Ouverture de la 28ème édition de Jazz en Arles à la chapelle du Méjan le 23 mai
Première soirée du festival de Jazz in Arles avec Adèle Viret Quartet et Camille Bertault Quintet
Retour à Arles en ce joli mois de mai dans la chapelle baroque du Méjan pour une nouvelle édition de ce festival sudiste à la programmation toujours soignée que l’on suit avec affection depuis plus de vingt ans. Après une année particulière en 2023, au format réduit, le festival a repris des couleurs, toujours sous la houlette de Baptiste Bondil, efficace et professionnel et la direction artistique avisée de JP Ricard . Quatre soirées vont se succéder du 23 au 25 mai après la projection le 22 au soir, dans le cinéma tout proche du Méjan, du beau film d’animation They Shot the piano player.THEY SHOT THE PIANO PLAYER de Fernando Trueba et Javier Mariscal | Bande annonce officielle (youtube.com)
Pour la première soirée de Jazz en Arles au Méjan, c’est un programme équilibré et divertissant de jazz de chambre et jazz vocal que nous propose la petite équipe dynamique du festival. En première partie, le quartet de la violoncelliste Adèle Viret, lauréat de Jazz Migration#9, cet excellent dispositif créé en 2002 par l’Afijma-aujourd’hui AJC, qui avec ses tournées fait ainsi découvrir les jeunes pousses de la scène hexagonale.
/https://jazzmigration.com/jazz-migration-9-la-compil/
On entend tout d’abord Coral fantasy et Pour ceux qui sont loin, deux pièces inspirées par la mer Méditerranée – la seconde, une élégiaque ritournelle fut écrite dans le cadre enchanteur de la Fondation Camargo de Cassis, pendant une des sessions de Medinea, projet passionnant et trop peu connu développé au cours du Festival d’Aix en Provence. Cette structure favorise les échanges entre jeunes musiciens de toute la Méditerranée, sous la houlette du saxophoniste belge Fabrizio Cassol qu’Adèle reconnaît volontiers comme un mentor.
SESSION MEDINEA INTERCULTURELLE – ORCHESTRE DES JEUNES DE LA MÉDITERRANÉE – YouTube
A vingt-quatre ans Adèle Viret a déjà une solide expérience musicale et de la suite dans les idées : elle a formé en conséquence son groupe avec des musiciens rencontrés lors de ses études au Conservatoire de Bruxelles. Et avec son plus jeune frère Oscar qui est trompettiste, elle forme avec son père contrebassiste ce Triumviret que l’on a pu entendre lors de la première édition du festival normand des Arches dans la Manche. La mer toujours. Entre grandes marées , rivages Nord-Sud ( des expériences musicales marquantes lors de Medinea à Malte, Tunisie). Dans son approche chambrée, fidèle au jazz qu’elle réarrange et remodèle à grands traits sombres d’archet et en pizz délicats elle livre quelques pages de son journal de bord, écrit avec élégance comme dans Made in et “Novembre où le duo fraternel se rapproche, mêlant heureusement leurs timbres singuliers. Quelles peuvent être les influences du jeune trompettiste? Ralph Alessi ou Ron Miles comme me souffle le grand “connoisseur” qu’est Jean-Paul Ricard? Rien à faire, je n’arriverai pas à en savoir plus de ce trompettiste un brin lunaire, au son droit, éthéré, sans vibrato. Pour le final, c’est un titre singulier The Watchmaker à la précision toute mécanique, où comme il se doit dans cet exercice d’horlogerie fine, la rythmique excelle ( Pierre Hurty à la batterie et Wajdi Riahi au piano, entendus à la balance dans un échange divertissant sur les standards et en particulier sur All the Things you are).
Adèle et son groupe vont sortir bientôt leur premier album Close to the Sea qui est déjà proposé sur son site. Avec de la persévérance et de la conviction, on peut aller loin…https://adeleviret.com/about-1
Camille Bertault Bonjour mon amour
Camille Bertault jazz singer – Official web site
Musicienne accomplie (quinze ans de piano classique), Camille Bertault a grandi dans la musique mais elle aime aussi la danse et le théâtre qui aurait pu être son premier choix de carrière. Et cela se sent dès son entrée sur le plateau de la chapelle du Méjan. De l’assurance sur scène, de la fantaisie, de la maîtrise également. Magnétique, elle occupe déjà l’espace par sa seule présence. Mais elle laisse l’interaction s’installer avec ses complices, musiciens experts qu’elle a choisis soigneusement. L’Argentin Minino Garay est aux percussions, le pianiste libanais est Fady Farah rencontré au Conservatoire, Samuel F’Hima est à la contrebasse, et le trompettiste Julien Alour qui a composé deux titres est l’auteur des belles photos de pochette de l’album.
Cette équipe solide, fidèle, rassurante permet à la chanteuse de s’exposer plus directement. Cette collaboration fructueuse fait de cette formation non un écrin pour une chanteuse mais un authentique quintet de jazz. D’autant que Camille Bertault se comporte en instrumentiste autant qu’en diva, dans une mise en avant efficace qui use des ressources de sa voix, flexible et rayonnante dans un registre medium, sans acrobatie particulière sauf quand elle scate ou vocalese en prenant la partie du sax sur une composition de Julien Alour.
Repérée pour son scat admirablement maîtrisé sur le “Giant Steps” de Coltrane (d’où son album Pas de Géant en 2018 chez Okeh), la chanteuse a décidé de chanter en français ses propres compositions. Elle est en tournée avec son cinquième album sorti en 2023, auto-produit et fabriqué artisanalement, l’objet le plus personnel, intime jamais osé auparavant. Une nouvelle étape décisive dans sa carrière où la chanteuse se livre encore plus que dans les précédents albums. Ellle crée des compositions originales sur des thèmes actuels ( adolescents en souffrance au collège Voir la mer, dépendance aux réseaux sociaux et écrans Acrecran, relation amoureuse toxique Bonjour mon amour, confinement, fragilité de la vie…et du succès Has been) et cherche un son organique, plus proche d’elle.
Son objectif est de réconcilier deux mondes assez éloignés la chanson française et le jazz, le texte et la musique improvisée. Elle compose des textes tissés dans son vécu, emballés avec style, une sorte de journal intime, somme de ses réflexions. Elle pose ses mots qui sonnent juste dans des chansons au montage bien construit. Douze titres plutôt courts favorisent un auto-portrait sans séduction facile.
Sa voix douce et grave, au grain chaleureux ne cherche pas à enjamber des intervalles périlleux. Son énonciation distincte sculpte les détails dans un phrasé original, un tempo ajusté quand elle étire ses phrases ou les scande plus intensément. Elle ne tord pas le sens de ce qu’elle dit, veut être comprise même quand elle s’essaie au rap sur Dodo, évocation de la disparition d’espèces et … de la crise écologique. Des textes d’une compositrice qui sait mettre en musique, varier les climats, connaît les nuances. Pour une fois en jazz, le français sert son interprète. Avec une apparente décontraction, elle sait capter l’attention par la qualité de son écriture et de son interprétation. Elle semble avoir trouvé sa voie et elle ne refuse pas une certaine forme de spectacle: elle interprète ses textes, les anime en dessinant une chorégraphie qui suit le fil des mots. A l’inverse du disque, elle commence le concert avec sa version en français de My favorite Things parvenant à s’approprier la chanson et finit par le titre Bonjour mon amour. Pour le rappel plus qu’entraînant, elle lance un virevoltant “Forro Brasil” d’Hermeto Pascual, en portugais, un scat endiablé renforcé par un désopilant Minino Garay qui sait lui donner la réplique.
Comme la soirée est organisée avec le concours de l’AJMI avignonnais, on a le plaisir de voir dans le public très nombreux des jeunes lycéens des classes musicales du lycée Aubanel.
A suivre…
Sophie Chambon