ARCHIMUSIC à la MOUETTE RIEUSE
ENSEMBLE ARCHIMUSIC et LAURENCE MALHERBE
Jean-Rémy Guédon (saxophone ténor, composition, direction), Laurence Malherbe (mezzo-soprano), Guillaume Pierlot (hautbois et cor anglais), Emmanuelle Brunat (clarinette basse), Nicolas Fargeix (clarinette), Vincent Reynaud (basson), Fabrice Martinez (trompette & bugle), Yves Rousseau (contrebasse), David Pouradier Duteil (batterie, percussions)
Paris, La Mouette Rieuse, 13 avril 2018, 19h
Le propos, comme souvent avec Archimusic, est singulier : après Sade, Nietzsche et Cervantès, c’est au tour de l’empereur-philosophe du Haut-Empire et de la Pax Romana de s’inviter comme partenaire d’une aventure musicale. Singulier, le lieu l’est tout autant : c’est La Mouette Rieuse, une très sympathique librairie-bistrot-galerie-espace pluri-culturel du Marais. En préambule, pour expliquer son choix littéraro-philosophique, Jean-Rémy Guédon nous dit que les Pensées pour moi-même de Marc Aurèle ont joué un rôle important dans sa vie, et que souvent les morts l’ont davantage aidé que les vivants. La musique mêle indistinctement les langages, du jazz à la musique dite contemporaine en passant par les musiques du monde. La structure d’Archimusic, qui associe des chambristes et des jazzmen, y est pour beaucoup. Et la présence d’une chanteuse qui franchit régulièrement les frontières entre la musique romantique, le jazz ou la comédie musicale accentue encore ce désir de transversalité.
La texture instrumentale circule constamment entre musique de chambre et jazz. La voix, avec son vibrato, est désavantagée dans l’aigu par la réverbération du lieu, qui brouille un peu les fréquences. Mais la diction est bonne, l’expression très convaincante, et dans le médium la lisibilité est sans faille. Sur une des séquences, intitulée Gloire posthume, après un beau solo de clarinette basse, un duo s’engage avec la voix en une sorte de magie, avant un tutti, puis une improvisation enflammée de sax ténor, ponctuée de riffs très à propos.
Les textes de Marc-Aurèle parlent du destin, de la nature, des bienfaits du hasard ou de la prévalence du présent sur le passé et le futur. Après avoir consulté des experts, le compositeur a pris le parti d’adapter librement les traductions existantes du texte grec à une prosodie française qui coïncide avec la musique (avec cette musique en particulier). Quoi de plus sage quand on se rappelle la quantité de penseurs et de littérateurs romains qui écrivirent en grec, avant Jésus-Christ comme au début de notre ère, et dont nous lisons les traductions sans toujours nous soucier de la langue d’origine. Pour écrin à ces pensées, une musique qui circule très librement du souvenir de Bartók à Mingus (tendance ‘Tijuana Moods’) en passant par Prokofiev. Parfois même on jurerait que la musique anglaise des seizième et dix-septième siècles, voire la musique médiévale, ont hanté la mémoire du compositeur. Mais le jazz, toujours, est là, avec son énergie, ses inflexions syncopées et sa liberté foncière. Le concert fut émaillé d’une foule d’instants privilégiés : un contrepoint improvisé entre trompette et sax, un dialogue entre le bugle et le cor anglais, bref une foule de ces événements qui installent une musique dans le souvenir et l’émoi.
À l’issue du concert, le public fut invité, au bar du rez-de-chaussée, à déguster « un apéritif aux saveurs antiques» préparé par un traiteur spécialisé : on y goûta de l’Epityrum, des dattes au muscat et au poivre, du saucisson aux baies de myrte et pignons…. arrosés de vin blanc aux feuilles d’absinthe et de vin rouge aux baies de myrte : un parfait dépaysement comme bonheur conclusif.
Un disque vient de paraître : Jean-Rémy Guédon, Ensemble Archimusic, Laurence Malherbe « Pensées pour moi-même » (Marcal Classics / UVM distribution). Hiérarques de la musique vivante, programmateurs de festivals et autres médiateurs culturels patentés, soyez à l’écoute !
Xavier Prévost