Jazz live
Publié le 23 Sep 2019

Anglet Jazz Festival : Paul, Bojan, Thierry, Diego et les autres

Anglet Jazz Festival poursuit son bonhomme de chemin à l’été finissant. Beaucoup de musiciens français à l’affiche. Du jazz dans tous ses états. Cette édition privilégiait les pianistes, Cette année le festival n’a pu offrir le dimanche son traditionnel déjeuner sur l’herbe pour cause de gouttes prévues, les premières depuis début août. Mala suerte ! Pas de blues pour autant ni côté organisateur ni côté public. À Quintaou, le plus jeune des théâtres du BAB Bayonne-Anglet-Biarritz) le jazz a fait son marché...

Anglet, ville depuis son origine sans véritable centre, logée entre ses voisines choc et chic, Bayonne et Biarritz. Alors Bojan Z parvenu sur place pense Bayonne d’abord. Demande à y être transporté histoire de goûter et faire provision de son célèbre jambon si gouteux. Puis le temps d’un coup de fil en faire le rapport auprès de MIchel Portal, son habituel complice. Bayonnais lui corps et âme au point que le Théâtre Municipal de sa ville porte désormais son nom. Celui d’Anglet, réceptacle du festival, baptisé Quintaou répond, sur un lieu de marché, à un nom purement gascon.

Paul Lay (p), Isabelle Sorling (voc), Simon Tailleu (b)

Bojan Z (p, elp), Julien Lourau (ts,ss)

Anglet Jazz Festival, Théâtre Quintaou, 20 septembre

 

Paul Lay

Par ce programme créé l’an passé à Nantes pour célébrer les cent ans du jazz expatrié sur notre sol, la musique du trio plonge au cœur de l’histoire du début du XXe siècle lorsque le jazz fit son apparition en Europe tandis que de jeunes soldats venus d’outre Atlantique, berceau de ces rythmes, laissaient leur vie dans des tranchées tombeau. Soldier Boy: les basses résonnent telles une dramaturgie orchestrée. Pourtant, que peut-il se passer alors dans la tête d’Isabelle Sorling pour laisser jaillir ainsi de tels cris, des moments d’intensités folles ? Et rebondir de pareils échos si sombres ? Puis le calme revenu sous l’appaisement du piano de Paul Lay tout en contrôle , offrir des mélodies livrées natures comme des sucreries. La voix caresse le grave, grimpe dans l’arborescence d’un registre aigu plus. Qu’importe de défi de la tessiture…

Isabelle Sorling, voix unique

Dans l’instant, il y a la vérité du bien rendu. Vient alors un Freedom scandé en leitmotiv à l’égal (peut-être…) de celui de Richie Havens sous le déluge de Woodstock.  En appui les accords du piano s’incrustent comme autant d’accents graves ou aigus. La basse de Simon Tailleu intervient elle en lance missile. Dans ce conflit transposé au jazz les armes ne sont plus les mêmes. Plus tard ces deux mêmes instruments lutteront encore en duo, à haut voltage le temps accéleré d’un Maple Leaf Rag modifié dans son essence même. Conclusion en forme de poème écrit de la main d’un troufion british qui, au bout de ce conflit de folie mondiale y laissera sa peau « To Germany » La musique jouée alors en trois lignes, comme trois voix jointes, vit dans l’alternance de  moments creux et de moments crêtes. Le public lui retient son souffle, n’ose pas applaudir dans l’attente de la baisse totale d’intensité, ce point point d’orgue qu’il ne veut pas voir venir…

 

Bojan Z, deux pianos à deux mains

 

Bojan Z, on y revient. Avec, en mode symbole le chiffre 2. Deux comme duo bien sur. Deux pour lui tout seul, deux pianos abordés en même temps, l’un pour la main gauche-électrique sur son vieux Fender Rhodes trafiqué- l’autre dédié aux explorations main droite – acoustique, son plein, ample. Ou en spécifique, alternativement,  histoire de varier les climats. Exemple sur ce thème « Full Moon » conçu à Sarajevo » lorsque ces claviers conjugués se mutent en machine (infernale) à rythmes. Autre moment, autres couleurs: Julien Lourau prend la main, saisit son ténor, le plonge dans le ventre du piano, y claque des notes come autants d’éclats répercutés par le bois et le métal des cordes de l’instrument. Les mélodies ainsi créées deviennent un fil rouge que le pianiste serbe amplifie, conforte savamment sur le clavier. « Julie’s blues » ensuite explose de vitalité, en cascades  de notes, reliefs tout en ruptures successives. Les grappes d’accords frappés sur le clavier électrique donnent un effet de sculpture sonore métallique. En rappel les deux lignes d’improvisations se rejoignent. Le sax ténor de Julien Lourau dégage un souffle au naturel, chargé d’un grain fort, comme le prolongement d’une voix « On se connaît depuis si longtemps … » raconte Bojan Zulfikarpasic. Le secret sans doute d’un jazz cuisiné, feu fort ou feu doux, mais en commun. Ce qui ne prive pas de recettes surprises.

 

Julien Lourau, souffle prolongé

Thierry Elliez (p), Ivan Gélugne (b), André Cecarelli (dm)

Diego Imbert (elb), Pierrick Pedron (as), Davir El Malek (ts), Quentin Ghomari tp, bug), Bastien Ballaz (tb), Pierre Alain Goualch (cla), Frank Agulhon (dm)

21 septembre

 

Thierry Elliez, l’explosivité

Lui fait partie de ces musiciens dont tous les collègues vantent le talent, le savoir faire. De ceux que l’on entend, sur scène ou sur disque, régulièrement derrière des chefs de file (en l’occurence conjuguée au féminin pour lui dans les formations de Dee Dee Bridgexwater notamment) Sauf que Thierry Elliez, sous son nom, on ne le voit pas assez sur scène. Dommage. Car la démonstration effectuée en trio à Anglet fut des plus parlantes. Un jeu pianistique plein d’allant, d’intensités maîtrisées, de mouvements impulsés. De trouvailles aussi, structures des morceaux (Circum), ajustements rythmiques, échappées belles de main droite sur le clavier, telles celle lâchée pour le moment fort d’une ballade écrite par… Debussy. Ou ce medley, inspiration mi basque, mi brésilienne entre fandango et foro, virevoltant, festif, en alchimie de rythmes poussé par la batterie virtuose de Déde Ceccarelli.

 

Dédé Ceccarellir, la maestría

Thierry Elliez, sur le clavier se plaît à jouer un jazz de surprises, de retournements de situation. À la base on sent une patte dans l’expression pianistique, un toucher sur le clavier. Et lorsqu’il aborde une composition qu’il dédie à Frida Kahlo, sous ses doigts, naturellement jaillissent des couleurs, des reliefs aptes à qualifier ce qu’il présente comme « des effets propres à cette peintre mexicaine fantastique de pur surréalisme » De quoi donner à sa veine de jazz personnelle, également, un relief original.

 

Pierrick Pedron

Pas facile de succéder dès lors pour finir cette soirée à des moments qui ont créé un plus d’émotion. C’est armé de son savoir faire dans l’écriture que Diego Imbert est venu sur la scène du festival angloy présenter son travail mis au point sur l’album « Urban »(Trebmus/l’autre distribution) réalisé en septet. Des constructions basées avant tout sur l’apport de quatre cuivres. Tilmbres additionnés (Moovies) ou utilisés par croisement dans l’exposé des thèmes (Marchin’ ) Les mêmes instruments se trouvent ensuite mis en valeur dans la distribution des solos. Plaisir d’abord de retrouver notamment le son rond, puissant de David El-Malek au ténor. Occasion aussi d’écouter Pierrick Pedron dans un rôle inhabituel de « tireur » de section, sax alto explosif dans l’intensité (Bridges) Quentin Gohmari (jolie sonorité de bugle) ou Bastien Ballaz, dans les dévelopements  ne sont pas en reste. Les parties écrites, construites, s’inscrivent clairement. La sonorité du piano électrique tient le fond d’écran. Les lignes de force s’appuient sur une rythmique en marque page permanent. Sur un mode reggae reconverti à cinq temps pour les besoins de la cause, tiens. Diego Imbert a choisi la basse électrique à cet effet. Option pas si fréquente chez lui mais qui, pour l’occasion, pose une signature. Simplement, ce travail de précision, dans la foulée d’une saisissante effervescence encore faut-il vouloir (pouvoir ?) l’entendre.

 

Yonathan Avishai (p), Yoni Zelnik (b), Donald Kontomanou (dm)

Human Voice: Pascal Celma (elb), Frédéric Petitprez (dm), Tom Carrère (p, cla), Cyprien Zéni (voc)

Théâtre Quintaou, Anglet (64600): 22 septembre 

Tranquille il déroule sa musique, ses thèmes expliqués plus qu’explicités d’ailleurs, dans le droit fil d’une certaine  douceur. S’y nichent ça et là quelques décalages sans doute fort savants. Basse et batterie (Chez Donald Kontomanou notamment on attend plus de surprises) font le job non sans un certain recul. Une part prégnante de retenue. Les notes annoncent une metéo jazz sans nuage. C’est doux comme le vent du sud qui viendra, ici sur la Côte Basque forcément un jour prochain glissant en caresses chaudes entre montagne et océan. À force de douceur on s’ennuie un peu Monsieur Yonathan. Peut-être car ce jour est le premier de l’automne qui ne fait pas son âge …

Human Voice, on connaît moins. Donc dans le public, l’on découvre. Une voix soul, ferme mais souple, venue de la Réunion donne les couleurs dominantes. Derrière ce chanteur venue de l’île aux volcans de l’Ocean Indien le combo qu’on dirait sorti des studios Stax de Memphis fait assaut de rythmes. De dessins et même d’un dessein rythmique. Au final ils conseilleront de rester debout à défaut de pouvoir danser entre les fauteuils. Cyprien Zeni, voix de la Réunion dit ses textes en anglais. Le moment fort pourtant, le plus chargé en pathos reste l’histoire de la dite « Case Mémé” la maison de sa grand mère descendante de “l’arrière arrière arrière arrière…-ces épihètes on ne les a pas comptés- grand mère affranchie de l’esclavage en 1848…Une histoire chantée en créole réunionnais, bien entendu.

 

Cyprien Zéni, voix humaine de La Réunion

Anglet Jazz Festival continue sur son chemin. Avec ses moyens propres. Ses bénévoles que l’équipe voudrait plus nombreux,  évidemment. Un public créé de toutes pièces plutòt fidèle également. Un festival, seul sur la Côte après les foules de l’été. Un festival de jazz !

 

Philippe Djian venu écouter Paul Lay et Bojan Z

Robert Latxague