Arte Flamenco: quand tambours et ballets cassent les codes…
Immobile, veste et pantalon seillants synthétiques, noir étincelant sous les spots, silhouette élancée, de dos, le danseur pointe vers le ciel un gant lamellé argent scintillant. Un bon coup de note basse couplé à la grosse caisse, un accord de guitare assourdissant : le corps athlétique se jette en mouvements saccadés. Mais c’est bien le zapateo, le claquement sec des talons qui mène la danse à mille volts. Joachim Grilo, bailador, chorégraphie convoque le Thriller de Michael Jackson pour mieux breaker live les codes du baile flamenco.
Antonio Rey, Diego del Morao, Fernando de la Morena (g), Ané Carrasco perc)
Joaquin Grilo (danse, chorégraphie), Francis Gomez (g), Rodrigo Carmona (p,cla) Ané Carrasco (perc)
Arte Flamenco, Café Cantante, Mont de Marsan (40000), 5 juillet
Qu’est ce qui pousse les guitaristes de flamenco -et désormais nombre de pianistes à la suite de Diego Amador et Chano Dominguez hier, David Dorantes ou Daniel Garcia aujourd’hui- vers l’attrait de la pulsation, du beat du jazz? Le langage de l’improvisation a toujours fait partie de leur langage musical, des codes de leur expression instrumentale. Peut-être la relation plus suivie, plus étroitement nouée avec les percussionnistes y contribue-t-elle plus précisément. Car désormais ce qui n’était au départ que la marque des palmas puis de l’incontournable cajón (curieusement d’origine péruvienne et importé de par l’intuition de Paco de Lucía) se manifeste aujourd’hui dans les tambours, congas, darboukas voire grosses caisses plus cymbales ét éventuelle charleston.
Pour les deux guitaristes invités sur la scène du Café Cantante de Mont de Marsan, ce sillon vers les accents du jazz se trouvaient plus ou moins imprimés dans les différents moments des concerts.
Diego del Morao, de la famille “Moreito” de Jerez de la Frontera (Andalousie) a toujours rendu hommage à l’art de Paco de Lucia, le “passeur” entre ces mondes de guitare. D’un jeu tourné globalement vers une certaine douceur, une manière quelque peu introvertie, il s’extrait parfois volontiers pour insister sur des ruptures, des montées en tension le long d’accords sèchement frappés à dominante de cordes graves. De quoi chercher le soutien du percussionniste dans la construction de rythmes plus appuyés, de séquences en mesures plus déliées.
Antonio Rey lui cultive le paradoxe. Sans doute plus flamenco, plus orthodoxe dans le phrasé en apparence il n’en va pas moins chercher l’accroche de la percussion, lançant des schémas en relief exacerbé pour provoquer l’effiscience rythmique. Sorte de swing à partager à vif. Et á vive allure en accélérations d’intensité autant que de tempo. A remarquer que lors de ces échanges le troisième guitariste, Fernando de la Morena, versé normalement dans un rôle fondamentalement rythmique -façon jazz manouche- n’hésite pas à se lancer à son tour, comme en mode relance provoquée, dans des chorus bien identifiés.
En feu d’artifice de musique et de mouvements, comme dans une mise en scène des différents leviers du flamenco d’aujourd’hui en pleine évolution/ébullition entre tradition et modernité, Joachim Grilo évoque donc les pas explosifs de Michaël Jackson ou de Fred Astaire. Avec les échos musicaux qui vont avec, acoustiques, électriques ou numériques. Et de la patte flamenca, dans le bouillonnement du mouvement, il s’en arrange. Sur les planches plus percutant que jamais.
Robert Latxague