Guitaralde: Franck Gamble remplace Mike Stern au doigt levé
Jean Marie Ecay texto : « Quand le lundi après-midi j’ai reçu ce coup de fil de Mike (Stern) angoissé par ce pépin de santé chez lui, enfermé dans son appart à New York je me suis demandé de quel poids réel pesait ce coup sur ma tête. Le concert était prévu le jeudi. Les musiciens choisis bossaient sur les scores des compositions du guitariste depuis plusieurs semaines…J’ai eu soudain l’idée d’un autre guitariste d’un profil assez semblable. J’avais son numéro. Je l’avais rencontré un soir de concert. J’ai appelé direct Franck (Gamble) au culot. Coup de chance il n’était plus basé à Los Angeles mais venait de déménager à Barcelone. Il a bien compris le problème. Plaint aussitôt ce pauvre Mike qu’il connaît depuis belle lurette. Et répondu rapidement « OK Jean-Marie, je vais faire ça pour toi. » J’y croyais à peine. En trois jours dont un de répèt les copains musiciens ont dû digérer un nouveau paquet de partoches bien compactes…Un truc de fou » Un festival de notes en soi. À consommer illico.
Jean Marie Ecay (g), Laurent Chavoit (b), Pascal Segala (dm)
Franck Gamble (g), Camelia Ben Naceur (keyb), Stéphane Guillaume (ss, ts), Hadrien Ferraud (elb), Nicolas Vicario (dm)
Il n’avait pas joué sur scène depuis novembre dernier. Ces dernières petites semaines il a enchaîné concerts et sets notamment avec Billy Cobham, Richard Galliano, Bireli Lagrène plus certains pour son compte « Incroyable, avec le boulot pour Guitaralde, je me sens sur-booké…! » Il a cette nature Jean-Marie Ecay. Il bouge, se livre sans compter. Et lorsque il s’agit de son festival, dans sa ville, il trimbale sa guitare tel un viatique, un porte bonheur. Au point de le retrouver sur la scène d’un…camping sur les hauteurs de la cité balnéaire frontalière avec l’Espagne: « La patronne me tannait pour une participation de son établissement au festival. Je me suis dit que dans le cadre du off c’était le bon plan d’y caser mon nouveau trio « local ». Pour ancrer profondément le festival faut travailler le terrain, aller chercher les gens. Autant m’y coller moi même… »
Musicalement le guitariste basque se plaît à cultiver un éclectisme certain. L’exercice avec ce groupe compact décrypte des paysages. Invite au voyage musical. Il entame le set en donnant dans la douceur de notes fluides projetées sur un motif guitare estampillée pur jazz type Joe Pass ou Barney Kessel. Enchaîne sur un Bras dessus bras dessous de Nougaro (qu’il a accompagné) transmuté de refrain de chanson en standard. Empile des strates de couches électriques imagées pop rock. Revient à l’inusable formule du standard de jazz (Alone together) orné d’un arrangement maison en accords sonnants et (agréablement) très glissants. Continue tel une danse typique via une chanson basque de sa composition, valse baroque à cinq temps (zortziko). Et le guitariste conclut sur un hommage à John Abercrombie (Labour Day) « un de mes maîtres avec lequel j’ai eu la chance de travailler sur un workshop à Madrid, je m’en souviens encore, en 1988… »
Abercrombie, hors les tee-shirts du même nom, sans doute peu de campeurs spectateurs pour l’occasion -mais forts attentifs/réceptifs il est vrai- en avaient entendu parler jusque là. Il faut donc savoir, comme JM Ecay, transporter une guitare jazz et plus si affinités, en terre de mission.
À le voir débouler ainsi sous son chapeau marrant enfoncé jusqu’à mi-front sans se poser plus de question quant aux musiciens qui l’entourent et qu’il n’avait jamais côtoyé de sa vie trois jours auparavant, il me revenait cette réflexion de Michel Portal à propos d’un saxophoniste US -ex co-religionaire de Miles- enrôlé comme partenaire dans son groupe « Tu sais le mec déboulé de New York il ne se casse pas la tête sur ta partition. Il empoigne son biniou, il souffle dedans comme un pèc (un fou en gascon de Bayonne) Et t’as intérêt à suivre car il t’observe du coin de l’oeil »
De fait Franck Gamble dit posément bonsoir. Remercie Jean-Marie Ecay et également au passage, d’un petit trait d’humour vache mais bien senti, son collègue Mike Stern de figurer sur cette scène hendayaise ce soir là. Avoue tout de même qu’il est d’autant plus heureux de ce concert improbable qu’il n’a pas joué en live depuis deux ans « à cause de ce diable de CoVid envahisseur. Et d’empoigner aussitôt l’une de ses guitares pour livrer derechef sans plus de formalités un produit jazz fusion sous un son de cordes tout de suite reconnaissable, acidulé, tranchant, de résonance métallique directe. Griffe sonore amplifėe sur son instrument via des passages d’accords joués très nets, rapides, nerveux et à haut débit. Autre caractéristique de son style sur l’instrument, Franck Gamble affiche un savoir faire certain dans sa façon d’accrocher, d’installer des mélodies. Y compris dans ses développements en solo. Le guitariste australien installé aux États Unis depuis l’âge de 22 ans n’est pas coutumier des prestations sous son nom en Europe. Sa renommée s’est faite en majorité dans les tournées et albums réalisés dans l’Electric Band de Chick Corea. De cette matrice il tire une manière bien à lui de traiter les notes en cascades, en accélérations, en nombre toujours.
Derrière lui la rythmique invitée fait le boulot qui convient â des compositions fouillées, plutôt découpées jusqu’à une certaine complexité rythmique en particulier. Interaction basse/batterie dense, carrée, typique depuis la période jazz-rock des seventies dans lequel Corea a laissé son empreinte.
Sur un tel substrat les soli de Stèphane Guillaume insufflent des poussées de chaleur (ténor sax), attisent la flamme (sax soprano) Bref dans des spirales dont il régale le public -qui le lui rend bien- au travers de contre chants bien sculptés la tonalité cuivre donne de l’air pulsé. Le petit piment, façon d’épicer la sauce ou la chair telle qu’on l’apprécie au Pays Basque, c’est Camélia (venue de Lourdes pour cette apparition unique) qui le sème. Via ses claviers la pianiste apporte au plat étiqueté « fusion » une touche de goût piquante, décalée vis à vis de la puissance dominante des volumes. Quelque chose comme une légèreté de l’être électrique matérialisé en touches noires ou blanches mises en vibration sous des doigts experts.
Ah, si tout de même. Dans le lot d’avalanches de notes accélérées précipitées sur le manche comme des planches glissant sur un tremplin de JO d’hiver, Franck Gamble, facétieux sous sa barbichettes finement taillée, nous gratifie de petites surprises. Un freinage, un ralentissement calculée de la mélodie comme pour mieux l’instiller, la laisser pénétrer le cortex. Via un blues par exemple, laissant percer dans des mesures comptées, une filiation directe, prégnante, assumée. Qui sait celle d’un de ses maîtres cachés, un certain Eric « slow hand »Clapton…
Robert Latxague