Jazz live
Publié le 3 Juin 2019

Angoulême: Mélissa Laveaux, You Sun Nah voix métissées

Un nouveau lieu, une programmation plus ouverte que jamais sur l’actualité vivante des musiques du monde, un public à reconquérir: à Angoulême, en mode relance le festival Musiques Métisses fait le pari de la découverte par la qualité des contenus proposés au delà des grands noms et grandes affiches.

Il fait grand soleil en cette fin d’après midi sur la scène du Jardin. Mélissa Laveaux vient de débuter son concert qui ouvre le festival dans son nouveau décor des bords de Charentes. Mi provoc, mi mutine la chanteuse haïtienne du Canada branche le public resté en partie assis malgré l’assaut des des rythmes chaloupés. Mais son regard reste fixé sur un arbre, exogène dans ce lieu mais familier à ses yeux. À quelques mètres de la scène un palmier lui fait face…

Mélissa Laveaux (voc, el g),…  Martin Wangermée (dm)

Youn Sun Nah (voc), Rémi Vignolo (b, el b, dm )

Musique Métisse, Le Parvis des Chais Magelis, Angoulême (16000)

Deux chanteuses lancent la première journee de cette 41e édition du festival d’Angoulême  rebaptisé Musiques Métisses depuis 1987. Sans attendre la nuit, en pleine lumière de fin d’après midi. Deux voix fortes pour faire resonner les mots, les bouts d’histoire qui content et racontent des épisodes de vie. Deux personnalités de musiques métisses qui ont choisi de mettre en avant leur organe, leur expression et leur art de chanter comme élément central. Pour ajouter ensuite un environnement musical apte à servir cette voix, la renforcer, lui fournir des couleurs dominantes, des formes et du relief.

 

 

Mélissa Laveaux traite en brut les histoires de son album Radyo Siweil (No Format) Celles de la présence en mode troupe d’occupation dans son île natale des soldats américains débarqués dans les années trente. Voix chaude, épaisse, soumise à des variations de puissance comme de timbre pour souligner, illustrer le récit. Elle murmure, elle pousse le volume, use du cri au besoin en forme de ponctuation. L’accentuation, le débit, la souplesse dans le souffle porte les signes de la Caraïbe. On pourrait être dans les sons familiers des rues de Port au Prince. Pourtant sur sa guitare claquent comme des rifts simples de blues. La batterie de Martin Wangermée toujours à l’ecoute, apporte la pulsion. Plus une gamme d’encres fortes énergisantes.

 

Melissa Laveaux, Martin Wangermée

 

Alors dans ce contexte le créole arme ses mots, fait tirer sur les phrases. Mélissa Laveaux, chanteuse guerrière sans en avoir l’air place une histoire de divinité vaudoue chevauchant sa monture « Les américains avaient peur de cette chanson car elle symbolisait un pouvoir, celui du plaisir secret d’être haïtien… » Le chant, mots comme des lames, gorge serrée porte loin le témoignage, lance en écho le message d’une île d’atours et de misères combinés. Mais toujours socialement, politiquement incontrôlable. Volcanique.

 

 

Youn Sun Nah ne se résume bien entendu pas aux folies de ses voix plurielles. De la mer calme de douceurs rentrées (Mercy mercy me) jusqu’au feux d’artifice d’Asturias d’Isaac Albeniz avec force explosions d’aigües dans la nuit enfin tombée du ciel charentais. Elle suit son chemin, elle sait ce qu’elle veut laisser comme trace musicale. On entend monter, dans certaines voix dites autorisées du mundillo jazzistique en particulier, des critiques à propos de cet itinéraire en méandres hors du champ du jazz. Elle répond pour le coup d’une voix douce « Je ne vais pas me mettre à chanter des standards. Je fais ma musique, celle que je sens vivre en moi. Je poursuis ma route, je marque ainsi mon empreinte. Sur scène la formule du trio laisse beaucoup d’espace aux musiciens. Simplement l’environnement sonore ainsi construit évolue, le son se modifie au fur et à mesure, vit sa vie…» Un des musiciens justement étonne carrément  dans ce contexte live. Rémi Vignolo passe sans coup férir des cordes aux peaux et cymbales. De l’accoustique à l’électrisé, batterie et basses utlisées en fonction des climats « Je me suis toujours considèré comme…un faux bassiste. Sur cet instrument je brillais dans le contexte de la rythmique en son entier. J’ai longtemps joué par mimétisme avec le savoir de Dédé Cecarrelli, Daniel Humair, Éric Harland…Alors en venir à la batterie, quoi de plus naturel ? Avec Youn pouvoir m’exprimer su les deux instruments, c’est du rêve… » Déclinaison  scénique de son dernier album  (Immersion/Warner Music) Viennent des mots soufflés (Here to day), jaillissent des pics de syllabes jetées en percussion sur la reprise d’un traditionnel de la musique folk (God’s gonna cut you down) Puissance, voie d’appaisemnt, espaces improvisés: Youn Sun Nah joue sur les variations d’intensité. Quelques facilités parfois côté effets produits (répétitions amplifiées du leitmotiv Hallelujah) par jeu, peut-être pour accéder à plus de plaisir encore de faire, de capter l’attention. Mais la maîtrise l’emporte au final dans le savoir faire. Et la volonté de donner.

 

Rémi Vignolo

 

Le programme le clàme dans un titre choc : à Angoulème le festival qui fut en danger pas plus tard que trois ans auparavant propose maintenant « un  nouveau paysage, une nouvelle formule » Patrick Duval que l’association organisatrice de Musiques Métisses, et son fondateur Christian Mousset en particulier ont été quérir du côté du Rocher de Palmer à Cenon, fait le pari d’une programmation musicale ouverte. Et  d’un label de qualité question objectif en matière de vie culturelle « Il n’a jamais été aussi important qu’aujourd’hui de décloisonner, de créer de nouveaux espaces de rencontre, intergénérationnels, mélangeant les esthétiques musicales autour de ce fil conducteur formidable que sont les musiques du monde » 

Robert Latxague