Aurore Voilqué reçoit Romane au Bal Blomet
Hier, 13 avril, les Jeudis de Jazz Magazine au Bal Blomet se tenaient un samedi, et Aurore Voilqué recevait non pas Angelo Debarre, le guitariste de son nouveau quartette, mais Romane venu le remplacer au pied levé. Mais nul n’aurait pu deviner qu’il ne faisait que passer…
La grande problématique du jazz, des jazzfans comme des médias, c’est sa diversité. Une problématique qui embarrasse tout autant les musiciens dont la culture et les pratiques dont aujourd’hui constituées de la multitude de strates accumulées au fil de l’Histoire, du ragtime ancestral aux free jazz et au jazz-rock et du nombre croissant d’affluents esthétiques étrangers à ses sources qui n’on cessé de venir gonfler son courant principal, son mainstream, qui tend aujourd’hui à se disperser en un vaste delta où l’on peut aller d’un bras, d’un étang ou d’un marais à l’autre et y rencontrer d’ailleurs les mêmes musiciens en maraude stylistique. Confrontée à cette situation, sans jamais s’éloigner très loin de sa tribu initiale – mais ne s’est-elle pas amusé à s’égarer du côté d’un “Electro Project” –, Aurore Voilqué a opté pour des non-choix. Refus de choisir entre la chanson et le jazz, entre le chant et le violon, avec un violon ancré dans l’héritage de Stéphane Grappelli, mais qui s’aventure aussi du côté de Stuff Smith pour le côté percussif et Jean-Luc Ponty pour la droiture du son et certaines tournures mélodiques.
Ce qui en fait la cohésion c’est une générosité, une fraîcheur, une spontanéité qui font tomber toute résistance, cohésion blindée au sein de ce nouveau quartette par la rythmique puissante et nerveuse de Matthieu Châtelain (guitare rythmique) et Claudius Dupont. Remplaçant au pied levé Angelo Debarre, l’air de rien, Romane assume la prise de risque, laisse entendre que tout le plaisir est là, et s’il y aura un ou deux flottements, c’est avec bonheur qu’il fera de ces incidents des avènements, et personne n’y verra que du feu. Car le feu, il l’allume partout, d’étincelles en flambées, de flamèches en grand incendie qui font rayonner le violon de son hôte. Et comme toujours, il nous réconcilie avec cette guitare manouche qui trop souvent vrombit en début de phrase pour partir invariablement dans le même décor à la 8ème mesure. En single notes, en octaves, en block chords, Romane flâne, respire, bondit, suspend, chevauche, contourne, enjambe, raconte et décore, nous fait oublier la carrure des refrains et renouvelle constamment la façon de faire chanter ses phrases, et ce jusque sur l’infernal tempo de Chinatown. Aurore Voilqué chantera encore la Valse bohémienne de l’absent Angelo Debarre qui donne son titre à l’album du quartette. Romane jouera son Swing for Ninine qui nous avait fait remarquer son talent de compositeur dès ses premiers disques.
Le public exulte, rappelle… Qu’est-ce qu’on va jouer ? Aurore laisse à son invité l’honneur de choisir le titre du bis. Quelqu’un dans la salle propose La Marseillaise et Romane en esquisse les premières mesures en d’improbables harmonisation et quelque adroit calembour qui l’amène à une rêverie a capella sur My One and Only Love, puis se saisit soudain d’un furieux tempo qu’attrape au vol Claudius Dupont – qui s’est fait remarqué tout à l’heure sur Why Don’t you Do Right par une intro de contrebasse entre Charles Mingus et Major Holley – et que fait rugir Mathieu Chatelain. On a basculé d’un coup dans la grille d’After You’ve Gone que le violon d’Aurore Voilqué chante de toutes ses éclisses.
C’est fini. On se sépare, quelques braises rougeoyant encore au fond du cœur, ou l’on s’attarde avec les musiciens. Romane raconte l’aventure avec le big band de Marc Richard, le Paris Swing Orchestra, avec lequel il sera le 28 mai au Jazz Café Montparnasse dont Aurore Voilqué est la programmatrice et le 5 juillet au Festival Django Reinhardt. Le 22 mai, au Jazz Café Montparnasse, on aura également entendu le guitariste au sein du très poétique projet de la chanteuse-autrice-compositrice Marianne Feder. Quand aux jeudis Jazz Magazine, le prochain sera consacré le 9 mai à la French Touch de Stéphane Kerecki. Franck Bergerot (photos X. Deher)