André Villéger et Philippe Milanta jouent Duke Ellington
C’était hier, au Cabaret Jazz de Rueil-Malmaison. J’y étais et j’ai aimé.
À cinq-cent mètres de chez moi… « T’aurais pu venir en pantoufles » me suggère André Villéger. Celle-là, je crois que l’ai déjà faite deux fois sur ce blog à propos de ces concerts rueillois, alors je n’insiste pas, d’autant plus que ça pourrait vouloir dire que je suis venu parce que je pouvais venir en pantoufles. Alors que pour voir un concert comme celui-ci, je ferais des kilomètres, rangers aux pieds, et encore, pas à ma pointure. Tiens, ce soir, ces 500m, j’aurais dû les faire à cloche-pied pour mériter mon concert !
Le Cabaret Jazz de Rueil-Malmaison est situé à l’étage du cinéma Ariel et sa programmation mensuelle est confiée au saxophoniste Philippe Pilon par le TAM (le Théâtre André Malraux). La salle, sans charme particulier, est parfaite, une fois les lumières tamisées, pour l’intimité d’un concert de jazz : bonne acoustique (avec une petit soutien en sono, sinon trop mate… comme le soulignait André Villéger en fin de concert… mais le soutien de la sono est là, toujours adéquat). Cabaret, oui, avec bar et un petit choix de boissons. Dommage que le bar ferme sitôt le concert terminé et que l’on ne puisse pas trinquer avec les artistes rapidement mis dehors. Je connais les contraintes, j’ai été longtemps employé municipal… Et comme employé municipal, j’ai aussi appris que lorsqu’il y avait la volonté, on trouvait toujours une solution.
Ce soir, ça commençait avec un concert des élèves en jazz du conservatoire de Rueil où enseignent Philippe Pilon, Claude Barthélémy et Antonin Gerbal. Une association qui a le charme « d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table de dissection ». Parions ce soir pour la machine à coudre. Quatre standards pour un quartette. Sympathique. Moi qui aime toujours fourrer mon nez partout et le raconter à mes lecteurs depuis 40 ans, l’expérience m’a appris, depuis que j’ai pris des galons, que le rôle d’un rédacteur n’est pas de donner de faux espoirs à de jeunes musiciens dont il sait qu’il ne chroniquera pas les disques, parce qu’il en reçoit déjà 200 chaque mois du monde entier et que, chaque mois, il doit en sélectionner 40 à chroniquer et envoyer les autres aux oubliettes, faute de temps et surtout faute de pages. J’aimerais tout de même citer le nom du jeune trompettiste que j’ai entendu ce soir : Arik Amitay. Un vrai son de trompette. Ça sent le classique, mais sans excès, juste cette ligne très racée de la sonorité, un lyrisme bel canto, plus une écoute du jazz. J’ai pensé parfois à Art Farmer. Oh, certes, il y a encore des maladresses et des tunnels studieux dans les solos, mais les exposés sont très mûrs, très souples et pleins d’idées, avec un imaginaire qui rejaillit dans les chorus improvisés. L’émergence possible d’un talent présente toujours un spectacle très émouvant.
Mais voici André Villéger et son ténor, Philippe Milanta qui rejoint son piano. Programme ellingtonien qui débute par un grand classique : Let a Song Go out of My Heart… oui, mais à trois temps. Ça l’étire merveilleusement, ça en exhale tout le lyrisme tout en lui gardant son peps rythmique, tout comme tout à l’heure, après que Milanta en ait extrait en intro toute l’essence harmonique comme un distillateur de lavande, Villéger se met à planer sur la mélodie de Take the A Train, mais cette fois-ci toute hâte disparue, comme un goéland à contrevent, sur un tempo digne de l’Estate de Shirley Horn. Une espèce de tone poem où Wayne Shorter aurait eu sa place.
Ah, ils aiment bidouiller leur matière et se titiller l’imaginaire afin d’en faire surgir des fleurs nouvelles, lorsqu’ils glissent dans les harmonies de Perdido des paliers harmoniques inattendus qui mènent André Villéger sur les pas de Paul Gonsalves, d’un timbre et d’un phrasé faussement paresseux, mais d’une pensée toujours aux aguets derrière le flegme apparent. Le saxophoniste dédiera d’ailleurs ses Paul’s Tales au saxophoniste d’Ellington d’un éloquent ténor avant de s’emparer d’un soprano atypique, mat, cousin du ténor subtone qu’il aime pratiquer (« on dirait un peu le soprano de Lucky Thompson » me souffle justement Philippe Pilon) pour une suite composée par Philippe Milanta “sur les lettres de”, EKDE (Edward Kennedy Duke Ellington), partition de plusieurs pages étalées soudain sur les pupitres, pourtant relativement concise mais d’une densité précieuse.
Philippe Milanta… Qu’est-ce que c’est ? D’où ça sort ? Certes, ici et là du piano d’Ellington. Mais à quoi, à qui ça ressemble, qu’est-ce que ça rappelle vraiment ? À part Milanta lui-même? Cette main gauche à la pompe facétieuse, cette main droite qui ne cesse d’inventer, fluide comme un ruisseau, mais jamais bavarde, jamais rien de trop jusque dans l’abondance, avec des choses qui sortent d’une culture lointainement enfoui, ici soudain peut-être Bach, peut-être un peu de Phineas Newborn ou de Ray Bryant, et là une once de Schumann… Mais ça n’a jamais l’air emprunté, ni plaqué, même lorsqu’il cite Heaven dans Perdido ou fait ailleurs, je ne sais plus bien dans quel morceau, une rivière de diamants du délicieux Dancers in Love. Plus une articulation qui rendrait palpitante l’interprétation de la méthode rose.
Un dernier pour la route : ce sera, non pas C Jam Blues, mais All Keys Blues, le blues dans tous les tons, histoire de terminer en beauté cette glissade vertigineuse qu’aura constitué ce concert où j’aurais pu me rendre en tongues et à cloche-pied. • Franck Bergerot|C’était hier, au Cabaret Jazz de Rueil-Malmaison. J’y étais et j’ai aimé.
À cinq-cent mètres de chez moi… « T’aurais pu venir en pantoufles » me suggère André Villéger. Celle-là, je crois que l’ai déjà faite deux fois sur ce blog à propos de ces concerts rueillois, alors je n’insiste pas, d’autant plus que ça pourrait vouloir dire que je suis venu parce que je pouvais venir en pantoufles. Alors que pour voir un concert comme celui-ci, je ferais des kilomètres, rangers aux pieds, et encore, pas à ma pointure. Tiens, ce soir, ces 500m, j’aurais dû les faire à cloche-pied pour mériter mon concert !
Le Cabaret Jazz de Rueil-Malmaison est situé à l’étage du cinéma Ariel et sa programmation mensuelle est confiée au saxophoniste Philippe Pilon par le TAM (le Théâtre André Malraux). La salle, sans charme particulier, est parfaite, une fois les lumières tamisées, pour l’intimité d’un concert de jazz : bonne acoustique (avec une petit soutien en sono, sinon trop mate… comme le soulignait André Villéger en fin de concert… mais le soutien de la sono est là, toujours adéquat). Cabaret, oui, avec bar et un petit choix de boissons. Dommage que le bar ferme sitôt le concert terminé et que l’on ne puisse pas trinquer avec les artistes rapidement mis dehors. Je connais les contraintes, j’ai été longtemps employé municipal… Et comme employé municipal, j’ai aussi appris que lorsqu’il y avait la volonté, on trouvait toujours une solution.
Ce soir, ça commençait avec un concert des élèves en jazz du conservatoire de Rueil où enseignent Philippe Pilon, Claude Barthélémy et Antonin Gerbal. Une association qui a le charme « d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table de dissection ». Parions ce soir pour la machine à coudre. Quatre standards pour un quartette. Sympathique. Moi qui aime toujours fourrer mon nez partout et le raconter à mes lecteurs depuis 40 ans, l’expérience m’a appris, depuis que j’ai pris des galons, que le rôle d’un rédacteur n’est pas de donner de faux espoirs à de jeunes musiciens dont il sait qu’il ne chroniquera pas les disques, parce qu’il en reçoit déjà 200 chaque mois du monde entier et que, chaque mois, il doit en sélectionner 40 à chroniquer et envoyer les autres aux oubliettes, faute de temps et surtout faute de pages. J’aimerais tout de même citer le nom du jeune trompettiste que j’ai entendu ce soir : Arik Amitay. Un vrai son de trompette. Ça sent le classique, mais sans excès, juste cette ligne très racée de la sonorité, un lyrisme bel canto, plus une écoute du jazz. J’ai pensé parfois à Art Farmer. Oh, certes, il y a encore des maladresses et des tunnels studieux dans les solos, mais les exposés sont très mûrs, très souples et pleins d’idées, avec un imaginaire qui rejaillit dans les chorus improvisés. L’émergence possible d’un talent présente toujours un spectacle très émouvant.
Mais voici André Villéger et son ténor, Philippe Milanta qui rejoint son piano. Programme ellingtonien qui débute par un grand classique : Let a Song Go out of My Heart… oui, mais à trois temps. Ça l’étire merveilleusement, ça en exhale tout le lyrisme tout en lui gardant son peps rythmique, tout comme tout à l’heure, après que Milanta en ait extrait en intro toute l’essence harmonique comme un distillateur de lavande, Villéger se met à planer sur la mélodie de Take the A Train, mais cette fois-ci toute hâte disparue, comme un goéland à contrevent, sur un tempo digne de l’Estate de Shirley Horn. Une espèce de tone poem où Wayne Shorter aurait eu sa place.
Ah, ils aiment bidouiller leur matière et se titiller l’imaginaire afin d’en faire surgir des fleurs nouvelles, lorsqu’ils glissent dans les harmonies de Perdido des paliers harmoniques inattendus qui mènent André Villéger sur les pas de Paul Gonsalves, d’un timbre et d’un phrasé faussement paresseux, mais d’une pensée toujours aux aguets derrière le flegme apparent. Le saxophoniste dédiera d’ailleurs ses Paul’s Tales au saxophoniste d’Ellington d’un éloquent ténor avant de s’emparer d’un soprano atypique, mat, cousin du ténor subtone qu’il aime pratiquer (« on dirait un peu le soprano de Lucky Thompson » me souffle justement Philippe Pilon) pour une suite composée par Philippe Milanta “sur les lettres de”, EKDE (Edward Kennedy Duke Ellington), partition de plusieurs pages étalées soudain sur les pupitres, pourtant relativement concise mais d’une densité précieuse.
Philippe Milanta… Qu’est-ce que c’est ? D’où ça sort ? Certes, ici et là du piano d’Ellington. Mais à quoi, à qui ça ressemble, qu’est-ce que ça rappelle vraiment ? À part Milanta lui-même? Cette main gauche à la pompe facétieuse, cette main droite qui ne cesse d’inventer, fluide comme un ruisseau, mais jamais bavarde, jamais rien de trop jusque dans l’abondance, avec des choses qui sortent d’une culture lointainement enfoui, ici soudain peut-être Bach, peut-être un peu de Phineas Newborn ou de Ray Bryant, et là une once de Schumann… Mais ça n’a jamais l’air emprunté, ni plaqué, même lorsqu’il cite Heaven dans Perdido ou fait ailleurs, je ne sais plus bien dans quel morceau, une rivière de diamants du délicieux Dancers in Love. Plus une articulation qui rendrait palpitante l’interprétation de la méthode rose.
Un dernier pour la route : ce sera, non pas C Jam Blues, mais All Keys Blues, le blues dans tous les tons, histoire de terminer en beauté cette glissade vertigineuse qu’aura constitué ce concert où j’aurais pu me rendre en tongues et à cloche-pied. • Franck Bergerot|C’était hier, au Cabaret Jazz de Rueil-Malmaison. J’y étais et j’ai aimé.
À cinq-cent mètres de chez moi… « T’aurais pu venir en pantoufles » me suggère André Villéger. Celle-là, je crois que l’ai déjà faite deux fois sur ce blog à propos de ces concerts rueillois, alors je n’insiste pas, d’autant plus que ça pourrait vouloir dire que je suis venu parce que je pouvais venir en pantoufles. Alors que pour voir un concert comme celui-ci, je ferais des kilomètres, rangers aux pieds, et encore, pas à ma pointure. Tiens, ce soir, ces 500m, j’aurais dû les faire à cloche-pied pour mériter mon concert !
Le Cabaret Jazz de Rueil-Malmaison est situé à l’étage du cinéma Ariel et sa programmation mensuelle est confiée au saxophoniste Philippe Pilon par le TAM (le Théâtre André Malraux). La salle, sans charme particulier, est parfaite, une fois les lumières tamisées, pour l’intimité d’un concert de jazz : bonne acoustique (avec une petit soutien en sono, sinon trop mate… comme le soulignait André Villéger en fin de concert… mais le soutien de la sono est là, toujours adéquat). Cabaret, oui, avec bar et un petit choix de boissons. Dommage que le bar ferme sitôt le concert terminé et que l’on ne puisse pas trinquer avec les artistes rapidement mis dehors. Je connais les contraintes, j’ai été longtemps employé municipal… Et comme employé municipal, j’ai aussi appris que lorsqu’il y avait la volonté, on trouvait toujours une solution.
Ce soir, ça commençait avec un concert des élèves en jazz du conservatoire de Rueil où enseignent Philippe Pilon, Claude Barthélémy et Antonin Gerbal. Une association qui a le charme « d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table de dissection ». Parions ce soir pour la machine à coudre. Quatre standards pour un quartette. Sympathique. Moi qui aime toujours fourrer mon nez partout et le raconter à mes lecteurs depuis 40 ans, l’expérience m’a appris, depuis que j’ai pris des galons, que le rôle d’un rédacteur n’est pas de donner de faux espoirs à de jeunes musiciens dont il sait qu’il ne chroniquera pas les disques, parce qu’il en reçoit déjà 200 chaque mois du monde entier et que, chaque mois, il doit en sélectionner 40 à chroniquer et envoyer les autres aux oubliettes, faute de temps et surtout faute de pages. J’aimerais tout de même citer le nom du jeune trompettiste que j’ai entendu ce soir : Arik Amitay. Un vrai son de trompette. Ça sent le classique, mais sans excès, juste cette ligne très racée de la sonorité, un lyrisme bel canto, plus une écoute du jazz. J’ai pensé parfois à Art Farmer. Oh, certes, il y a encore des maladresses et des tunnels studieux dans les solos, mais les exposés sont très mûrs, très souples et pleins d’idées, avec un imaginaire qui rejaillit dans les chorus improvisés. L’émergence possible d’un talent présente toujours un spectacle très émouvant.
Mais voici André Villéger et son ténor, Philippe Milanta qui rejoint son piano. Programme ellingtonien qui débute par un grand classique : Let a Song Go out of My Heart… oui, mais à trois temps. Ça l’étire merveilleusement, ça en exhale tout le lyrisme tout en lui gardant son peps rythmique, tout comme tout à l’heure, après que Milanta en ait extrait en intro toute l’essence harmonique comme un distillateur de lavande, Villéger se met à planer sur la mélodie de Take the A Train, mais cette fois-ci toute hâte disparue, comme un goéland à contrevent, sur un tempo digne de l’Estate de Shirley Horn. Une espèce de tone poem où Wayne Shorter aurait eu sa place.
Ah, ils aiment bidouiller leur matière et se titiller l’imaginaire afin d’en faire surgir des fleurs nouvelles, lorsqu’ils glissent dans les harmonies de Perdido des paliers harmoniques inattendus qui mènent André Villéger sur les pas de Paul Gonsalves, d’un timbre et d’un phrasé faussement paresseux, mais d’une pensée toujours aux aguets derrière le flegme apparent. Le saxophoniste dédiera d’ailleurs ses Paul’s Tales au saxophoniste d’Ellington d’un éloquent ténor avant de s’emparer d’un soprano atypique, mat, cousin du ténor subtone qu’il aime pratiquer (« on dirait un peu le soprano de Lucky Thompson » me souffle justement Philippe Pilon) pour une suite composée par Philippe Milanta “sur les lettres de”, EKDE (Edward Kennedy Duke Ellington), partition de plusieurs pages étalées soudain sur les pupitres, pourtant relativement concise mais d’une densité précieuse.
Philippe Milanta… Qu’est-ce que c’est ? D’où ça sort ? Certes, ici et là du piano d’Ellington. Mais à quoi, à qui ça ressemble, qu’est-ce que ça rappelle vraiment ? À part Milanta lui-même? Cette main gauche à la pompe facétieuse, cette main droite qui ne cesse d’inventer, fluide comme un ruisseau, mais jamais bavarde, jamais rien de trop jusque dans l’abondance, avec des choses qui sortent d’une culture lointainement enfoui, ici soudain peut-être Bach, peut-être un peu de Phineas Newborn ou de Ray Bryant, et là une once de Schumann… Mais ça n’a jamais l’air emprunté, ni plaqué, même lorsqu’il cite Heaven dans Perdido ou fait ailleurs, je ne sais plus bien dans quel morceau, une rivière de diamants du délicieux Dancers in Love. Plus une articulation qui rendrait palpitante l’interprétation de la méthode rose.
Un dernier pour la route : ce sera, non pas C Jam Blues, mais All Keys Blues, le blues dans tous les tons, histoire de terminer en beauté cette glissade vertigineuse qu’aura constitué ce concert où j’aurais pu me rendre en tongues et à cloche-pied. • Franck Bergerot|C’était hier, au Cabaret Jazz de Rueil-Malmaison. J’y étais et j’ai aimé.
À cinq-cent mètres de chez moi… « T’aurais pu venir en pantoufles » me suggère André Villéger. Celle-là, je crois que l’ai déjà faite deux fois sur ce blog à propos de ces concerts rueillois, alors je n’insiste pas, d’autant plus que ça pourrait vouloir dire que je suis venu parce que je pouvais venir en pantoufles. Alors que pour voir un concert comme celui-ci, je ferais des kilomètres, rangers aux pieds, et encore, pas à ma pointure. Tiens, ce soir, ces 500m, j’aurais dû les faire à cloche-pied pour mériter mon concert !
Le Cabaret Jazz de Rueil-Malmaison est situé à l’étage du cinéma Ariel et sa programmation mensuelle est confiée au saxophoniste Philippe Pilon par le TAM (le Théâtre André Malraux). La salle, sans charme particulier, est parfaite, une fois les lumières tamisées, pour l’intimité d’un concert de jazz : bonne acoustique (avec une petit soutien en sono, sinon trop mate… comme le soulignait André Villéger en fin de concert… mais le soutien de la sono est là, toujours adéquat). Cabaret, oui, avec bar et un petit choix de boissons. Dommage que le bar ferme sitôt le concert terminé et que l’on ne puisse pas trinquer avec les artistes rapidement mis dehors. Je connais les contraintes, j’ai été longtemps employé municipal… Et comme employé municipal, j’ai aussi appris que lorsqu’il y avait la volonté, on trouvait toujours une solution.
Ce soir, ça commençait avec un concert des élèves en jazz du conservatoire de Rueil où enseignent Philippe Pilon, Claude Barthélémy et Antonin Gerbal. Une association qui a le charme « d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table de dissection ». Parions ce soir pour la machine à coudre. Quatre standards pour un quartette. Sympathique. Moi qui aime toujours fourrer mon nez partout et le raconter à mes lecteurs depuis 40 ans, l’expérience m’a appris, depuis que j’ai pris des galons, que le rôle d’un rédacteur n’est pas de donner de faux espoirs à de jeunes musiciens dont il sait qu’il ne chroniquera pas les disques, parce qu’il en reçoit déjà 200 chaque mois du monde entier et que, chaque mois, il doit en sélectionner 40 à chroniquer et envoyer les autres aux oubliettes, faute de temps et surtout faute de pages. J’aimerais tout de même citer le nom du jeune trompettiste que j’ai entendu ce soir : Arik Amitay. Un vrai son de trompette. Ça sent le classique, mais sans excès, juste cette ligne très racée de la sonorité, un lyrisme bel canto, plus une écoute du jazz. J’ai pensé parfois à Art Farmer. Oh, certes, il y a encore des maladresses et des tunnels studieux dans les solos, mais les exposés sont très mûrs, très souples et pleins d’idées, avec un imaginaire qui rejaillit dans les chorus improvisés. L’émergence possible d’un talent présente toujours un spectacle très émouvant.
Mais voici André Villéger et son ténor, Philippe Milanta qui rejoint son piano. Programme ellingtonien qui débute par un grand classique : Let a Song Go out of My Heart… oui, mais à trois temps. Ça l’étire merveilleusement, ça en exhale tout le lyrisme tout en lui gardant son peps rythmique, tout comme tout à l’heure, après que Milanta en ait extrait en intro toute l’essence harmonique comme un distillateur de lavande, Villéger se met à planer sur la mélodie de Take the A Train, mais cette fois-ci toute hâte disparue, comme un goéland à contrevent, sur un tempo digne de l’Estate de Shirley Horn. Une espèce de tone poem où Wayne Shorter aurait eu sa place.
Ah, ils aiment bidouiller leur matière et se titiller l’imaginaire afin d’en faire surgir des fleurs nouvelles, lorsqu’ils glissent dans les harmonies de Perdido des paliers harmoniques inattendus qui mènent André Villéger sur les pas de Paul Gonsalves, d’un timbre et d’un phrasé faussement paresseux, mais d’une pensée toujours aux aguets derrière le flegme apparent. Le saxophoniste dédiera d’ailleurs ses Paul’s Tales au saxophoniste d’Ellington d’un éloquent ténor avant de s’emparer d’un soprano atypique, mat, cousin du ténor subtone qu’il aime pratiquer (« on dirait un peu le soprano de Lucky Thompson » me souffle justement Philippe Pilon) pour une suite composée par Philippe Milanta “sur les lettres de”, EKDE (Edward Kennedy Duke Ellington), partition de plusieurs pages étalées soudain sur les pupitres, pourtant relativement concise mais d’une densité précieuse.
Philippe Milanta… Qu’est-ce que c’est ? D’où ça sort ? Certes, ici et là du piano d’Ellington. Mais à quoi, à qui ça ressemble, qu’est-ce que ça rappelle vraiment ? À part Milanta lui-même? Cette main gauche à la pompe facétieuse, cette main droite qui ne cesse d’inventer, fluide comme un ruisseau, mais jamais bavarde, jamais rien de trop jusque dans l’abondance, avec des choses qui sortent d’une culture lointainement enfoui, ici soudain peut-être Bach, peut-être un peu de Phineas Newborn ou de Ray Bryant, et là une once de Schumann… Mais ça n’a jamais l’air emprunté, ni plaqué, même lorsqu’il cite Heaven dans Perdido ou fait ailleurs, je ne sais plus bien dans quel morceau, une rivière de diamants du délicieux Dancers in Love. Plus une articulation qui rendrait palpitante l’interprétation de la méthode rose.
Un dernier pour la route : ce sera, non pas C Jam Blues, mais All Keys Blues, le blues dans tous les tons, histoire de terminer en beauté cette glissade vertigineuse qu’aura constitué ce concert où j’aurais pu me rendre en tongues et à cloche-pied. • Franck Bergerot