André Jaume et Alain Soler au pied de la muraille
Le 16 mars dernier, saxophoniste André Jaume était de retour sur le Continent avec le guitariste Alain Soler et leur quartette, à l’affiche de l’Ajmi d’Avignon. Daniel Baillon y était pour Jazz Magazine.
André Jaume / Alain Soler 4tet: André Jaume (as, ss, fl), Alain Soler (g), Pierre Fénichel (b), Antony Soler (dm). Invité : Rémi Charmasson (g).
Il n’est pas facile pour ses admirateurs et amis continentaux de croiser la route de Monsieur Jaume, qui ne quitte plus si souvent sa Corse d’adoption. Là, il s’agissait de fêter les 40 ans de l’AJMI (Association pour le Jazz et les Musiques improvisées), qui depuis son beau club de la Manutention, niché dans la muraille même de la Cité des Papes, reste un lieu attentif à tous les jazz, et grand défenseur des créateurs par son programme de concerts et d’édition phonographique.
Le saxophoniste revenait donc en quelque sorte chez lui, puisque pendant plus de 20 ans il avait dirigé la classe de jazz du conservatoire d’Avignon, l’une des premières du pays, d’où émergèrent rien moins que Bruno Chevillon, Claude Tchamitichian ou, parmi bien d’autres, Rémi Charmasson, lequel vint sur scène à la fin du concert pour deux morceaux, et rendit ce bel hommage à son professeur : « Il ne parlait pas beaucoup, mais il nous a aidés à trouver notre propre musique. C’est énorme ! »
André Jaume, c’est au saxophone ténor et à la clarinette basse qu’on l’attend d’ordinaire ; mais cette fois, ce furent l’alto, le soprano et la flûte, qui pèsent moins lourd au cou du maître, et sont donc plus compatibles avec son mal de dos… Le répertoire, entre compositions personnelles (Gin Fizz), classiques qui faisaient la part belle à Joe McPhee, vieux complice, et au légendaire Jimmy Giuffre, dont Jaume fut l’élève puis le partenaire musical (River Chant), balades (un très beau First Song de Charlie Haden, repris en rappel)… Le tout traversé par le sens aigu de la mélodie qu’on lui connaît, la liberté des improvisations, portées cette fois par un jeu inhabituellement tendu à l’alto — d’un effet surprenant et réjouissant, mais on retrouvait au soprano des rondeurs plus familières.
Alain Soler, guitariste de grand talent et compagnon régulier de quelques décennies et tournées lointaines, apportait au quartet sa contribution toujours très structurante, assortie de solos nourris aux sources diverses de l’histoire, et aussi de quelques tangentes plus contemporaines qui font de chacune de ses interventions un récit passionnant. Alain Soler a plusieurs cordes à sa guitare, puisque, autre grand pédagogue, il est également le directeur artistique du label Durance et de l’Atelier de Musiques improvisées qu’il a créé à Château-Arnoux, dans les Alpes de Haute-Provence. A la fin du concert, Rémi Charmasson, autre compagnon de route de l’un et de l’autre, était dans la salle ; il a rejoint le quartet sur scène pour quelques belles interventions ciselées, légères comme des poèmes.
Souvent issus du répertoire de Something, album phare dans la discographie du saxophoniste, paru en 1991 (CELP C15 / Harmonia Mundi — avec McPhee, Anthony Cox, Bill Stewart), les pièces interprétées ont bénéficié de la solide assise rythmique venue des talents de la nouvelle génération, née précisément en 91 et donc grandie dans la musique de Something : le contrebassiste Pierre Fénichel et le batteur Antony Soler, fils d’Alain. Belle complémentarité que celle de ces artistes de trois générations, dont le concert prit la forme d’un hommage, attendu et mérité, à l’aîné qui les avait rejoints de par-delà les mers. Le CD qui les réunit vient d’ailleurs de paraître, évidemment sous le label Durance : il se nomme Smthg Close To Smthg. Car il se passe toujours quelque chose du côté d’Avignon et de la Durance… • Daniel Baillon