et puis ils n’avaient pas encore leurs “twin guitarists”, Eric Bell faisait tout seul le job à la six-cordes…
– Il y avait quelque chose qui clochait avec Bell ?
– Amusant… Non, pas du tout, mais le “vrai” son Thin Lizzy prendra forme après son départ. Cela dit, quand en septembre 1973 “Vagabonds Of The Western World” sortit, le Liz’ passa tout de même dans une autre dimension. L’album était mieux enregistré, mieux mixé, ils avaient eu un peu plus de temps pour le préparer et le mettre en forme. Et puis il y avait ce qu’on peut considérer comme leur premier grand classique.
The Rocker ?
– Exactement, qui fut d’ailleurs leur premier 45-tours extrait d’un album : leurs singles précédents étaient tous sortis à part, même le fameux Whiskey In The Jar, qui les mit en pleine lumière mais faillit les enfermer dans une esthétique de cover band irlandais nostalgique (c’est quand même grâce à cette chanson sans basse qu’ils sont passés pour la première fois à Top Of The Pops, l’incontournable show télé briton).
– Je trouve que la chanson titre est assez influencée par le folk irlandais malgré tout…
– Tu as raison, on ne se refait pas ! Mais il y a suffisamment de diversité dans cet album pour ne pas s’arrêter à ça. Tiens, réécoute bien Little Girl In Bloom : avec les parties de guitare “multi-trackées”, on entend déjà le Thin Lizzy des années de gloire. J’aime bien, aussi, le côté R&B et écolo de Mama Nature Said (visionnaire notre Phil !), le romantisme de The Hero And The Madman
– Et la pochette illustrée par Jim Fitzpatrick, l’homme qui a redessiné le Che, magnifique !
– C’était sa première collaboration avec le groupe. Phil Lynott et lui s’étaient rencontrés dans un pub (Phil aimait faire croire que Jim et lui étaient des amis d’enfance, mais c’était faux). Dans le coffret, il y a des dessins inédits de Fitzpatrick, j’adore ce mélange savamment dosé de SF et de mythologie celtique. Et quand on sait tout ce qu’il va créer pour le Liz’ par la suite…
– Je reviens à The Rocker : c’est vrai que le 45-tours n’a pas du tout marché ?
– Oui, un bide. Comme quoi… Pourtant, la version de “Live And Dangerous” est entrée dans la légende…
– Oh que oui…
– Tiens, une dernière anecdote pour conclure et revenir sur le Liz’ “d’après” : tu savais que c’était lors d’un concert de Wishbone Ash, groupe connu pour ses twin guitars, que Phil Lynott avait proposé à Eric Bell d’engager un second guitariste ?
– Non… Et alors ?
Il avait refusé sèchement. Un peu plus tard, quand il commença à de plus en plus mal supporter les tournées et le fait de ne pas être auprès des siens, il se mit à boire et perdit les pédales. Exit Eric, welcome Brian Robertson et Scott Gorham. Lynott et Bell sont restés fâchés des années ! Gary Moore a remplacé Bell au pied levé quelques mois, avant de rejoindre Colosseum II.
– Bell revint tout de même jouer sur le dernier double live de Thin Lizzy, “Live Life”…
– Oui, pour de bien beaux adieux.
– J’espère que cette réédition de “Vagabonds Of The Western World” est le début d’une longue série : j’adorerais qu’ils rééditent tous les albums suivants de cette manière, jusqu’à “Thunder And Lightning” !
– Moi aussi. Croisons les doigts… En attendant, welcome back, chers vagabonds.

COFFRET Thin Lizzy : “Vagabonds Of The Western World” (Decca / Universal, sortie le 15 décembre).