Jazz live
Publié le 2 Juin 2022

Au Duc des Lombards, JEAN-MICHEL PROUST évoque BARNEY

 

Comme le concert de 19h30 était complet, le chroniqueur a réservé pour celui de 22h, au risque, assumé, d’avoir des difficultés à rallier sa banlieue, sinistrée par les défaillances du RER ; lamentations récurrentes en fin de chronique….

JEAN-MICHEL PROUST Quartet «To Barney Wilen»

Jean-Michel Proust (saxophones ténor, soprano, baryton), Jean-Philippe Bordier (guitare), Raphaël Dever (contrebasse), Mourad Benhammou (batterie)

Invitée : Patricia Bonner (voix)

Paris, Duc des Lombards, 1er juin 2022, 22h

Le propos de Jean-Michel Proust est d’évoquer Barney Wilen, dans l’esprit qui fut le sien à la fin des années 50 et au début des années 60, et aussi plus tard dans les années 80-90. Les écarts flamboyants des années aventureuses («Dear Prof. Leary», «Le nouveau jazz», «Zodiac», «Auto Jazz», «Moshi», et plus tard la rencontre avec le groupe de musique électro-acoustique ‘Dièse 440’) sont laissés de côté au profit du Barney ‘classique-moderne’, comme c’est le cas dans les deux disques de Jean-Michel Proust qui viennent de paraître («To Barney Wilen», Vol. 1 & 2, Big Blue Records / Frémeaux & Associés)

Les thèmes joués sont loin d’être tous ceux enregistrés par Barney, mais c’est l’esprit qui va prévaloir : le concert commence par Tres Palabras, cher à Tete Montoliu avec qui Barney a joué, Puis The Day of Wine and Roses, Portrait in Black and White, avant d’accoster du côté de No Problem, extrait de la bande originale du film Les Liasons dangereuses 1960, sorti en 1959, où Barney jouait en compagnie des Jazz Messengers. Puis ce seront Two Degrees East, Three Degrees West de John Lewis : Barney avait enregistré avec le pianiste (et Sache Distel) en 1957, mais il n’y avait pas ce thème ; et ensuite Solar de Miles Davis, dans une version nourrie des transcriptions des solos de Miles sur ce thème. Viendra ensuite un thème du tromboniste et compositeur David Baker, qui enseigna longtemps au Berklee College de Boston, puis Old Devil Moon, avec une allusion appuyée à la version de Rollins au Village Vanguard en 1957. Car ce qu’on évoque ici, ce n’est pas seulement Barney, son attachement aux standards, sa liberté de choix dans ses répertoires. C’est aussi un certain esprit de la musique incarné par Jim Hall, Jimmy Giuffre et beaucoup d’autres. Les échanges de Jean-Michel Proust, jusque-là au ténor, sont intenses, notamment avec le guitariste Jean-Philippe Bordier, orfèvre de l’écoute et du dialogue. Mais Raphaël Dever et Mourad Benhammou sont aussi de la fête, pour la connivence et l’interactivité musicale.

Vient l’instant où le quartette accueille la chanteuse Patricia Bonner qui va, comme sur le volume 2 du nouveau disque, chanter Rumba légère, écrite conjointement par le saxophoniste, pour ce thème au sax baryton, et par la chanteuse, afin d’évoquer le goût de Barney pour les mélodies populaires.

Retour au groupe instrumental, et pour clore le concert Jean-Michel Proust passe au soprano A Taste of Honey, pas dans le répertoire enregistré de Barney mais bien dans l’esprit de ces mélodies sucrées que le jazz métamorphose. Et en rappel, après une intro via Plaisir d’amour, ce sera Parlez-moi d’amour, que Barney avait enregistré en 1993. Belle conclusion pour cette libre évocation d’un musicien qui demeure cher à nos cœurs.

Il n’est pas anodin pour moi d’évoquer dans ces colonnes le fait que, fin 1981 et alors que je participais activement en Italie, près de la frontière, à une radio francophone baptisée ‘Radio K’, c’est Barney Wilen qui suggéra à Philippe Carles de me recruter pour Jazz Magazine. Et je dois ajouter que, quelques semaines plus tard, c’est en écoutant la K7 d’un direct dément où, sur son idée, Barney improvisa durant près de 3 heures sur les mixages que j’opérais (radio en disc-jockey : j’œuvrais au micro, aux platines, magnétos, et à la table de mixage….) que le directeur de France Musique décida de m’engager, alors que j’étais un petit gars de province inconnu de la jazzosphère parisienne. Début d’un séjour de 32 ans à France Musique, que prolongent pour mon plus grand plaisir les chroniques sur le site de Jazz Magazine. Alors, une fois encore, Merci Barney !

Dès la fin du concert, un peu avant 23h30, le chroniqueur s’est rué vers les Halles pour accéder au RER qui conduit à la Gare du Nord. Mais toutes les issues du centre commercial par lequel on accède aux transports publics étaient fermées : il m’a fallu faire un tour complet pour enfin accéder au quai, puis – le RER ’E’ étant en travaux comme presque chaque soir depuis 2 ans – , saisir Gare du Nord un métro jusqu’à Bobigny, puis un tramway, pour terminer par deux bons kilomètres de marche. Bilan, 1h40 pour faire un trajet que l’on faisait en temps normal (temps de longtemps révolu) en une bonne trentaine de minutes. Quand on aime la musique, il faut consentir quelques sacrifices….

Xavier Prévost