LES EMOUVANTES Chapelle des Bernardines, Marseille: Marc Ducret, Yves Robert, Elise Caron, des enchanteurs…
LES EMOUVANTES Musique, impro, performance : le rythme de la parole.
13 au 16 septembre, Chapelle des Bernardines. Marseille.
Les Emouvantes
Comment voir la musique en action ? Tous les projets du label Emouvance, créé en 1994 à Marseille par le contrebassiste Claude Tchamitchian, soutenu par l’infatigable Françoise Bastianelli, directrice artistique, ont créé des croisements féconds entre les différentes disciplines, texte, danse, vidéos, graphismes. A chaque fois, des concerts mis en lumière, en espace, en son, avec de l’iimprévu, de l’improvisation, des musiques troublantes, réglées au cordeau ou non, mais vivantes.
Les différentes pratiques artistiques se sont d’abord conjuguées pour les éditions précédentes dans l’espace branché de La Friche de la Belle de Mai, ancienne usine de la SEITA. Et tout cet argent, pour une fois, n’est pas parti en fumée. Comme il est difficile de trouver un lieu dans la cité phocéenne, le tout jeune festival était plutôt reconnaissant à l’entité de la Friche d’avoir été accueillant les premières années. En 2017, c’est la chapelle néo-classique du lycée Thiers, celui de Pagnol et des prépas, devenue théâtre des Bernardines, qui nous accueille, au coeur de la ville, à côté du Cours Julien, de la Canebière, non loin de l’Alcazar et du Vieux Port.
Singulière proposition que ces EMOUVANTES, dont c’est la cinquième édition, avec comme thématique Le rythme de la parole. Quand le mot devient un des éléments du langage musical, que le texte participe à la partition musicale, d’autres cheminements et un accès à d’autres voies sensorielles sont possibles.
Jeudi 14 septembre, 19 heures : solo de Marc Ducret, guitariste
Comment évoquer ce musicien, dédié à la guitare, compositeur et écrivain de musique qui veut explorer les mots, les livres, le théâtre. Sa pensée, complexe, n’est pas toujours formulée de façon définitive ce qui lui donne et nous donne par la même, la possibilité d’y revenir, de reprendre, de (le) retrouver, de s’égarer enfin, délicieusement, dans son jardin aux sentiers qui bifurquent. Le challenge quand on l’écoute, c’est d’être au fait de sa vision mise en musique, de saisir comment il s’ approche, tâtonne, sème des hypothèses parfois développables ou non. Ce qui dévie vers la chronique, le journal, une poésie en tous les cas de l’air du temps. Comment il réutilise, remet en circulation des effets de déjà vu et entendu, qui nous installent dans une étrange familiarité.
S’il compose pour des groupes ou formations parfois très étoffées, il aime bien jouer en solo. Je me souviens de l’avoir entendu, il y a une dizaine d’années à Marseille, au GRIM, pour une Nuit de la guitare. Au milieu de ses collègues friands d’expérimentations diverses, bruyantes, voire inaudibles pour certains, il nous avait donné une heure de jeu, de la guitare, sans esbroufe. Lui qui a la réputation de créer une musique difficile d’accès, avait fait simple. Et gagné haut la main.
Que va-t-il faire ce soir ? Il tisse son ouvrage selon un canevas strict et très ouvert à la fois, envoie le spectateur dans un « work in progress » ou ce qui semble tel. Ce ne sera qu’à la fin de sa performance en six parties si j’ai bien suivi, que l’on pourra saisir l’enchaînement habile, la construction du genre »empilement et pont » dont il a le secret.
Qui parle ? Avec lui, cette interrogation demeure. Il pousse à penser alors que l’on a les oreilles grandes ouvertes. Il aime évoquer musicalement des œuvres littéraires, comme dans ses projets récents sur Nabokov et Shakespeare, sans volonté d’illustration, en se servant de correspondances.
Il commence donc avec un texte de Kafka « Nous étions cinq amis », publié dans Communauté, en 1920 qu’il expose en s’accompagnant de sa fidèle guitare : une petite narration où l’angoisse pointe derrière une observation en apparence anodine. Des mots qui se bousculent s’affrontent sur le rapport aux autres, à l’autre, à celui qui veut s’intégrer. Le malaise rythme le texte et la guitare fait monter la tension jusqu’à l’explosion. L’instrument répond à la voix, la prolonge, la complète. Il enchaîne avec une pièce intitulée « Etats lumineux » où il joue magnifiquement de son instrument, presque sans effets. La suite montre un autre volet de sa technique, car il est un guitariste électrique, électrisant aussi avec un instrumental purement bruitiste, avec « bottleneck » et excitateur électro magnétique (?). Il devient ambianceur, toujours passionné d’exploration sonore. Bien au-delà du jazz de la pop, du rock qu’il maîtrise, sa guitare et lui se transforment en instrument orientalisant, luth, oud , mandoline.
Relecture du MONDE, le journal du mardi 8 août 2017 : reprenant des articles judicieusement repérés qu’il juxtapose et remonte, il réécrit avec paroles et musique, un compte-rendu effrayant sur l’état de notre civilisation. Si le tourisme est redevenu florissant après les attentats, avec une fréquentation bondissant selon une progression de 10,2%, les émigrés haïtiens se voient refuser massivement l’accès à certaines frontières, ces « salauds de pauvres »,’expression longtemps attribuée à Coluche, en fait de Jean Gabin dans ce film mémorable de Claude Autant Lara sur l’occupation et ses vilains trafics, La traversée de Paris.
Sans oublier l’article du code pénal L6… condamnant à de lourdes amendes et peines d’ emprisonnement ceux qui pénètrent illégalement notre territoire et ceux qui les aident. Code de la sécurité intérieure, artisan d’un nouvel ordre, code préventif ou répressif ? Sécurité-liberté. A rapprocher du dernier livre d’ Erri de Luca, La nature exposée, sur ce montagnard passeur de frontière qui convoie « des voyageurs d’infortune ». Alors, brulot, ce texte-dossier de Ducret? Qui n’ en a jamais l’air, tant son rythme est constamment alimenté par une belle rage, froide. Passionné et passionnant. Sans transition, un petite pièce pour piano de Bartok, ce musicien des folklores si peu touristiques, une chanson « rétro » devenue un classique de Renoir-Van Parys, « La complainte de la butte » que chantait Cora Vaucaire dans le film de Renoir, French cancan. » Les escaliers de la butte sont durs aux miséreux »…Tout se tient, Ducret connaît la musique mais aussi les chansons … Et pour finir, il reprend une chanson d’un de ces musiciens rock et pop qu’il affectionne,Todd Rungren « Pretending to care » . S’il aime ce titre, gageons que les paroles doivent faire écho avec son propos.
Ducret n’a pas de frontières musicales, il s’ intéresse au processus de jeu présent dans de nombreux styles. Il n’est ni dans les marges, ni à la lisière mais à la jonction. Lors du rappel, surgit le véritable climax, porteur de sens. Caïn répond à Jehovah qui l’interroge sur son frère disparu: « je ne suis pas le gardien de mon frère ».
L’argent nous est cher
Yves Robert (Trombone, voix, texte et musique), Elise Caron( voix), Stefanus Vivens ( informatique et piano), Franck Vaillant (batterie), Sylvain Thévenard (son)
Une candidate à l’élection européenne fait face au public, elle parle, parle, déclame, harangue, chante, s’emporte, tout en donnant les grandes lignes de son programme. La formidable Elise Caron endosse avec jubilation ce rôle de femme politique, dérisoire et absurde, sondant ainsi les liens entre désir, argent et pouvoir. Son discours est musicalisé, joué sur des notes, des rythmes, accompagné, porté, exalté par le jeu des trois musiciens à ses côtés. Yves Robert travaille depuis plus de dix ans sur ce thème fructueux qui ne peut laisser indifférent, déjà avec l’enchanteuse Elise, magistrale. En 2006 sur le regretté label Chief Inspector, le tromboniste avait sorti L’ Argent, en pleine euphorie libérale, un reportage passionnant sur la finance. Dans l’ombre portée de la crise financière, il nous rappelle quelques vérités que « les banques possèdent le privilège de nous vendre de l’argent qu’elles n’ont pas », que les états leur rachètent leur argent en s’endettant pour payer les intérêts. Il n’est jamais innocent de parler d’argent et si ne prime pas l’ aspect purement idéologique, les mécanismes structurels liés au fonctionnement des banques et de l’ actionnariat sont soulignés au passage.
L’idée de ce spectacle,Yves Robert a dû la cultiver quand il se livrait, en compagnie du philosophe JP Curnier, aujourd’hui disparu, à des conférences musicales, où « le son de la vie, les dialogues, tout est musique »». « Partant du principe que le JT est devenu un divertissement du soir, la musique qui, jusqu’à présent en était un, doit s’occuper des informations. »
Le ton est donné, le programme tout tracé et nous allons assister à un show, dont la forme originale et excitante correspond à l’humour grinçant de Robert et au comique piquant d’ Elise, qui fourmille d’idées qu’elle essaie en live. Oui, on veut « Elire Elise », quoi de plus naturel ? Contrairement à sa malheureuse candidate qui finira très mal !
La démarche musicale est constituée par la symphonie des voix, sur une rythmique captée sur le vif avec un Franck VAILLANT impressionnant, monté sur ressort et un Stefanus Vivens non moins allumé. Se succèdent sans temps mort des improvisations libres, des ponctuations drôles, ironiques, décalées ou soulignant certains effets verbaux. Yves Robert excelle aussi au trombone dans des moments sans paroles, parfois lyriques ou plus sensuels, d’autres de pure folie.
Quelle cohérence dans la constitution du programme de cette soirée, dans les deux spectacles présentés qui répondent parfaitement au thème du festival : la pensée est présente, l’ engagement dans la société de ces artistes, saltimbanques-funambules est évident et la jouissance qu’ils procurent est à la hauteur de la volupté musicale. Ducret ou Robert sont des artistes qui aiment entretenir une certaine « continuité conceptuelle », et la distance que leur réflexion autorise n’ oublie jamais un aspect purement ludique ou spectaculaire.
Sophie Chambon|LES EMOUVANTES Musique, impro, performance : le rythme de la parole.
13 au 16 septembre, Chapelle des Bernardines. Marseille.
Les Emouvantes
Comment voir la musique en action ? Tous les projets du label Emouvance, créé en 1994 à Marseille par le contrebassiste Claude Tchamitchian, soutenu par l’infatigable Françoise Bastianelli, directrice artistique, ont créé des croisements féconds entre les différentes disciplines, texte, danse, vidéos, graphismes. A chaque fois, des concerts mis en lumière, en espace, en son, avec de l’iimprévu, de l’improvisation, des musiques troublantes, réglées au cordeau ou non, mais vivantes.
Les différentes pratiques artistiques se sont d’abord conjuguées pour les éditions précédentes dans l’espace branché de La Friche de la Belle de Mai, ancienne usine de la SEITA. Et tout cet argent, pour une fois, n’est pas parti en fumée. Comme il est difficile de trouver un lieu dans la cité phocéenne, le tout jeune festival était plutôt reconnaissant à l’entité de la Friche d’avoir été accueillant les premières années. En 2017, c’est la chapelle néo-classique du lycée Thiers, celui de Pagnol et des prépas, devenue théâtre des Bernardines, qui nous accueille, au coeur de la ville, à côté du Cours Julien, de la Canebière, non loin de l’Alcazar et du Vieux Port.
Singulière proposition que ces EMOUVANTES, dont c’est la cinquième édition, avec comme thématique Le rythme de la parole. Quand le mot devient un des éléments du langage musical, que le texte participe à la partition musicale, d’autres cheminements et un accès à d’autres voies sensorielles sont possibles.
Jeudi 14 septembre, 19 heures : solo de Marc Ducret, guitariste
Comment évoquer ce musicien, dédié à la guitare, compositeur et écrivain de musique qui veut explorer les mots, les livres, le théâtre. Sa pensée, complexe, n’est pas toujours formulée de façon définitive ce qui lui donne et nous donne par la même, la possibilité d’y revenir, de reprendre, de (le) retrouver, de s’égarer enfin, délicieusement, dans son jardin aux sentiers qui bifurquent. Le challenge quand on l’écoute, c’est d’être au fait de sa vision mise en musique, de saisir comment il s’ approche, tâtonne, sème des hypothèses parfois développables ou non. Ce qui dévie vers la chronique, le journal, une poésie en tous les cas de l’air du temps. Comment il réutilise, remet en circulation des effets de déjà vu et entendu, qui nous installent dans une étrange familiarité.
S’il compose pour des groupes ou formations parfois très étoffées, il aime bien jouer en solo. Je me souviens de l’avoir entendu, il y a une dizaine d’années à Marseille, au GRIM, pour une Nuit de la guitare. Au milieu de ses collègues friands d’expérimentations diverses, bruyantes, voire inaudibles pour certains, il nous avait donné une heure de jeu, de la guitare, sans esbroufe. Lui qui a la réputation de créer une musique difficile d’accès, avait fait simple. Et gagné haut la main.
Que va-t-il faire ce soir ? Il tisse son ouvrage selon un canevas strict et très ouvert à la fois, envoie le spectateur dans un « work in progress » ou ce qui semble tel. Ce ne sera qu’à la fin de sa performance en six parties si j’ai bien suivi, que l’on pourra saisir l’enchaînement habile, la construction du genre »empilement et pont » dont il a le secret.
Qui parle ? Avec lui, cette interrogation demeure. Il pousse à penser alors que l’on a les oreilles grandes ouvertes. Il aime évoquer musicalement des œuvres littéraires, comme dans ses projets récents sur Nabokov et Shakespeare, sans volonté d’illustration, en se servant de correspondances.
Il commence donc avec un texte de Kafka « Nous étions cinq amis », publié dans Communauté, en 1920 qu’il expose en s’accompagnant de sa fidèle guitare : une petite narration où l’angoisse pointe derrière une observation en apparence anodine. Des mots qui se bousculent s’affrontent sur le rapport aux autres, à l’autre, à celui qui veut s’intégrer. Le malaise rythme le texte et la guitare fait monter la tension jusqu’à l’explosion. L’instrument répond à la voix, la prolonge, la complète. Il enchaîne avec une pièce intitulée « Etats lumineux » où il joue magnifiquement de son instrument, presque sans effets. La suite montre un autre volet de sa technique, car il est un guitariste électrique, électrisant aussi avec un instrumental purement bruitiste, avec « bottleneck » et excitateur électro magnétique (?). Il devient ambianceur, toujours passionné d’exploration sonore. Bien au-delà du jazz de la pop, du rock qu’il maîtrise, sa guitare et lui se transforment en instrument orientalisant, luth, oud , mandoline.
Relecture du MONDE, le journal du mardi 8 août 2017 : reprenant des articles judicieusement repérés qu’il juxtapose et remonte, il réécrit avec paroles et musique, un compte-rendu effrayant sur l’état de notre civilisation. Si le tourisme est redevenu florissant après les attentats, avec une fréquentation bondissant selon une progression de 10,2%, les émigrés haïtiens se voient refuser massivement l’accès à certaines frontières, ces « salauds de pauvres »,’expression longtemps attribuée à Coluche, en fait de Jean Gabin dans ce film mémorable de Claude Autant Lara sur l’occupation et ses vilains trafics, La traversée de Paris.
Sans oublier l’article du code pénal L6… condamnant à de lourdes amendes et peines d’ emprisonnement ceux qui pénètrent illégalement notre territoire et ceux qui les aident. Code de la sécurité intérieure, artisan d’un nouvel ordre, code préventif ou répressif ? Sécurité-liberté. A rapprocher du dernier livre d’ Erri de Luca, La nature exposée, sur ce montagnard passeur de frontière qui convoie « des voyageurs d’infortune ». Alors, brulot, ce texte-dossier de Ducret? Qui n’ en a jamais l’air, tant son rythme est constamment alimenté par une belle rage, froide. Passionné et passionnant. Sans transition, un petite pièce pour piano de Bartok, ce musicien des folklores si peu touristiques, une chanson « rétro » devenue un classique de Renoir-Van Parys, « La complainte de la butte » que chantait Cora Vaucaire dans le film de Renoir, French cancan. » Les escaliers de la butte sont durs aux miséreux »…Tout se tient, Ducret connaît la musique mais aussi les chansons … Et pour finir, il reprend une chanson d’un de ces musiciens rock et pop qu’il affectionne,Todd Rungren « Pretending to care » . S’il aime ce titre, gageons que les paroles doivent faire écho avec son propos.
Ducret n’a pas de frontières musicales, il s’ intéresse au processus de jeu présent dans de nombreux styles. Il n’est ni dans les marges, ni à la lisière mais à la jonction. Lors du rappel, surgit le véritable climax, porteur de sens. Caïn répond à Jehovah qui l’interroge sur son frère disparu: « je ne suis pas le gardien de mon frère ».
L’argent nous est cher
Yves Robert (Trombone, voix, texte et musique), Elise Caron( voix), Stefanus Vivens ( informatique et piano), Franck Vaillant (batterie), Sylvain Thévenard (son)
Une candidate à l’élection européenne fait face au public, elle parle, parle, déclame, harangue, chante, s’emporte, tout en donnant les grandes lignes de son programme. La formidable Elise Caron endosse avec jubilation ce rôle de femme politique, dérisoire et absurde, sondant ainsi les liens entre désir, argent et pouvoir. Son discours est musicalisé, joué sur des notes, des rythmes, accompagné, porté, exalté par le jeu des trois musiciens à ses côtés. Yves Robert travaille depuis plus de dix ans sur ce thème fructueux qui ne peut laisser indifférent, déjà avec l’enchanteuse Elise, magistrale. En 2006 sur le regretté label Chief Inspector, le tromboniste avait sorti L’ Argent, en pleine euphorie libérale, un reportage passionnant sur la finance. Dans l’ombre portée de la crise financière, il nous rappelle quelques vérités que « les banques possèdent le privilège de nous vendre de l’argent qu’elles n’ont pas », que les états leur rachètent leur argent en s’endettant pour payer les intérêts. Il n’est jamais innocent de parler d’argent et si ne prime pas l’ aspect purement idéologique, les mécanismes structurels liés au fonctionnement des banques et de l’ actionnariat sont soulignés au passage.
L’idée de ce spectacle,Yves Robert a dû la cultiver quand il se livrait, en compagnie du philosophe JP Curnier, aujourd’hui disparu, à des conférences musicales, où « le son de la vie, les dialogues, tout est musique »». « Partant du principe que le JT est devenu un divertissement du soir, la musique qui, jusqu’à présent en était un, doit s’occuper des informations. »
Le ton est donné, le programme tout tracé et nous allons assister à un show, dont la forme originale et excitante correspond à l’humour grinçant de Robert et au comique piquant d’ Elise, qui fourmille d’idées qu’elle essaie en live. Oui, on veut « Elire Elise », quoi de plus naturel ? Contrairement à sa malheureuse candidate qui finira très mal !
La démarche musicale est constituée par la symphonie des voix, sur une rythmique captée sur le vif avec un Franck VAILLANT impressionnant, monté sur ressort et un Stefanus Vivens non moins allumé. Se succèdent sans temps mort des improvisations libres, des ponctuations drôles, ironiques, décalées ou soulignant certains effets verbaux. Yves Robert excelle aussi au trombone dans des moments sans paroles, parfois lyriques ou plus sensuels, d’autres de pure folie.
Quelle cohérence dans la constitution du programme de cette soirée, dans les deux spectacles présentés qui répondent parfaitement au thème du festival : la pensée est présente, l’ engagement dans la société de ces artistes, saltimbanques-funambules est évident et la jouissance qu’ils procurent est à la hauteur de la volupté musicale. Ducret ou Robert sont des artistes qui aiment entretenir une certaine « continuité conceptuelle », et la distance que leur réflexion autorise n’ oublie jamais un aspect purement ludique ou spectaculaire.
Sophie Chambon|LES EMOUVANTES Musique, impro, performance : le rythme de la parole.
13 au 16 septembre, Chapelle des Bernardines. Marseille.
Les Emouvantes
Comment voir la musique en action ? Tous les projets du label Emouvance, créé en 1994 à Marseille par le contrebassiste Claude Tchamitchian, soutenu par l’infatigable Françoise Bastianelli, directrice artistique, ont créé des croisements féconds entre les différentes disciplines, texte, danse, vidéos, graphismes. A chaque fois, des concerts mis en lumière, en espace, en son, avec de l’iimprévu, de l’improvisation, des musiques troublantes, réglées au cordeau ou non, mais vivantes.
Les différentes pratiques artistiques se sont d’abord conjuguées pour les éditions précédentes dans l’espace branché de La Friche de la Belle de Mai, ancienne usine de la SEITA. Et tout cet argent, pour une fois, n’est pas parti en fumée. Comme il est difficile de trouver un lieu dans la cité phocéenne, le tout jeune festival était plutôt reconnaissant à l’entité de la Friche d’avoir été accueillant les premières années. En 2017, c’est la chapelle néo-classique du lycée Thiers, celui de Pagnol et des prépas, devenue théâtre des Bernardines, qui nous accueille, au coeur de la ville, à côté du Cours Julien, de la Canebière, non loin de l’Alcazar et du Vieux Port.
Singulière proposition que ces EMOUVANTES, dont c’est la cinquième édition, avec comme thématique Le rythme de la parole. Quand le mot devient un des éléments du langage musical, que le texte participe à la partition musicale, d’autres cheminements et un accès à d’autres voies sensorielles sont possibles.
Jeudi 14 septembre, 19 heures : solo de Marc Ducret, guitariste
Comment évoquer ce musicien, dédié à la guitare, compositeur et écrivain de musique qui veut explorer les mots, les livres, le théâtre. Sa pensée, complexe, n’est pas toujours formulée de façon définitive ce qui lui donne et nous donne par la même, la possibilité d’y revenir, de reprendre, de (le) retrouver, de s’égarer enfin, délicieusement, dans son jardin aux sentiers qui bifurquent. Le challenge quand on l’écoute, c’est d’être au fait de sa vision mise en musique, de saisir comment il s’ approche, tâtonne, sème des hypothèses parfois développables ou non. Ce qui dévie vers la chronique, le journal, une poésie en tous les cas de l’air du temps. Comment il réutilise, remet en circulation des effets de déjà vu et entendu, qui nous installent dans une étrange familiarité.
S’il compose pour des groupes ou formations parfois très étoffées, il aime bien jouer en solo. Je me souviens de l’avoir entendu, il y a une dizaine d’années à Marseille, au GRIM, pour une Nuit de la guitare. Au milieu de ses collègues friands d’expérimentations diverses, bruyantes, voire inaudibles pour certains, il nous avait donné une heure de jeu, de la guitare, sans esbroufe. Lui qui a la réputation de créer une musique difficile d’accès, avait fait simple. Et gagné haut la main.
Que va-t-il faire ce soir ? Il tisse son ouvrage selon un canevas strict et très ouvert à la fois, envoie le spectateur dans un « work in progress » ou ce qui semble tel. Ce ne sera qu’à la fin de sa performance en six parties si j’ai bien suivi, que l’on pourra saisir l’enchaînement habile, la construction du genre »empilement et pont » dont il a le secret.
Qui parle ? Avec lui, cette interrogation demeure. Il pousse à penser alors que l’on a les oreilles grandes ouvertes. Il aime évoquer musicalement des œuvres littéraires, comme dans ses projets récents sur Nabokov et Shakespeare, sans volonté d’illustration, en se servant de correspondances.
Il commence donc avec un texte de Kafka « Nous étions cinq amis », publié dans Communauté, en 1920 qu’il expose en s’accompagnant de sa fidèle guitare : une petite narration où l’angoisse pointe derrière une observation en apparence anodine. Des mots qui se bousculent s’affrontent sur le rapport aux autres, à l’autre, à celui qui veut s’intégrer. Le malaise rythme le texte et la guitare fait monter la tension jusqu’à l’explosion. L’instrument répond à la voix, la prolonge, la complète. Il enchaîne avec une pièce intitulée « Etats lumineux » où il joue magnifiquement de son instrument, presque sans effets. La suite montre un autre volet de sa technique, car il est un guitariste électrique, électrisant aussi avec un instrumental purement bruitiste, avec « bottleneck » et excitateur électro magnétique (?). Il devient ambianceur, toujours passionné d’exploration sonore. Bien au-delà du jazz de la pop, du rock qu’il maîtrise, sa guitare et lui se transforment en instrument orientalisant, luth, oud , mandoline.
Relecture du MONDE, le journal du mardi 8 août 2017 : reprenant des articles judicieusement repérés qu’il juxtapose et remonte, il réécrit avec paroles et musique, un compte-rendu effrayant sur l’état de notre civilisation. Si le tourisme est redevenu florissant après les attentats, avec une fréquentation bondissant selon une progression de 10,2%, les émigrés haïtiens se voient refuser massivement l’accès à certaines frontières, ces « salauds de pauvres »,’expression longtemps attribuée à Coluche, en fait de Jean Gabin dans ce film mémorable de Claude Autant Lara sur l’occupation et ses vilains trafics, La traversée de Paris.
Sans oublier l’article du code pénal L6… condamnant à de lourdes amendes et peines d’ emprisonnement ceux qui pénètrent illégalement notre territoire et ceux qui les aident. Code de la sécurité intérieure, artisan d’un nouvel ordre, code préventif ou répressif ? Sécurité-liberté. A rapprocher du dernier livre d’ Erri de Luca, La nature exposée, sur ce montagnard passeur de frontière qui convoie « des voyageurs d’infortune ». Alors, brulot, ce texte-dossier de Ducret? Qui n’ en a jamais l’air, tant son rythme est constamment alimenté par une belle rage, froide. Passionné et passionnant. Sans transition, un petite pièce pour piano de Bartok, ce musicien des folklores si peu touristiques, une chanson « rétro » devenue un classique de Renoir-Van Parys, « La complainte de la butte » que chantait Cora Vaucaire dans le film de Renoir, French cancan. » Les escaliers de la butte sont durs aux miséreux »…Tout se tient, Ducret connaît la musique mais aussi les chansons … Et pour finir, il reprend une chanson d’un de ces musiciens rock et pop qu’il affectionne,Todd Rungren « Pretending to care » . S’il aime ce titre, gageons que les paroles doivent faire écho avec son propos.
Ducret n’a pas de frontières musicales, il s’ intéresse au processus de jeu présent dans de nombreux styles. Il n’est ni dans les marges, ni à la lisière mais à la jonction. Lors du rappel, surgit le véritable climax, porteur de sens. Caïn répond à Jehovah qui l’interroge sur son frère disparu: « je ne suis pas le gardien de mon frère ».
L’argent nous est cher
Yves Robert (Trombone, voix, texte et musique), Elise Caron( voix), Stefanus Vivens ( informatique et piano), Franck Vaillant (batterie), Sylvain Thévenard (son)
Une candidate à l’élection européenne fait face au public, elle parle, parle, déclame, harangue, chante, s’emporte, tout en donnant les grandes lignes de son programme. La formidable Elise Caron endosse avec jubilation ce rôle de femme politique, dérisoire et absurde, sondant ainsi les liens entre désir, argent et pouvoir. Son discours est musicalisé, joué sur des notes, des rythmes, accompagné, porté, exalté par le jeu des trois musiciens à ses côtés. Yves Robert travaille depuis plus de dix ans sur ce thème fructueux qui ne peut laisser indifférent, déjà avec l’enchanteuse Elise, magistrale. En 2006 sur le regretté label Chief Inspector, le tromboniste avait sorti L’ Argent, en pleine euphorie libérale, un reportage passionnant sur la finance. Dans l’ombre portée de la crise financière, il nous rappelle quelques vérités que « les banques possèdent le privilège de nous vendre de l’argent qu’elles n’ont pas », que les états leur rachètent leur argent en s’endettant pour payer les intérêts. Il n’est jamais innocent de parler d’argent et si ne prime pas l’ aspect purement idéologique, les mécanismes structurels liés au fonctionnement des banques et de l’ actionnariat sont soulignés au passage.
L’idée de ce spectacle,Yves Robert a dû la cultiver quand il se livrait, en compagnie du philosophe JP Curnier, aujourd’hui disparu, à des conférences musicales, où « le son de la vie, les dialogues, tout est musique »». « Partant du principe que le JT est devenu un divertissement du soir, la musique qui, jusqu’à présent en était un, doit s’occuper des informations. »
Le ton est donné, le programme tout tracé et nous allons assister à un show, dont la forme originale et excitante correspond à l’humour grinçant de Robert et au comique piquant d’ Elise, qui fourmille d’idées qu’elle essaie en live. Oui, on veut « Elire Elise », quoi de plus naturel ? Contrairement à sa malheureuse candidate qui finira très mal !
La démarche musicale est constituée par la symphonie des voix, sur une rythmique captée sur le vif avec un Franck VAILLANT impressionnant, monté sur ressort et un Stefanus Vivens non moins allumé. Se succèdent sans temps mort des improvisations libres, des ponctuations drôles, ironiques, décalées ou soulignant certains effets verbaux. Yves Robert excelle aussi au trombone dans des moments sans paroles, parfois lyriques ou plus sensuels, d’autres de pure folie.
Quelle cohérence dans la constitution du programme de cette soirée, dans les deux spectacles présentés qui répondent parfaitement au thème du festival : la pensée est présente, l’ engagement dans la société de ces artistes, saltimbanques-funambules est évident et la jouissance qu’ils procurent est à la hauteur de la volupté musicale. Ducret ou Robert sont des artistes qui aiment entretenir une certaine « continuité conceptuelle », et la distance que leur réflexion autorise n’ oublie jamais un aspect purement ludique ou spectaculaire.
Sophie Chambon|LES EMOUVANTES Musique, impro, performance : le rythme de la parole.
13 au 16 septembre, Chapelle des Bernardines. Marseille.
Les Emouvantes
Comment voir la musique en action ? Tous les projets du label Emouvance, créé en 1994 à Marseille par le contrebassiste Claude Tchamitchian, soutenu par l’infatigable Françoise Bastianelli, directrice artistique, ont créé des croisements féconds entre les différentes disciplines, texte, danse, vidéos, graphismes. A chaque fois, des concerts mis en lumière, en espace, en son, avec de l’iimprévu, de l’improvisation, des musiques troublantes, réglées au cordeau ou non, mais vivantes.
Les différentes pratiques artistiques se sont d’abord conjuguées pour les éditions précédentes dans l’espace branché de La Friche de la Belle de Mai, ancienne usine de la SEITA. Et tout cet argent, pour une fois, n’est pas parti en fumée. Comme il est difficile de trouver un lieu dans la cité phocéenne, le tout jeune festival était plutôt reconnaissant à l’entité de la Friche d’avoir été accueillant les premières années. En 2017, c’est la chapelle néo-classique du lycée Thiers, celui de Pagnol et des prépas, devenue théâtre des Bernardines, qui nous accueille, au coeur de la ville, à côté du Cours Julien, de la Canebière, non loin de l’Alcazar et du Vieux Port.
Singulière proposition que ces EMOUVANTES, dont c’est la cinquième édition, avec comme thématique Le rythme de la parole. Quand le mot devient un des éléments du langage musical, que le texte participe à la partition musicale, d’autres cheminements et un accès à d’autres voies sensorielles sont possibles.
Jeudi 14 septembre, 19 heures : solo de Marc Ducret, guitariste
Comment évoquer ce musicien, dédié à la guitare, compositeur et écrivain de musique qui veut explorer les mots, les livres, le théâtre. Sa pensée, complexe, n’est pas toujours formulée de façon définitive ce qui lui donne et nous donne par la même, la possibilité d’y revenir, de reprendre, de (le) retrouver, de s’égarer enfin, délicieusement, dans son jardin aux sentiers qui bifurquent. Le challenge quand on l’écoute, c’est d’être au fait de sa vision mise en musique, de saisir comment il s’ approche, tâtonne, sème des hypothèses parfois développables ou non. Ce qui dévie vers la chronique, le journal, une poésie en tous les cas de l’air du temps. Comment il réutilise, remet en circulation des effets de déjà vu et entendu, qui nous installent dans une étrange familiarité.
S’il compose pour des groupes ou formations parfois très étoffées, il aime bien jouer en solo. Je me souviens de l’avoir entendu, il y a une dizaine d’années à Marseille, au GRIM, pour une Nuit de la guitare. Au milieu de ses collègues friands d’expérimentations diverses, bruyantes, voire inaudibles pour certains, il nous avait donné une heure de jeu, de la guitare, sans esbroufe. Lui qui a la réputation de créer une musique difficile d’accès, avait fait simple. Et gagné haut la main.
Que va-t-il faire ce soir ? Il tisse son ouvrage selon un canevas strict et très ouvert à la fois, envoie le spectateur dans un « work in progress » ou ce qui semble tel. Ce ne sera qu’à la fin de sa performance en six parties si j’ai bien suivi, que l’on pourra saisir l’enchaînement habile, la construction du genre »empilement et pont » dont il a le secret.
Qui parle ? Avec lui, cette interrogation demeure. Il pousse à penser alors que l’on a les oreilles grandes ouvertes. Il aime évoquer musicalement des œuvres littéraires, comme dans ses projets récents sur Nabokov et Shakespeare, sans volonté d’illustration, en se servant de correspondances.
Il commence donc avec un texte de Kafka « Nous étions cinq amis », publié dans Communauté, en 1920 qu’il expose en s’accompagnant de sa fidèle guitare : une petite narration où l’angoisse pointe derrière une observation en apparence anodine. Des mots qui se bousculent s’affrontent sur le rapport aux autres, à l’autre, à celui qui veut s’intégrer. Le malaise rythme le texte et la guitare fait monter la tension jusqu’à l’explosion. L’instrument répond à la voix, la prolonge, la complète. Il enchaîne avec une pièce intitulée « Etats lumineux » où il joue magnifiquement de son instrument, presque sans effets. La suite montre un autre volet de sa technique, car il est un guitariste électrique, électrisant aussi avec un instrumental purement bruitiste, avec « bottleneck » et excitateur électro magnétique (?). Il devient ambianceur, toujours passionné d’exploration sonore. Bien au-delà du jazz de la pop, du rock qu’il maîtrise, sa guitare et lui se transforment en instrument orientalisant, luth, oud , mandoline.
Relecture du MONDE, le journal du mardi 8 août 2017 : reprenant des articles judicieusement repérés qu’il juxtapose et remonte, il réécrit avec paroles et musique, un compte-rendu effrayant sur l’état de notre civilisation. Si le tourisme est redevenu florissant après les attentats, avec une fréquentation bondissant selon une progression de 10,2%, les émigrés haïtiens se voient refuser massivement l’accès à certaines frontières, ces « salauds de pauvres »,’expression longtemps attribuée à Coluche, en fait de Jean Gabin dans ce film mémorable de Claude Autant Lara sur l’occupation et ses vilains trafics, La traversée de Paris.
Sans oublier l’article du code pénal L6… condamnant à de lourdes amendes et peines d’ emprisonnement ceux qui pénètrent illégalement notre territoire et ceux qui les aident. Code de la sécurité intérieure, artisan d’un nouvel ordre, code préventif ou répressif ? Sécurité-liberté. A rapprocher du dernier livre d’ Erri de Luca, La nature exposée, sur ce montagnard passeur de frontière qui convoie « des voyageurs d’infortune ». Alors, brulot, ce texte-dossier de Ducret? Qui n’ en a jamais l’air, tant son rythme est constamment alimenté par une belle rage, froide. Passionné et passionnant. Sans transition, un petite pièce pour piano de Bartok, ce musicien des folklores si peu touristiques, une chanson « rétro » devenue un classique de Renoir-Van Parys, « La complainte de la butte » que chantait Cora Vaucaire dans le film de Renoir, French cancan. » Les escaliers de la butte sont durs aux miséreux »…Tout se tient, Ducret connaît la musique mais aussi les chansons … Et pour finir, il reprend une chanson d’un de ces musiciens rock et pop qu’il affectionne,Todd Rungren « Pretending to care » . S’il aime ce titre, gageons que les paroles doivent faire écho avec son propos.
Ducret n’a pas de frontières musicales, il s’ intéresse au processus de jeu présent dans de nombreux styles. Il n’est ni dans les marges, ni à la lisière mais à la jonction. Lors du rappel, surgit le véritable climax, porteur de sens. Caïn répond à Jehovah qui l’interroge sur son frère disparu: « je ne suis pas le gardien de mon frère ».
L’argent nous est cher
Yves Robert (Trombone, voix, texte et musique), Elise Caron( voix), Stefanus Vivens ( informatique et piano), Franck Vaillant (batterie), Sylvain Thévenard (son)
Une candidate à l’élection européenne fait face au public, elle parle, parle, déclame, harangue, chante, s’emporte, tout en donnant les grandes lignes de son programme. La formidable Elise Caron endosse avec jubilation ce rôle de femme politique, dérisoire et absurde, sondant ainsi les liens entre désir, argent et pouvoir. Son discours est musicalisé, joué sur des notes, des rythmes, accompagné, porté, exalté par le jeu des trois musiciens à ses côtés. Yves Robert travaille depuis plus de dix ans sur ce thème fructueux qui ne peut laisser indifférent, déjà avec l’enchanteuse Elise, magistrale. En 2006 sur le regretté label Chief Inspector, le tromboniste avait sorti L’ Argent, en pleine euphorie libérale, un reportage passionnant sur la finance. Dans l’ombre portée de la crise financière, il nous rappelle quelques vérités que « les banques possèdent le privilège de nous vendre de l’argent qu’elles n’ont pas », que les états leur rachètent leur argent en s’endettant pour payer les intérêts. Il n’est jamais innocent de parler d’argent et si ne prime pas l’ aspect purement idéologique, les mécanismes structurels liés au fonctionnement des banques et de l’ actionnariat sont soulignés au passage.
L’idée de ce spectacle,Yves Robert a dû la cultiver quand il se livrait, en compagnie du philosophe JP Curnier, aujourd’hui disparu, à des conférences musicales, où « le son de la vie, les dialogues, tout est musique »». « Partant du principe que le JT est devenu un divertissement du soir, la musique qui, jusqu’à présent en était un, doit s’occuper des informations. »
Le ton est donné, le programme tout tracé et nous allons assister à un show, dont la forme originale et excitante correspond à l’humour grinçant de Robert et au comique piquant d’ Elise, qui fourmille d’idées qu’elle essaie en live. Oui, on veut « Elire Elise », quoi de plus naturel ? Contrairement à sa malheureuse candidate qui finira très mal !
La démarche musicale est constituée par la symphonie des voix, sur une rythmique captée sur le vif avec un Franck VAILLANT impressionnant, monté sur ressort et un Stefanus Vivens non moins allumé. Se succèdent sans temps mort des improvisations libres, des ponctuations drôles, ironiques, décalées ou soulignant certains effets verbaux. Yves Robert excelle aussi au trombone dans des moments sans paroles, parfois lyriques ou plus sensuels, d’autres de pure folie.
Quelle cohérence dans la constitution du programme de cette soirée, dans les deux spectacles présentés qui répondent parfaitement au thème du festival : la pensée est présente, l’ engagement dans la société de ces artistes, saltimbanques-funambules est évident et la jouissance qu’ils procurent est à la hauteur de la volupté musicale. Ducret ou Robert sont des artistes qui aiment entretenir une certaine « continuité conceptuelle », et la distance que leur réflexion autorise n’ oublie jamais un aspect purement ludique ou spectaculaire.
Sophie Chambon