Anglet: Ker Ourio émotion, Antonio Lizana duende
Olivier Ker Ourio (hca), Quentin Dujardin (g)
Dans un de ses albums référence (French Songs, Bonsai Music) Olivier Ker Ourio visita le « Toulouse « de Nougaro. Avec à ses côtés son pote de toujours Sylvain Luc. Sur scène comme l’a écrit le chanteur poète de la cité des violettes il pourrait apparaitre en cette soirée ci « Arrmé d’’amour jusqu’aux dents » Même si sa seule arme douce reste son harmonica, tout petit instrument, avec ses soufflets fixes minimalistes. Car Ker Ourio ne masque pas son émotion intense pour rendre un court hommage à Sylvain Luc disparu brutalement il y a six mois seulement et que l’on a vu l’an passé encore, ici, sur cette même scène. A la fin de son set il rejoindra Marc Tambourindeguy, directeur artistique du festival, pianiste et ami d’enfance du guitariste bayonnais le temps d’interpréter à un très haut niveau de feeling une chanson basque « Xarmengaria », air traditionnel en forme de berceuse que Sylvain Luc reprenait souvent en conclusion de ses concerts…
« Blue in Green » de Bill Evans pour entamer « sweet » son concert festivalier du soir. Ker Ourio enchaîne via un titre dû à Toots Thielemans, le monument belge de l’harmonica, En arrière plan les arpèges de guitare viennent justement d’un autre musicien d‘outre quiévrain, Quentin Dujardin lequel a lui souvent fréquenté le légendaire Toots. Sur un tempo lent délicat les modulations douces en imposent quand les accords de guitare changent, comme projetés dans un décor naturel sous les rayons d’automne. Suit un « Blues for M and N » signé de Quentin Dujardin (initiales des prénoms Manu (Katché) et Nicolas (Fiszman), deux musiciens avec lesquels il collabore) ou quand la guitare muscle son discours dans des riffs de tonalité soul blues repris en boucles. L’harmonica en (dé)coupe franche de notes bleues retrouve un chant d’action qui depuis Chicago jusqu’à Memphis lui a toujours été naturel. « Eva » écrit pour sa fille: Ker Ourio extrapole sur le sillon d’une mélodie prenante, insistante, le genre séduisant dans l’immédiat qui une fois imprégnée ne vous quitte pas le cortex. On parlait de blues on y revient avec Charles Mingus convoqué pour l’occasion. La guitare cordes nylon se lance dans des glissandos nés du « bottle neck » petit bout de métal (de verre au départ) glissé sur l’annulaire, vieux compagnon de bouteille des bluesemen du delta du Mississipi. Les inflexions mobiles de l’harmonica collent au sujet pour effet façon « shufflle » du jazz soul. Ce « Good Bye port Pie Hat » thème emblématique de Mingus se trouve ainsi lancé sur les rails chauffés plein fer, cordes de guitare frappées et gimmick de souffle chaud coulé dans le métal de l’harmonica. Une re-visite venue à point. Une célébration du jazz de toujours.
Antonio Lizana (as, fl, voc), El Mawi de Cadiz (voc, palmas, danse), Daniel Garcia (p, clav), Arin Keshishi (elb), Shayan Fathi (dm, perc)
D’aucuns à Chicago définirent ainsi dans les sixties une forme libératoire du jazz. Chez l’enfant de Cadix aficionado de de ce langage et de la philosophie de l’improvisation qui va avec, la dite « esthétique du cri » s’applique également parfaitement à celle du flamenco. D’où l’entame du concert à voix projetée nue, drue, rauque, puissante. Pure intention flamenca. ( Camino ) En réponse d’entrée de jeu lui aussi, Daniel Garcia en formule trio pose les jalons jus de jazz oui les accords frappés vont chercher le rythme incantatoire des palmas couplé aux tourbillons de ce danseur électron libre qu’est Mawi , « gaditano » ( citoyen de Cadix ) lui aussi. Il s’agit d’une seguiria, palo (genre) du flamenco ici mâtiné d’airs brassés de jazz. Vents favorables. Le décor est posé.
La nouveauté dans a trajectoire d’Antonio Lizana vient d’un instrument nouveau intégré dans la palette du musicien andalou. La flûte. « J’en jouais depuis longtemps mais pas dans ce groupe. Cela me permet d’élargir la palette sonore. Et de sortir d’un jeu mono cuivre…» De quoi illustrer justement via un phrasé en sonorités de plus de lumière une composition datant d’avant l’album Vishudda, source du répertoire actuel. « Frontera, écrit au moment de la guerre en Syrie se trouve désormais « dédié à toutes les victimes actuelles des folies des guerres perpétrées dans le monde… » Une flûte donc pour exposer le thème avant une longue incursion en soliste. Phase solo donc avant de laisser place au piano en version trio maintenant. Daniel Garcia ( Wonderland album sorti chez ACT en trio également cette année) expose alors dans cette séquence un travail marquant par un apport rythmique et harmonique solide, inspiré. Épisode jazz offert fort d’un soutien tout de finesse, manière originale, en nuances de la part de la batterie de Shayan Fathi, percussionniste iranien -qui dirige également un studio d’enregistrement à Madrid où il vient de graver une session de Richard Bona notamment. Le cante, le chant flamenco refait surface avec un titre qui parle de lui même« Mis melodias » pris à deux voix. Syntonie des attaques, de sax, de basse, de pas de danse (Mawi De Cadiz, toujours explosif dans la volonté de transmettre son bréviaire de danse flamenca semble être resté pourtant un chouia en retrait pour l’occasion) : bref les dominantes de forme culturelles ès flamenca tirés de la terre andalouse offertes en mode trans courant par goût du jeu et de l’improvisation comme risque assumé, musique plurielle, d’intentions avouées, de besoin d’art vrai entretenu dans une pratique intense. Un exemple ? Une preuve ? « Amar » autre vocable qui se suffit à lui même s’inscrit dans l’inspiration, dans un plus de lyrisme à fleur de peau d’écho de voix, de reflets de cuivre et de notes de piano servies en grappes sucre et miel. Ou plus tard, au coeur du scénario du concert lorsque Lizana placé seul en avant de l’espace scénique, lâche un discours sans filet, sax alto tranchant avec contrechants de voix ou vice versa, en question réponse. Pour finir sur un stop chorus, bruits d’anche, de bec, rythmé par les « tacones », la frappe sèche rythmée des talons ferrés du danseur contorsionniste Mawi pour faire cadeau en manière d’hymne à la joie d’une « Alegria de Cadiz » Le duende, l’inspiration giclant à l’état nature. Alors dominante flamenco ou feeling majeur jazz ?
Antonio Lizana et sa « banda » n’en ont cure visiblement. Et nous avec en live dans la salle vert debout.
Robert Latxague