Jazz live
Publié le 7 Juin 2021

Au SUD du NORD : Franck Tortiller/ Misja Fitzgerald-Michel, CLPH

Un dimanche après-midi au Sud de l’Essonne, pour rendre visite aux concerts élaborés depuis 25 ans par le contrebassiste Philippe Laccarrière. Contre vents et marées, contre les tempêtes de la pandémie et le maquis des institutions. Dans les villes, bourgs et villages périurbains ou ruraux de ce département, il y eut longtemps un festival en septembre, sur plusieurs semaines, changeant de localité chaque jour, mais les bénévoles s’épuisaient à cette entreprise titanesque. C’est désormais le cycle de concerts ‘Laccaravane’ qui emprunte à son instigateur un fragment de son patronyme. Ainsi qu’un festival sur la journée du 10 juillet à Corbeil-Essonnes. Et le festival ‘Au Sud du Nord’ ramené à un format de 3 jours, du 27 au 29 août, dans un lieu unique. Toutes les infos sur le site

https://www.ausuddunord.fr/

CPLH

Olivier Cahours (guitare électro-acoustique), David Pouradier Duteil (batterie), Philippe Laccarrière (contrebasse électrique), Laurent Hestin (guitare électrique, voix avec effets)

La Ferté Alais, Salle Brunel, 6 juin 2021, 15h30

Un trio, CPL, dont les membres sont familiers aux amateurs de jazz, et un invité, Laurent Hestin, qui traverse tous les univers de la musique et du spectacle, et croise régulièrement dans les parages du jazz.

Le groupe nous entraîne dans un programme où João Bosco côtoie Nougaro, Nino Ferrer, le reggae, les ballades pop et Gainsbourg. Deux guitaristes aux sonorité et langage différents, mais qui convergent dans la musique, exprimant leurs singularités dans l’improvisation. Un bassiste qui conjugue les fondations et les phrasés chantants, et un batteur qui manifestement jubile comme chaque fois qu’il évolue dans une univers hybride. La pluie fait des claquettes de Claude Nougaro surgira d’un profil revisité. Le Sud de Nino Ferrer chantera toute sa mélancolie. Sur le reggae, Laurent Hestin doublera ses phrases d’une voix traitée par des effets. Et Pauvre Lola de Gainsbourg sera joué comme un thème de jazz, avec des bouffées d’impro sur, me semble-t-il, un pont élaboré pour la circonstance : il faut se rappeler que la version originale fut enregistrée en compagnie d’Alain Goraguer, Pierre Michelot, Christian Garros et Eddy Louiss…. Avec des échanges de 8 mesures entre le batteur et le groupe, se sera la chaude conclusion du set.

À l’entracte, pendant que l’on installe le vibraphone, Philippe Laccarrière nous parle de l’évolution du métier de jazzman. Ses aînés, comme Henri Texier, lui parlent d’un temps où un groupe jouait dans un club chaque soir durant tout un mois. Lui a connu des engagements d’une semaine. Cela favorisait le développement de la musique au sein d’un groupe. Aujourd’hui, pour de multiples raisons (tarissement de la vie nocturne du jazz, éclosion de multiples nouveaux talents grâce à la pédagogie du jazz amorcée dès les années 70), il est rare de jouer plus d’un soir au même endroit. Au Sud du Nord va s’efforcer de développer des séries de deux ou trois soirs dans un même lieu, fût-il modeste, pour combattre cette tendance préjudiciable à la qualité de la musique. Ce sera le cas en juillet dans cette même salle avec Henri Texier et son ‘Chance Trio’ (voir le programme sur le site)

FRANCK TORTILLER / MISJA FITZGERALD-MICHEL

Franck Tortiller (vibraphone), Misja Fitzgeral-Michel (guitare électro-acoustique)

La Ferté Alais, Salle Brunel, 6 juin 2021, 17h

Ce duo a publié l’été dernier un très beau disque intitulé «Les heures propices» (MCO/Socadisc. ‘Choc’ Jazz Magazine en juillet-août 2020). La pandémie a fait que la plupart des concerts prévus depuis lors n’ont pas eu lieu. Pour moi qui avais adoré le CD, pouvoir enfin écouter le duo sur scène était en soi déjà un bonheur. Et je dois dire que mon attente fut comblée. Le concert commence me semble-t-il apr le thème qui ouvrait le disque. On est d’emblée dans le plus vif du sujet. Les concerts ont manqué mais les musiciens sont totalement en phase, avec une joie de jouer palpable, et une concentration idéale, sans crispation aucune. Puis c’est Air, Love and Vitamins, un thème signé par le guitariste autrichien Harry Pepl, disparu voici plus de quinze ans, et qui fut le partenaire de Franck Tortiller au sein du Vienna Art Orchestra. On est bien dans l’atmosphère folky qui va prévaloir au fil du concert comme sur le disque. Mais le thème suivant, qui commence par des grondements de guitare avec une note basse omniprésente, et une cavalcade en dialogue entre les deux musiciens, nous rappelle que le duo se chauffe aussi d’un autre bois. Retour à la mélodie sereine ensuite avec Redemption Song de Bob Marley. Les phrasés accentuent encore l’expressivité naturelle de ce thème. C’est un festival de connivence musicale entre la guitare et le vibraphone. Puis c’est une composition de Monk, Bemsha Swing, qui n’est pas sur le disque mais dont le duo a fait une vidéo sur Youtube. C’est plein jazz et ça barde ! Autre inédit (pas sur Youtube celui-là) : retour au lyrisme, avec Witchi-Tai-To de Jim Pepper. Et ça va déménager à nouveau avec Clos des corvées, hommage du Bourguignon à ses chers terroirs viti-vinicoles. C’est très vif, inspiré, et les unissons de folie donnent le vertige…. Ce duo est d’une qualité et d’une présence qui mériteraient les plus grandes scènes (programmateurs de festivals, tendez l’oreille….). Et pour conclure les deux groupes se rassemblent en sextette pour un vieux Beatles de derrière les fagots : Norvegian Wood. Belle conclusion pour cet après-midi ‘Au Sud du Nord’.

Xavier Prévost