Aurora hourrah!
« Trois des plus grands musiciens de la planète » selon le guitariste Joe Morris, qui en connait un rayon. A en juger par le concert triomphal qu’ont donné Agustí Fernández (p), Barry Guy (b) et Ramon López (d), on ne le contredira pas…
Aurora trio, 24 septembre 2013, Théâtre du Pavé à Toulouse dans le cadre de la programmation « Un Pavé dans le Jazz ».
Agustí Fernández plante le décor, d’abord introspectif, lyrique, contemplatif, en quelques frappes bien choisies… Le pianiste semble initialement hésiter, mais sitôt lancé, les mouvements des doigts mettent la musique sur les rails, les notes se succèdent naturellement, la musique semblant s’écouler toute seule, comme jaillissant d’une source fraîchement découverte… On navigue dans des couleurs latines, empreintes d’un sentimentalisme assumé… Mais méfions-nous de l’eau qui dort! Les partenaires du catalan le rejoignent, prenant le train en marche avec douceur mais en apportant dans leurs bagages plusieurs décennies de pratique de l’improvisation. Il n’en faut pas davantage à Fernández pour abonder dans leur sens, encourager les envols, frotter les cordes du piano pour extirper du râtelier de puissantes vagues sonores… Guy se signale par un jeu à la fois exigeant et chaleureux, car habité d’une humanité immédiatement touchante et qui entraîne sans mal les auditeurs dans son sillage. Le thème émerge sous les phalanges d’ Agustí. López est fidèle à lui-même – simultanément bouillant et sensible – et concentré jusqu’à l’absorption dans le tissu musical qui se fabrique en direct. De vigoureuses sautes d’humeur semblent dépeindre quelque tempête de l’âme, à commencer par un duo contrebasse/batterie d’une grande vivacité.
Le trio Aurora existe depuis dix ans, formé par le pianiste, et ses membres disposent de ressources techniques considérables leur permettant de s’aventurer de la délicatesse la plus pointilliste à de cinglants déferlements de passion. Les deux côtés d’un romantisme tragique qui semble contenu dans toutes les compositions de Fernández. Après « A moment’s Liberty » vient « Ana Lisa », signé Barry Guy. Tempo lent et même lancinant, musique rêveuse qui ne hâte pas sa détermination et évoque le sentiment que l’on peut éprouver au réveil quand on ne sait pas encore très bien dans quel état d’esprit l’on se trouve ni quelle forme aura la journée… Picasso, Bacon et Dalí trouvent donc leur voie dans une pièce très structurée mais qui sert de rampe à une décharge de free music des grands jours. Fernández joue des poings, harcèle les graves et martèle les aigus. La dimension physique du jeu de Barry Guy demeure un élément visuel impressionnant. Mon voisin de fauteuil me souffle : « Je n’avais jamais vu Barry Guy en live mais je possède certains de ses disques. Eh bien, je retrouve ici en moins d’une minute de jeu toutes les expressions et postures des photos de pochette! »… C’est que le britannique, d’une grande courtoisie à l’heure du thé, se change en géant rageur défiant les montagnes une fois sur les planches. Question artillerie, Ramon López n’est pas moins colossal… Les trois amis puisent souvent force comme idées dans des échanges de regards… Une dimension sportive est en outre indéniable, nos athlètes passant sans sourciller de l’effort soutenu à l’orfèvrerie micro-sonique en un clin d’œil.
Le titre suivant confirme l’orientation esthétique du trio, ce mélange étonnant d’abandon lyrique et de free débordant. Comme si les colères et révoltes politiques qui ont longtemps irrigué ces musiques avaient été internalisées et remplacées ici par les embardées du cœur… Elles n’en sont pas moins intenses ! Cet art exige tout de ses vaisseaux, élan vital, abnégation, et de faire appel à la totalité de leurs expériences respectives et communes, musicales et extra-musicales… Une musique comme issue d’un alambic, fruit de trois parcours croisés, trois parcours plus riches que les desserts de chez Navarre. Leur connaissance du répertoire dans ses moindres recoins leur permet d’emmener les compositions très loin de leur formalisation initiale… sans jamais en oublier l’origine. Après « Bielefeld Breakout », c’est « Uma », discrètement dirigé par le leader. Point commun à toutes ces compositions : une culture du contraste, entre économie de notes et multiplication d’icelles, comme par subdivision atomique… Les rythmes sont rarement marqués, les mélodies s’extraient tantôt des improvisations et tantôt les précèdent… Mâchoires serrées, les trois poètes se jettent à corps perdu dans le maelström cher à Edgar Poe… Tandis que Barry Guy délivre un magnifique solo, Fernández prend l’initiative de vigoureuses interjections qu’il met en œuvre à l’unisson avec son compatriote. Guy propulse alors le tout vers un free échevelé qui remplit la salle de vibrations vitalistes, avant que le morceau ne regagne à tâtons les limbes dont il était venu… Une pièce modale s’ensuit, le pianiste explorant le cadre du piano, et toujours en sous-texte cette mélancolie passionnelle, cette douce morsure de nostalgie… Je crois reconnaître « Ramon en Paris » qui ouvre l’album « Azul » du duo Fernández/López, récemment encensé d’un CHOC dans les pages de votre journal préféré (mais non, pas l’Equipe…). Le titre est empreint de gravité – la griffe de Fernández, qui revendique l’influence du compositeur ibérique Federico Mompou (1893-1987), López prenant en charge la nécessaire part d’irrévérence permettant d’équilibrer le discours. Des applaudissements nourris précèdent le rappel, nouvelle composition sur le fil d’une grande tendresse et d’une irrépressible liberté.
Au début du concert, le pianiste avait tenu à remercier les spectateurs de s’être déplacés, précisant que la communion qu’il existe entre une salle et des artistes sur une scène ne pouvait être remplacée par l’écoute de la musique sur support, matériel ou immatériel. Pour l’association Un Pavé dans le Jazz, le théâtre du Pavé qui l’héberge, et surtout les spectateurs venus nombreux écouter le trio et échanger autour de verres d’un délicieux blanc naturel du Minervois, ce fut une ouverture de saison idéale, l’enthousiasme se dessinant sur tous les visages au long de cette soirée. La même équipe de passionnés vous proposera prochainement et toujours à Toulouse les concerts de The Bridge # 1 (Joëlle Léandre/Jean-Luc Cappozzo/Bernard Santacruz/Michael Zerang/Douglas R. Ewart) à la Fabrique Culturelle le 16 octobre, Ken Vandermark & Paal Nilssen-Love au théâtre du Pavé le 26 octobre, Vincent Peirani solo le 7 novembre au Lieu Commun, puis dans les mois suivants Jonas Kocher, Pascal Contet, Paul Rogers’ Whahay et bien d’autres…
David Cristol
Merci à Ludovic « big ears » Florin|« Trois des plus grands musiciens de la planète » selon le guitariste Joe Morris, qui en connait un rayon. A en juger par le concert triomphal qu’ont donné Agustí Fernández (p), Barry Guy (b) et Ramon López (d), on ne le contredira pas…
Aurora trio, 24 septembre 2013, Théâtre du Pavé à Toulouse dans le cadre de la programmation « Un Pavé dans le Jazz ».
Agustí Fernández plante le décor, d’abord introspectif, lyrique, contemplatif, en quelques frappes bien choisies… Le pianiste semble initialement hésiter, mais sitôt lancé, les mouvements des doigts mettent la musique sur les rails, les notes se succèdent naturellement, la musique semblant s’écouler toute seule, comme jaillissant d’une source fraîchement découverte… On navigue dans des couleurs latines, empreintes d’un sentimentalisme assumé… Mais méfions-nous de l’eau qui dort! Les partenaires du catalan le rejoignent, prenant le train en marche avec douceur mais en apportant dans leurs bagages plusieurs décennies de pratique de l’improvisation. Il n’en faut pas davantage à Fernández pour abonder dans leur sens, encourager les envols, frotter les cordes du piano pour extirper du râtelier de puissantes vagues sonores… Guy se signale par un jeu à la fois exigeant et chaleureux, car habité d’une humanité immédiatement touchante et qui entraîne sans mal les auditeurs dans son sillage. Le thème émerge sous les phalanges d’ Agustí. López est fidèle à lui-même – simultanément bouillant et sensible – et concentré jusqu’à l’absorption dans le tissu musical qui se fabrique en direct. De vigoureuses sautes d’humeur semblent dépeindre quelque tempête de l’âme, à commencer par un duo contrebasse/batterie d’une grande vivacité.
Le trio Aurora existe depuis dix ans, formé par le pianiste, et ses membres disposent de ressources techniques considérables leur permettant de s’aventurer de la délicatesse la plus pointilliste à de cinglants déferlements de passion. Les deux côtés d’un romantisme tragique qui semble contenu dans toutes les compositions de Fernández. Après « A moment’s Liberty » vient « Ana Lisa », signé Barry Guy. Tempo lent et même lancinant, musique rêveuse qui ne hâte pas sa détermination et évoque le sentiment que l’on peut éprouver au réveil quand on ne sait pas encore très bien dans quel état d’esprit l’on se trouve ni quelle forme aura la journée… Picasso, Bacon et Dalí trouvent donc leur voie dans une pièce très structurée mais qui sert de rampe à une décharge de free music des grands jours. Fernández joue des poings, harcèle les graves et martèle les aigus. La dimension physique du jeu de Barry Guy demeure un élément visuel impressionnant. Mon voisin de fauteuil me souffle : « Je n’avais jamais vu Barry Guy en live mais je possède certains de ses disques. Eh bien, je retrouve ici en moins d’une minute de jeu toutes les expressions et postures des photos de pochette! »… C’est que le britannique, d’une grande courtoisie à l’heure du thé, se change en géant rageur défiant les montagnes une fois sur les planches. Question artillerie, Ramon López n’est pas moins colossal… Les trois amis puisent souvent force comme idées dans des échanges de regards… Une dimension sportive est en outre indéniable, nos athlètes passant sans sourciller de l’effort soutenu à l’orfèvrerie micro-sonique en un clin d’œil.
Le titre suivant confirme l’orientation esthétique du trio, ce mélange étonnant d’abandon lyrique et de free débordant. Comme si les colères et révoltes politiques qui ont longtemps irrigué ces musiques avaient été internalisées et remplacées ici par les embardées du cœur… Elles n’en sont pas moins intenses ! Cet art exige tout de ses vaisseaux, élan vital, abnégation, et de faire appel à la totalité de leurs expériences respectives et communes, musicales et extra-musicales… Une musique comme issue d’un alambic, fruit de trois parcours croisés, trois parcours plus riches que les desserts de chez Navarre. Leur connaissance du répertoire dans ses moindres recoins leur permet d’emmener les compositions très loin de leur formalisation initiale… sans jamais en oublier l’origine. Après « Bielefeld Breakout », c’est « Uma », discrètement dirigé par le leader. Point commun à toutes ces compositions : une culture du contraste, entre économie de notes et multiplication d’icelles, comme par subdivision atomique… Les rythmes sont rarement marqués, les mélodies s’extraient tantôt des improvisations et tantôt les précèdent… Mâchoires serrées, les trois poètes se jettent à corps perdu dans le maelström cher à Edgar Poe… Tandis que Barry Guy délivre un magnifique solo, Fernández prend l’initiative de vigoureuses interjections qu’il met en œuvre à l’unisson avec son compatriote. Guy propulse alors le tout vers un free échevelé qui remplit la salle de vibrations vitalistes, avant que le morceau ne regagne à tâtons les limbes dont il était venu… Une pièce modale s’ensuit, le pianiste explorant le cadre du piano, et toujours en sous-texte cette mélancolie passionnelle, cette douce morsure de nostalgie… Je crois reconnaître « Ramon en Paris » qui ouvre l’album « Azul » du duo Fernández/López, récemment encensé d’un CHOC dans les pages de votre journal préféré (mais non, pas l’Equipe…). Le titre est empreint de gravité – la griffe de Fernández, qui revendique l’influence du compositeur ibérique Federico Mompou (1893-1987), López prenant en charge la nécessaire part d’irrévérence permettant d’équilibrer le discours. Des applaudissements nourris précèdent le rappel, nouvelle composition sur le fil d’une grande tendresse et d’une irrépressible liberté.
Au début du concert, le pianiste avait tenu à remercier les spectateurs de s’être déplacés, précisant que la communion qu’il existe entre une salle et des artistes sur une scène ne pouvait être remplacée par l’écoute de la musique sur support, matériel ou immatériel. Pour l’association Un Pavé dans le Jazz, le théâtre du Pavé qui l’héberge, et surtout les spectateurs venus nombreux écouter le trio et échanger autour de verres d’un délicieux blanc naturel du Minervois, ce fut une ouverture de saison idéale, l’enthousiasme se dessinant sur tous les visages au long de cette soirée. La même équipe de passionnés vous proposera prochainement et toujours à Toulouse les concerts de The Bridge # 1 (Joëlle Léandre/Jean-Luc Cappozzo/Bernard Santacruz/Michael Zerang/Douglas R. Ewart) à la Fabrique Culturelle le 16 octobre, Ken Vandermark & Paal Nilssen-Love au théâtre du Pavé le 26 octobre, Vincent Peirani solo le 7 novembre au Lieu Commun, puis dans les mois suivants Jonas Kocher, Pascal Contet, Paul Rogers’ Whahay et bien d’autres…
David Cristol
Merci à Ludovic « big ears » Florin|« Trois des plus grands musiciens de la planète » selon le guitariste Joe Morris, qui en connait un rayon. A en juger par le concert triomphal qu’ont donné Agustí Fernández (p), Barry Guy (b) et Ramon López (d), on ne le contredira pas…
Aurora trio, 24 septembre 2013, Théâtre du Pavé à Toulouse dans le cadre de la programmation « Un Pavé dans le Jazz ».
Agustí Fernández plante le décor, d’abord introspectif, lyrique, contemplatif, en quelques frappes bien choisies… Le pianiste semble initialement hésiter, mais sitôt lancé, les mouvements des doigts mettent la musique sur les rails, les notes se succèdent naturellement, la musique semblant s’écouler toute seule, comme jaillissant d’une source fraîchement découverte… On navigue dans des couleurs latines, empreintes d’un sentimentalisme assumé… Mais méfions-nous de l’eau qui dort! Les partenaires du catalan le rejoignent, prenant le train en marche avec douceur mais en apportant dans leurs bagages plusieurs décennies de pratique de l’improvisation. Il n’en faut pas davantage à Fernández pour abonder dans leur sens, encourager les envols, frotter les cordes du piano pour extirper du râtelier de puissantes vagues sonores… Guy se signale par un jeu à la fois exigeant et chaleureux, car habité d’une humanité immédiatement touchante et qui entraîne sans mal les auditeurs dans son sillage. Le thème émerge sous les phalanges d’ Agustí. López est fidèle à lui-même – simultanément bouillant et sensible – et concentré jusqu’à l’absorption dans le tissu musical qui se fabrique en direct. De vigoureuses sautes d’humeur semblent dépeindre quelque tempête de l’âme, à commencer par un duo contrebasse/batterie d’une grande vivacité.
Le trio Aurora existe depuis dix ans, formé par le pianiste, et ses membres disposent de ressources techniques considérables leur permettant de s’aventurer de la délicatesse la plus pointilliste à de cinglants déferlements de passion. Les deux côtés d’un romantisme tragique qui semble contenu dans toutes les compositions de Fernández. Après « A moment’s Liberty » vient « Ana Lisa », signé Barry Guy. Tempo lent et même lancinant, musique rêveuse qui ne hâte pas sa détermination et évoque le sentiment que l’on peut éprouver au réveil quand on ne sait pas encore très bien dans quel état d’esprit l’on se trouve ni quelle forme aura la journée… Picasso, Bacon et Dalí trouvent donc leur voie dans une pièce très structurée mais qui sert de rampe à une décharge de free music des grands jours. Fernández joue des poings, harcèle les graves et martèle les aigus. La dimension physique du jeu de Barry Guy demeure un élément visuel impressionnant. Mon voisin de fauteuil me souffle : « Je n’avais jamais vu Barry Guy en live mais je possède certains de ses disques. Eh bien, je retrouve ici en moins d’une minute de jeu toutes les expressions et postures des photos de pochette! »… C’est que le britannique, d’une grande courtoisie à l’heure du thé, se change en géant rageur défiant les montagnes une fois sur les planches. Question artillerie, Ramon López n’est pas moins colossal… Les trois amis puisent souvent force comme idées dans des échanges de regards… Une dimension sportive est en outre indéniable, nos athlètes passant sans sourciller de l’effort soutenu à l’orfèvrerie micro-sonique en un clin d’œil.
Le titre suivant confirme l’orientation esthétique du trio, ce mélange étonnant d’abandon lyrique et de free débordant. Comme si les colères et révoltes politiques qui ont longtemps irrigué ces musiques avaient été internalisées et remplacées ici par les embardées du cœur… Elles n’en sont pas moins intenses ! Cet art exige tout de ses vaisseaux, élan vital, abnégation, et de faire appel à la totalité de leurs expériences respectives et communes, musicales et extra-musicales… Une musique comme issue d’un alambic, fruit de trois parcours croisés, trois parcours plus riches que les desserts de chez Navarre. Leur connaissance du répertoire dans ses moindres recoins leur permet d’emmener les compositions très loin de leur formalisation initiale… sans jamais en oublier l’origine. Après « Bielefeld Breakout », c’est « Uma », discrètement dirigé par le leader. Point commun à toutes ces compositions : une culture du contraste, entre économie de notes et multiplication d’icelles, comme par subdivision atomique… Les rythmes sont rarement marqués, les mélodies s’extraient tantôt des improvisations et tantôt les précèdent… Mâchoires serrées, les trois poètes se jettent à corps perdu dans le maelström cher à Edgar Poe… Tandis que Barry Guy délivre un magnifique solo, Fernández prend l’initiative de vigoureuses interjections qu’il met en œuvre à l’unisson avec son compatriote. Guy propulse alors le tout vers un free échevelé qui remplit la salle de vibrations vitalistes, avant que le morceau ne regagne à tâtons les limbes dont il était venu… Une pièce modale s’ensuit, le pianiste explorant le cadre du piano, et toujours en sous-texte cette mélancolie passionnelle, cette douce morsure de nostalgie… Je crois reconnaître « Ramon en Paris » qui ouvre l’album « Azul » du duo Fernández/López, récemment encensé d’un CHOC dans les pages de votre journal préféré (mais non, pas l’Equipe…). Le titre est empreint de gravité – la griffe de Fernández, qui revendique l’influence du compositeur ibérique Federico Mompou (1893-1987), López prenant en charge la nécessaire part d’irrévérence permettant d’équilibrer le discours. Des applaudissements nourris précèdent le rappel, nouvelle composition sur le fil d’une grande tendresse et d’une irrépressible liberté.
Au début du concert, le pianiste avait tenu à remercier les spectateurs de s’être déplacés, précisant que la communion qu’il existe entre une salle et des artistes sur une scène ne pouvait être remplacée par l’écoute de la musique sur support, matériel ou immatériel. Pour l’association Un Pavé dans le Jazz, le théâtre du Pavé qui l’héberge, et surtout les spectateurs venus nombreux écouter le trio et échanger autour de verres d’un délicieux blanc naturel du Minervois, ce fut une ouverture de saison idéale, l’enthousiasme se dessinant sur tous les visages au long de cette soirée. La même équipe de passionnés vous proposera prochainement et toujours à Toulouse les concerts de The Bridge # 1 (Joëlle Léandre/Jean-Luc Cappozzo/Bernard Santacruz/Michael Zerang/Douglas R. Ewart) à la Fabrique Culturelle le 16 octobre, Ken Vandermark & Paal Nilssen-Love au théâtre du Pavé le 26 octobre, Vincent Peirani solo le 7 novembre au Lieu Commun, puis dans les mois suivants Jonas Kocher, Pascal Contet, Paul Rogers’ Whahay et bien d’autres…
David Cristol
Merci à Ludovic « big ears » Florin|« Trois des plus grands musiciens de la planète » selon le guitariste Joe Morris, qui en connait un rayon. A en juger par le concert triomphal qu’ont donné Agustí Fernández (p), Barry Guy (b) et Ramon López (d), on ne le contredira pas…
Aurora trio, 24 septembre 2013, Théâtre du Pavé à Toulouse dans le cadre de la programmation « Un Pavé dans le Jazz ».
Agustí Fernández plante le décor, d’abord introspectif, lyrique, contemplatif, en quelques frappes bien choisies… Le pianiste semble initialement hésiter, mais sitôt lancé, les mouvements des doigts mettent la musique sur les rails, les notes se succèdent naturellement, la musique semblant s’écouler toute seule, comme jaillissant d’une source fraîchement découverte… On navigue dans des couleurs latines, empreintes d’un sentimentalisme assumé… Mais méfions-nous de l’eau qui dort! Les partenaires du catalan le rejoignent, prenant le train en marche avec douceur mais en apportant dans leurs bagages plusieurs décennies de pratique de l’improvisation. Il n’en faut pas davantage à Fernández pour abonder dans leur sens, encourager les envols, frotter les cordes du piano pour extirper du râtelier de puissantes vagues sonores… Guy se signale par un jeu à la fois exigeant et chaleureux, car habité d’une humanité immédiatement touchante et qui entraîne sans mal les auditeurs dans son sillage. Le thème émerge sous les phalanges d’ Agustí. López est fidèle à lui-même – simultanément bouillant et sensible – et concentré jusqu’à l’absorption dans le tissu musical qui se fabrique en direct. De vigoureuses sautes d’humeur semblent dépeindre quelque tempête de l’âme, à commencer par un duo contrebasse/batterie d’une grande vivacité.
Le trio Aurora existe depuis dix ans, formé par le pianiste, et ses membres disposent de ressources techniques considérables leur permettant de s’aventurer de la délicatesse la plus pointilliste à de cinglants déferlements de passion. Les deux côtés d’un romantisme tragique qui semble contenu dans toutes les compositions de Fernández. Après « A moment’s Liberty » vient « Ana Lisa », signé Barry Guy. Tempo lent et même lancinant, musique rêveuse qui ne hâte pas sa détermination et évoque le sentiment que l’on peut éprouver au réveil quand on ne sait pas encore très bien dans quel état d’esprit l’on se trouve ni quelle forme aura la journée… Picasso, Bacon et Dalí trouvent donc leur voie dans une pièce très structurée mais qui sert de rampe à une décharge de free music des grands jours. Fernández joue des poings, harcèle les graves et martèle les aigus. La dimension physique du jeu de Barry Guy demeure un élément visuel impressionnant. Mon voisin de fauteuil me souffle : « Je n’avais jamais vu Barry Guy en live mais je possède certains de ses disques. Eh bien, je retrouve ici en moins d’une minute de jeu toutes les expressions et postures des photos de pochette! »… C’est que le britannique, d’une grande courtoisie à l’heure du thé, se change en géant rageur défiant les montagnes une fois sur les planches. Question artillerie, Ramon López n’est pas moins colossal… Les trois amis puisent souvent force comme idées dans des échanges de regards… Une dimension sportive est en outre indéniable, nos athlètes passant sans sourciller de l’effort soutenu à l’orfèvrerie micro-sonique en un clin d’œil.
Le titre suivant confirme l’orientation esthétique du trio, ce mélange étonnant d’abandon lyrique et de free débordant. Comme si les colères et révoltes politiques qui ont longtemps irrigué ces musiques avaient été internalisées et remplacées ici par les embardées du cœur… Elles n’en sont pas moins intenses ! Cet art exige tout de ses vaisseaux, élan vital, abnégation, et de faire appel à la totalité de leurs expériences respectives et communes, musicales et extra-musicales… Une musique comme issue d’un alambic, fruit de trois parcours croisés, trois parcours plus riches que les desserts de chez Navarre. Leur connaissance du répertoire dans ses moindres recoins leur permet d’emmener les compositions très loin de leur formalisation initiale… sans jamais en oublier l’origine. Après « Bielefeld Breakout », c’est « Uma », discrètement dirigé par le leader. Point commun à toutes ces compositions : une culture du contraste, entre économie de notes et multiplication d’icelles, comme par subdivision atomique… Les rythmes sont rarement marqués, les mélodies s’extraient tantôt des improvisations et tantôt les précèdent… Mâchoires serrées, les trois poètes se jettent à corps perdu dans le maelström cher à Edgar Poe… Tandis que Barry Guy délivre un magnifique solo, Fernández prend l’initiative de vigoureuses interjections qu’il met en œuvre à l’unisson avec son compatriote. Guy propulse alors le tout vers un free échevelé qui remplit la salle de vibrations vitalistes, avant que le morceau ne regagne à tâtons les limbes dont il était venu… Une pièce modale s’ensuit, le pianiste explorant le cadre du piano, et toujours en sous-texte cette mélancolie passionnelle, cette douce morsure de nostalgie… Je crois reconnaître « Ramon en Paris » qui ouvre l’album « Azul » du duo Fernández/López, récemment encensé d’un CHOC dans les pages de votre journal préféré (mais non, pas l’Equipe…). Le titre est empreint de gravité – la griffe de Fernández, qui revendique l’influence du compositeur ibérique Federico Mompou (1893-1987), López prenant en charge la nécessaire part d’irrévérence permettant d’équilibrer le discours. Des applaudissements nourris précèdent le rappel, nouvelle composition sur le fil d’une grande tendresse et d’une irrépressible liberté.
Au début du concert, le pianiste avait tenu à remercier les spectateurs de s’être déplacés, précisant que la communion qu’il existe entre une salle et des artistes sur une scène ne pouvait être remplacée par l’écoute de la musique sur support, matériel ou immatériel. Pour l’association Un Pavé dans le Jazz, le théâtre du Pavé qui l’héberge, et surtout les spectateurs venus nombreux écouter le trio et échanger autour de verres d’un délicieux blanc naturel du Minervois, ce fut une ouverture de saison idéale, l’enthousiasme se dessinant sur tous les visages au long de cette soirée. La même équipe de passionnés vous proposera prochainement et toujours à Toulouse les concerts de The Bridge # 1 (Joëlle Léandre/Jean-Luc Cappozzo/Bernard Santacruz/Michael Zerang/Douglas R. Ewart) à la Fabrique Culturelle le 16 octobre, Ken Vandermark & Paal Nilssen-Love au théâtre du Pavé le 26 octobre, Vincent Peirani solo le 7 novembre au Lieu Commun, puis dans les mois suivants Jonas Kocher, Pascal Contet, Paul Rogers’ Whahay et bien d’autres…
David Cristol
Merci à Ludovic « big ears » Florin