Autour d’Ateliers du violoncelle

Jusqu’à ce dimanche 23 mars, l’Atelier du Plateau accueille Les Ateliers du violoncelle, ses classes de maître et ses concerts, hier avec le duo Shams et l’Arcus Trio. À suivre…
Je n’aime pas trop le sirop que tirent des cordes à archet les stakhanovistes de la variété musicale ou de la musique de film. Mais j’aime voir et entendre en direct l’ensemble à cordes, cette convivialité de gestes, ainsi qu’individuellement le son de l’archet sur la corde, l’âpreté de la collophane qui offre de la résistance aux crins tendus sur la baguette de pernambouc, cette étrange alchimie qui de fibres végétales et d’essences diverses en vernis aux formules savantes donne ce son tout à la fois de douceur et de rudesse, selon un équilibre étrange obtenu par le placement très précis de ce petit cylindre de bois en tension entre le dos du violon et sa table, que l’on appelle l’âme. L’Âme ! Certes, toutes les vièles – nom générique dont on pourrait désigner ainsi toute la famille, depuis le premier monocorde que l’Humain eut idée de frotter pour en tirer un son continu, et j’aime ce verbe “tirer” qui dit l’ampleur du geste et la longueur du son –, toutes les vièles ne dépendant pas de ce savant assemblage de matériau et de savoirs faire, dont je m’étais laissé dire, me gardant bien de démêler le vrai de la légende (« Nous irons ramasser des rames de galère / pour y sculpter la forme exacte d’un violon » Bernard Dimey) que les luthiers italiens recherchaient les rames de galères déclassées pour la qualité qu’elles avaient acquises au contact prolongé avec l’eau de mer.
Et voilà… je ne sais plus où je voulais en venir ; je tourne autour du pot, retardant le moment de dire la musique et de prendre la musique à bras-la-plume, parce que c’est toujours une tâche impossible et vaine.
Ma journée de travail étant déjà bien entamée, allons droit au fait : disons que se tiennent du 18 au 23 mars à l’Atelier du Plateau – et je ne me laisserais pas distraire par tout ce que le mot atelier peut inspirer, de l’atelier du luthier à ce que l’américain à souvent associé au mot jazz : “jazz wokshop”… et qui fait venir à l’esprit cette autre expression de work in progress – les annuels Ateliers du violoncelle en partenariat avec la Compagnie de l’Imprévu (cinquième édition), comprenant classes de maître animées par Vincent Courtois, Noémi Boutin et Éric-Maria Couturier (les 20 et 21 à partir de 13h30) et leurs concerts : le 23 à 17h, concert de clôture sur des solos et libres propositions des stagiaires ; le 22 à 20h le Cuareim Quartet (quatuor à cordes, étiqueté jazz avec les violonistes Rodrigo Bauzà et Federico Nathan, l’altiste Olivier Samouillan, le violonceliste Guillaume Latil) ; le 21 à 20h, Lines for Lions, le nouveau programme “west coast” (faut-il d’oublier, ignorer ou garder en mémoire le délicieux contrepoint de Chet Baker et Gerry Muligan intitulé Line for Lyons ?) du prodigieux trio du violoncelliste Vincent Courtois avec les anches de Daniel Erdmann et Robin Fincker ; le 20 à 20h, La Plume du dimanche associera le violoncelle de Karsten Hochapfel au violon de Fabiana Striffler et à la trompette de Thimothée Quost. Et hier, deux Formations Shams et Arcus Trio.
Le duo Shams réunit le violoncelle de Stann Duguet et l’oud d’Akram Ben Romdhane autour quatre suites d’improvisations précisément structurées et improvisées autour de la thématique des quatre éléments, où l’oud évoque immanquablement le monde arabe qu’hybride le violoncelle en débordant vers la musique de chambre européenne, mais plus encore vers d’autres traditions réelles ou imaginaires où se croisent l’Inde, le Japon, un certain et momentané bruitisme, voire le nuevo tango d’Astor Piazzolla.
Nous avions découvert l’Arcus Trio à sa création en août 2022 au Café des Anges du hameau de Quelven, quelque part par-là. Soit Pauline Willerval (gadulka… vièle bulgare), Jacky Molard (violon) et Bruno Ducret (violoncelle). Pauline Willerval sur laquelle nous n’avons pas tari d’éloge dans ces pages. Goûtant les joies et les obligations de la maternité, elle a cédé momentanément sa place à Hélène Labarrière ravie de présenter à l’issue du concert « mon mari » (Jacky) et « mon fils » Bruno, ce dernier adressant un clin d’œil amusé à un personnage assis au premier range côté public, qui en passant un peu vite pourrait passer pour son double. Si Pauline Willerval tirait l’orchestre vers les Balkans, Jacky Molard maintient ce cap sur une région qu’il a fait sienne, parallèlement à sa culture bretonne qui ne transparaît ici que de manière très transversale sur la partition d’une berceuse abstraite empruntée à Kristen Nogues, la regrettée harpiste celtique qui avait séduit (entre autres) John Surman. La présence d’Hélène Labarrière fait déplacer évidemment le centre de gravité du groupe tant pas son registre que par ses fonctions qu’elle occupe avec tout le métier acquis au fil de son expérience des musiques très improvisées, entre lisibilité des grooves et abstractions. Bruno Ducret tisse ces deux trames croisées, d’ostinatos en échappées libres avec des gestes, placements rythmiques et déplacements mélodiques évoquant un double héritage. Autre clin d’œil.
Ce soir – faute d’en oser un compte rendu sur un terrain qui m’intimide – je signale à la Maison de la radio d’autres cordes, et des cuivres et des bois, ceux de l’Orchestre national de France qui donnera Petrouchka d’Igor Stravinsky, le concerto pour alto et ochestre de William Walton (1902-1983) et Tsiganes d’une compositrice dont je ne savais rien, Elsa Barraine (1910-1999), mais aussi SuperPhoniques de Frédéric Maurin, premier geste public après la fin de son admirable mandat à la tête de l’ONJ. Franck Bergerot