Au New Morning, Alain Jean-Marie et ses biguines pleines de notes bleues
A l’occasion de la sortie d’un coffret de cinq disques (chez Frémeaux et associés) Alain Jean-Marie réunissait de nouveau son trio de Biguine Reflections avec un invité : Ralph Lavital.
Alain Jean-Marie (piano), Eric Vinceno (basse), Jean-Claude Montredon (batterie), Ralph lavital (guitare) et la participation de Roger Raspail (ka), New Morning 7 décembre 2019
Quel plaisir d’entendre Alain Jean-Marie jouer les biguines, mazouks, et tous ces airs empruntés à la riche tradition musicale antillaise ! Cela fait déjà longtemps que ces musiques l’inspirent, et qu’il les croise avec le jazz, bien avant le disque Biguine Reflections (1992), le début de la collaboration du trio. En fait, elles ont toujours existé dans son cœur, et dans ses doigts, comme en témoigne l’un de ses premiers disques, Piano Biguines, de 1969 (que j’écoute en écrivant ces lignes, avec un morceau irrésistible On bon jouné que je me repasse).
Ayant eu la chance d’écouter Kenny Barron il y a trois semaines, je ne peux m’empêcher de comparer les deux pianistes, par exemple dans la force de leur jeu en accords, dans leur autorité (qui est bien sûr aussi une autorité rythmique). C’est merveille d’entendre ces accords vifs et dansants quand Alain Jean-Marie accompagne le guitariste Ralph Lavital. Quant à ses improvisations, elles sont denses, concises, et je remarque sa manière de tirer parti du rythme sautillant, dansant, de certaines biguines ou mazouks pour les transmuer en quelque chose de lancinant, de douloureux.
La communication avec le guitariste Ralph Lavital est parfaite. Tous deux se complètent à ravir : si le lyrisme d’Alain Jean-Marie, je l’ai dit, n’a pas besoin de longs discours, celui de Ralph Lavital, ne refuse pas les flâneries et les disgressions. Tous deux font entendre deux façons de chanter, l’un de manière pudique et voilée, l’autre de manière plus solaire et directe.
Les belles lignes de basse d’Eric Vinceno, la frappe sèche et nerveuse de Jean-Claude Montredon, et ses éruptions rythmiques vives et soudaines comme des crises de nerfs propulsent l’ensemble.
Roger Raspail, invité sur deux ou trois morceaux amène la musique au bord de la transe avec son gros tambour ka.
Les morceaux rendent hommage aux grands maîtres de la musique antillaise que furent le saxophoniste et clarinettiste Eugène Delouche, et le saxophoniste Robert Mavounzy, à la sonorité si moelleuse. Alain Jean-Marie amène aussi ses compositions personnelles, Tropical Blues, 22 Mai zouk (le 22 mai 1848 étant comme chacun sait la date d’abolition de l’esclavage). Et le Brésil n’est jamais bien loin (Macuba, de Solon Gonçalvès).
En rappel, Alain Jean-Marie joue un merveilleux calypso, et improvise là-dessus des phrases de blues d’une pureté , d’une densité si merveilleuse que je ne sais plus bien quoi ajouter après ça. Je m’arrête donc là.
Texte JF Mondot
Dessins AC Alvoet (autres dessins, gravures, peintures à découvrir sur son site www.annie-claire.com)
Post-scriptum: En première partie d’Alain Jean-Marie a joué un jeune pianiste originaire de La Réunion, Cédric Duchemann, qui vient de faire paraître son premier album (Tropicalism) et dont je dois dire quelques mots, car il a délivré une musique solaire, joyeuse, tonique, généreuse, avec une joie de jouer extrêmement communicative. Ce jeune pianiste est en symbiose parfaite avec son guitariste Cédric Baud. Chacun des deux musiciens semble capable de finir la phrase que l’autre a commencé. Belle découverte.