Anglet : Sylvain LUC / Paul LAY : duo inédit
Alerte ! Les temps sont durs, on le sait, pour nombre musiciens de jazz. Et certains festivals qui se font une force de les accueillir se retrouvent de fait sur le fil du rasoir. Ainsi pourrait-il en advenir de l’Anglet Jazz Festival. Une équipe basée essentiellement sur le bénévolat. Un travail de prévision, de programmation visant à la qualité, de préparation, de présentation, d’accomplissement pris sur le temps, la disponibilité d’un cercle restreint de volontaires. Donc de l’essoufflement inévitable chez certains au bout de quinze années écoulées. Facteur de découragement. « Chez nous dans le dossier financier posé sur une étagère par exemple, la Région Nouvelle Aquitaine, la plus vaste en étendue dans l’hexagone nous octroie royalement une enveloppe de 1500 €uros tandis que le festival Ravel, à la même époque de l’année sur la Côte Basque reçoit pour sa part un chèque en blanc de 100 000… » se lamente à juste titre un membre de l’équipe. Or ce festival est le seul à exister pour le compte du jazz dans la zone de l’agglomération Bayonne-Anglet-Biarritz. Alors quoi ? Laisser dire ? Laisser faire jusque à un probable In memoriam ? So what ?
Une seizième édition du seul festival de jazz post été sur la Côte Basque qui a voulu mettre l’accent sur les pianistes cette année. On y aura pourtant goûté en même temps aux talents de guitaristes très différents quant aux styles proposés. Mais c’est bien par une voix que le festival angloy a débuté tandis que d’autres, très locales, s’éteignaient un instant dans les bars alentours tant l’Uruguay donnait du fil à retordre au XV de France, ce qui ne pouvait passer inaperçu en une pareille terre de rugby.
Anglet Jazz Festival
Théâtre Quintaou, Anglet (64600)
Laura Prince ( voc), Grégory Privat (p, cla), Clément Abraham (b), Tilo Bertholo (dm)
Inar Sotolongo(perc)
14 septembre
D’entrée de jeu Laura Prince le déclare sans ambages. « Ma musique fait revivre en moi les paysages du Togo, pays de mes origines » Montent alors les effluves d’une voix souple, ancrée dans le registre médium, révélatrice tout de suite d’une vraie maitrise du phrasé. Une voix donc, naturellement mise en avant. Pourtant le piano n’est jamais très loin. Au contraire. Les arrangements marqués par un certain brio, de la précision, donnent aux structures des morceaux des notes de couleur dans un mouvement continu. Et ils sont l’oeuvre de Grégory Privat, lui même directement à la manœuvre dans le process scénique. Il y a de l’Afrique oui, en traces de pas de danses mais aussi de la soul, laquelle transpire dans l’intonation volontariste et le soutien rythmique ( Scare of Dark) Et du parlé-chanté à propos de la condition du peuple noir « abolition …désolation …corruption mais pas de solution… encore moins de révolution…» phrases scandées qui au final vont vers une célébration, un hymne (Musical Inspiration)
Voix toujours venant en complément d’objet lyrique suite à une intro piano solo, scellant au total un très beau thème poignant livré dans l’intimité d’un duo les yeux dans les yeux (In your eyes)
Et Laura Prince aura la délicatesse enfin d’offrir au public un hommage à Tony Bennet disparu cette année, en duo toujours, aussi avec basse cette fois. Une voix innervée de feeling balade jazz au souvenir d’une autre qui avait enchanté en mode jazz et plus si affinité la Californie -terre d’élection du susdit Toni Banedetti de son vrai nom, pote de Frank Sinatra, tous deux descendants de la Botte. Et bien au delà.
Pierre de Bethmann(p), Nelson Veras (g), Florent Nisse (b)
15 septembre
Cet autre pianiste invité lui aussi du festival – dont le directeur artistique programmateur, Marc Tambourindeguy est lui même pratiquant du clavier à 88 touches, faut-il y voir là une raison fortuite ?- affiche clairement les sources du contenu exposé. « Les thèmes du concert extraits de mon album Essai Volume 5 ( Aléa) sont tous issus de ce que l’on appelle Le Great American Song Book, autrement dit les standards » À l’image du contenu de ce disque, son discours pianistique se trouve imprimé toujours très clairement, que ce soit en exposition lente, raisonnée des morceaux choisis comme dans des escapades successives alternées main droite main gauche en accélérations soudaines pour plus de notes éjectées ou de par des décalages pour mieux se démarquer de l’échiquier de plans harmoniques habituels au genre. Pour ceux qui suivent les sentiers de son abondante discographie Pierre de Bethmann pratique un piano jazz par essence très ordonné « J’ai conçu ce projet comme un parcours amoureux de standards mais bon, je l’avoue volontiers, en les jouant à ma façon j’ai conscience de les tordre un peu…» Et de revendiquer par ailleurs non sans une note d’ humour pincé « d’y injecter une bonne dose d’énergie quand même » De fait cela se sent immédiatement à l’écoute, témoin si besoin était cette version façon face cachée du Thingin’ du saxophoniste époque cool, Lee Konitz. Nelson Veras lui la joue plus délié, notes enchaînées clean, passages d’accords dans du velours mais piquées de quelques notes tenues comme sustentées afin de ne pas le croire ancré en permanence dans un fil discursif trop lisse (The woodcocks morceau très enlevé signé d’un autre pianiste, l’anglais John Taylor ) Suivent d’autres séquences tirés de ces fameux standards dont les mélodies apparemment familières flattent l’oreille en cadeau souvenir ( Love for sale) Dont certaines jouées en duo avec le bassiste Florent Nisse -venu au dernier moment suite à la disparition tragique de Màtyàs Szandai initialement prévu pour le trio- très intenses en succession d’accords et de phrases entremêlés dans un large panel de couleurs exposées. Et pour final une variation très personnalisée d’un bout de mouvement de la 7e Symphonie de Beethoven dessinées en décalque swing. Pierre de Bethmann décidément, seul à deux ou à trois se montre toujours très inspiré.
Laurent Coulondre (p, cla,), Léo Chazalet (b), Christel Raquillet (fl), Laura Dausse (voc), Stéphane Guillaume (ts) ), Lucas Saint Criq ( bas, as)), Alexis Bourguignon (tp), Adriano Dos Santos Tenorio), Inor Sotolongo (perc)
15 septembre
Un bon gros son bien ronflant bien sûr annonce des cuivres à la fête dans des timbres bien latins (Aqua bon, le thème qui ouvre l’album Meva Festa ) Laurent Coulondre en sorcier des sonorités électriques n’en oublie pas pour autant de solliciter aussi les (touches) noires et blanches de son piano (chorus en acoustique, court, concentré ou intro de Memoria) ) Donc ça «pète sec» en continu question sons et sonorités instrumentales (morceau éponyme du disque voulant évoquer la notion, les moments, les contours de la dite Festa )
Les compositions n’en ressortent pas moins très finement construites. L’écriture expressionniste cherche à valoriser les instruments. D’apparence.ça sonnerait plutôt « latin » jazz – un qualificatif évocateur mais qui soit dit en passant exaspére nombre de musiciens cubains, portoricains et compagnie – mais le creuset musical porte au delà. Coulondre à la tête de son combo élargi évite les facilités, les clichés d’une « musique juste à faire danser» dans l’instant. On ressent du plaisir simple à l’écoute. certes. Ceci posé le spectre thématique a de l’ampleur, recèle une certaine épaisseur question structures. Les solistes ont leur espace dédié. (Au passage on vantera un super chorus de sax ténor d’un Stéphane Guillaume toujours top niveau) Et le rôle relai du piano marquant la différence appelle au saut qualitatif (Memoria) Au beau milieu des séquences égrenées « Laura» tire carrément vers un possible « standard « en tant qu’objet swinguant bien identifié.
Laura Dausse présentée comme « chef de chantier du projet» apporte sa voix, ses vocalises plus précisément, lesquelles boostées d’unissons via le violon s’ajoutent aux tableau des couleurs, en souffles, envolées et onomatopées, mélodies lancées telles un appel d’air vers des horizons fort « brésilianisés ».
Au final, Laurent Coulondre avec ses airs de lutin malicieux vendra en rappel un air sucré salé dit « Piment doux » Le concert laissera sans doute au public angloy fort remué par l’exercice une saveur bien plus épicée.
Sylvain Luc (g), Paul Lay (p)
16 septembre
Ils sont annoncés comme devoir exercer leur art dans un duo inédit. Pourtant en guise de hors d’oeuvre chacun à son tour servira un carré d’airs seul à seul. C’est Paul Lay d’abord qui s’y colle.
Lui aussi dit vouloir célébrer en un clin d’oeil ou presque – on revient au rugby et à cette drôle de « flèche du temps » marque incontrôlable du tempo vital qui obsède les nuits de Fabien Galtier patron de la destinée actuelle du XV de France en pleine période de Coupe du Monde de rugby qui bat son plein en parallèle de celle, temporaire, du festival jazz d’Anglet au Théâtre Quintaou sis exactement lui, à mi chemin des stades emblématiques de Bayonne et de Biarritz…- célébrer donc les partitions inclassables de Beethoven. Il le fait à sa manière, d’un toucher parsemé de micros reliefs inclus dans le déroulé mis en marche sur le clavier. Les variations « en do mineur» d’osmose passent presque en métamorphose de rag time. Chez Paul Lay, en douceur comme en intensité qui sied à sa nature de natif des bords du Gave, torrent béarnais qui ne parvient pas toujours à cacher la fureur des pierres qui roulent depuis les Pyrénées, on peut toujours dénicher quelque petite mélodie intimiste.
Il a en lui cette facilité, ce don pour imprimer une mélodie au fronton de n’importe quel cortex fusse le plus réticent, Sylvain Luc un peu batailleur pas mal « batsarrou» comme on qualifie à Bayonne, sa ville de berceau et de cœur, des enfants pas toujours sages, Ainsi en fût-il des lignes tracées à partir du Poinciana hymne signé Ahmad J’amal. Puis du Valsa de Jao Gilberto. Ou quand toutes les notes, vouées entre ses doigts de guitariste inclassable à une fidélité transgressée par l’impro, in fine s’y retrouvent placées comme il faut. Et pour l’émotion, deux rebonds mode ballon ovale:en échappée libre: d’abord une chanson d’Earth Wind an Fire, jouée pur feeling en mémoire de son copain complice batteur Nicolas Filiatreau, disparu cette année. Puis en conclusion retentit un thème basque dédié à sa maman de 97 printemps et éte, présente dans la salle avec son frère Gérard, accordéoniste ami fidèle de Marcel Azzola notamment. Chez Sylvain Luc la musique s’écrit et se lit aussi avec des notes en bas de page ( Au passage on notera que les parents de Paul Lay figuraient également dans le public…)
Le reste appartient au duo, formule inédite jusqu’à ce jour pour l’orthézien pianiste autant que le guitariste bayonnais. Des standards plus que standardisés dans leurs histoires respectives. Nardis de Miles suivi de Besa me mucho. Du brio à se réjouir rapido jaillit illico des mains des deux néo- complices, on s’en douterait. Mais Sylvain L. toujours joueur, kespiègle, tire son acolyte vers le défi. Et la complicité. L’histoire du baiser de Besa me mucho , élargi au delà de sa langueur habituelle tourne à une version rendue à une vie actuelle, un effet de phrasé très tactile. On ne peut que constater que ces deux instruments, guitare et piano, de facture très « harmoniques» à priori pas forcément faits pour s’entendre sinon voguer en épousailles sonores, de par le savoir faire et la personnalité singulière des deux impétrants, se rencontrent avec bonheur sous des mains experts. Et surtout sensibles. De fait les thèmes connus et reconnus, ainsi joués, sortent d’un cadre strict pour mieux exister. Seule (petite) réserve : les aficionados du genre auraient sans doute aimé que le duo, en cette première du genre, prolonge le moment sur la scène de Quintaou.
Emile Parisien (ss), Roberto Negro (p), Manu Codjia (g), Yoann Loustalot (tp), Florent Nisse (b) , Gauthier Garrigue (dm)
16 septembre.
On écoute les thèmes, on les entend comme autant de déclinaisons d’un chant global dont le refrain passe par une sonorité de sax soprano entre mille reconnaissable. Pour Louise, l’album sans doute le plus personnel d’Emile Parisien, la force est dans les thèmes tels qu’écrits initialement. Et dans leurs distributions pour et par les instruments choisis.
Justement, lorsque survient Jojo « composé pour ce musicien exceptionnel Joachim Kuhn que j’ai eu la chance de croiser sur scène» le contenu musical s’épanche sous les pulsions ides souffles continus du soprano bien sûr. Pourtant c‘est bien tout l’ensemble, l’orchestre en son entier qui monte ainsi en tension. Puis les lignes qui se décalent, se propagent éclatées in vivo renvoient à Ornette Coleman, un des géants emblématiques du jazz moderne auquel, ils ne sont pas si nombreux dans la période de sa fin de carrière, le pianiste allemand a eu accès jusqu’à enregistrer avec lui. Émile Parisien attaché à l’histoire de cette musique depuis son apprentissage au collège de Marciac, a su saisir la balle au bond. Cette bande, cet orchestre Yoann Loustalot en cette formule l’a rejoint depuis peu. Pour la séquence baptisée Memento il s’approprie d’abord avec naturel un unisson avec la basse. Avant de s’aventurer dans des notes de cuivre mat ou brillant. Plus loin il éclatera en échos multiples sur une base de rythmique frénétique.
Émile Parisien offre toujours ce parti pris à ces solistes de s’exprimer, d’aller à son image au bout de leur action, leur penchant de volonté créatrice instrumentale. À cet instant on le voit s’agenouiller; concentré dans l’écoute, il observe. Roberto Negro, compagnon de route de longue date pousse dès lors son travail de pointes sèches dans le ventre du piano. Pour terminer son activité en corps à corps, jusqu ‘au boutiste, tendu, arc bouté seul, frappant dru sur toute la longueur du clavier. Manu Codjia à son tour vrille torse, tronc et jambes en même temps que les cordes de sa guitare. Torsion plus tension électriques. Louise vit ainsi en direct de douceurs et de venins.
Et dans la version live, propulsée sur les planches, ressort de la musique, un jazz bien d’aujourd’hui dans ses antennes dressées, mais de l’action aussi, du physique, des corps en expression. Bref du spectacle vivant.
Robert Latxague
(photos R.L.)