Parution des partitions du Jazz Composers Orchestra
À partir de la seconde moitié des années 1960, un certain nombre de musiciens s’inscrivant dans la mouvance free développèrent une réflexion sur la manière dont on pouvait résoudre un paradoxe : comment marier l’exigence de l’écriture avec l’absence de contraintes autoritaires donnée à un soliste ? De multiples solutions se développèrent comme par exemple les tenants du Third Stream ou des expériences plus ou moins proches comme les « Intuitive Muzik » de Stockhausen ou celles du théâtre instrumental. Dès 1964, à l’initiative de Bill Dixon, un groupe de musiciens très impliqués dans l’avant-garde jazzistique s’empara de cette question comme de celle d’une pratique free pour grand ensemble. Unissant leurs forces, les membres de ce Jazz Composers Guild avaient pour noms Cecil Taylor, Archie Shepp, Sun Ra, Roswell Rudd, John Tchicai, Burton Greene, Paul Bley, Carla Bley et Michael Mantler. Les premiers concerts du Jazz Composers Guild Orchestra se tirent en décembre 1965. À cette occasion, Michael Mantler pu évaluer ce qu’il avait envisagé pour articuler et équilibrer jeu d’ensemble coordonné avec présence d’un soliste improvisateur. Conçues entre 1963 et 1968, titrées Communications et suivi d’un simple numéro, ses pièces présentent chacune une solution différente selon le soliste pressenti. Quasiment cinquante plus tard, Michael Mantler remettra ses ouvrages sur le métier pour aboutir à une version actualisée de sa série, bien vite enregistrée par le Jazz Composers Orchestra Update.
L’ensemble de ces partitions est dorénavant accessible sous la forme d’un volume papier de très belle facture distribué par ECM (https://ecmrecords.com/shop/1614851464/michael-mantler-bundle-1-michael-mantler-editions). Il se révèle du plus haut intérêt pour tous ceux qui voudront approcher et/ou entrer de manière approfondie dans la musique de Michael Mantler, passionnés comme chercheurs.
Ce volume 1 des Michael Mantler Editions se présente sous la forme d’un ouvrage de 255 pages au papier d’excellente qualité. L’aspect éditorial s’avère irréprochable : remarquable introduction synthétique de Richard Williams ; une première partie qui donne à lire les pièces initiales dans un format réalisé avec un éditeur de partition et sous forme manuscrite en fac similé ; la seconde partie comporte les versions « update » mais sans manuscrits cette fois – car sans doute n’y en a-t-il pas eus. Curieusement, pour les versions du XXIe siècle un changement de disposition instrumentale a été adopté, les cuivres passant au milieu de la page alors qu’ils étaient placés en haut de la partition pour les pages des versions princeps de la première partie. Toutes les parties sont par ailleurs notées en sons réels, un usage qui aurait dû se répandre après les initiatives en ce sens de Prokofiev et Honegger, par exemple, dans la première moitié du XXe siècle. Chaque partition se présente à la fois sous la forme d’un score d’orchestre et de sa réduction pour piano en bas de page, ce qui facilite réellement la lecture.
Les intérêts à posséder un tel objet sont multiples. Écouter une musique partition en main permet d’abord d’aller chercher dans le son certaines parties que la prise de son des albums du XXe siècle n’a pas pu/su rendre audibles. L’œil, en ce cas, aide l’oreille, y compris pour percevoir certaines logiques musicales quelques fois difficilement repérables à la seule audition, ou du moins parfois plus rapidement. Des aspects stylistiques de Michael Mantler ressortent-ils ainsi d’autant mieux, l’usage des techniques de relais de timbre, de mélodie de timbre et d’aléatoire contrôlé par exemple. La partition permet surtout d’apprécier d’autant mieux les propositions des solistes parce que l’on « voit » ce qui relève chez lui de l’invention pure, de l’improvisation dirigée, de l’extemporisation (c’est-à-dire un jeu entre interprétation et improvisation) et/ou du simple respect de la partition. Ces scores d’orchestre apportent aussi, bien sûr, des réponses à tous ceux qui se posent la question de « comment cela fonctionne ? » abordée en introduction de ce texte. In fine, cet élégant objet possède surtout la vertu d’appeler à la réécoute, ce qui n’est pas la moindre des qualités !
Ludovic Florin