Aziz Sahamoui & University of Gnawa, l’énergie qui délivre
Dès le premier morceau du concert, « Soudani ya yémm », les voix des musiciens qui lui répondent plongent dans un langage, qui reflète les années de concerts et de recherches menées ensemble pour aboutir à un son qui s’impose désormais comme une continuité et une rénovation du genre. Tous chantent, avec des tonalités parfois aigues qui transpercent les paliers successifs menant à la transe et chacun d’eux est un virtuose dans son propre parcours : Alune Wade à la basse, Hervé Samb et Amen Viana à la guitare, Cheick Diallo aux claviers et à la Kora, Adhil Mirghani aux percussions et Jon Grandcamp à la batterie. Les images défilent avec le rythme progressif qui s’élève, les mains qui s’emparent des instruments délivrant un jeu répétitif, à la base des rites de possession des maîtres Gnawa, musiciens thérapeutes qui soulagent l’âme tourmentée. De cette musique spirituelle, se dégage une fièvre puissante au fur et à mesure que les battements s’accélèrent.
Il faut un solo d’Hervé Samb pour projeter le temps et le style musical dans une dimension mélodique électrique, comme une respiration. Chacun retient l’envoûtement et l’interrogation sur ce qui compose le mélange entre tradition, pop, rock, jazz, blues, puis la voix revient, celle d’Aziz vibrante et celle de l’autre, de tous les autres : la question, le souffle et l’esprit, la cadence qui met debout au sens propre comme au figuré. Sur scène, ils se suivent du regard, du sourire, une communion profonde et habitée qui gagne l’être. « Nouria » fait l’objet d’un clip vidéo qui circule sur internet. En live, Aziz Sahmaoui raconte l’accueil chaleureux des habitants de ce territoire dans un désert sans eau aux confins de l’Algérie. D’un hochement de tête, son n’goni au bout des bras, il poursuit le chemin du Joe Zawinul Sindacate, lieu d’émulation entre musiciens et d’un métissage cosmopolite auquel l’avait convié le saxophoniste viennois en 2005 et où il a rencontré Alune Wade. Chaque parole qu’il prononce est bienveillante, consciente de la force partagée. La générosité se glisse aussi dans la durée de chaque morceau et dans la reprise de ceux du précédent album, « Tamtamaki » et « Lawah –Lawah » (Mazal, World Village), dont le public reprend les paroles avec ferveur et où percussionniste et batteur se déchaînent.
« Entre voisins » explique-t-il pour le 7e titre, « ça veut dire qu’entre nous, on peut voir plus grand, plus largement». Et la phrase se mesure aussi à l’apprentissage des paroles par les musiciens dont l’arabe n’est pas la langue d’origine et à leur façon de se l’approprier. Sur ce morceau, la voix d’Alune Wade ouvre une autre sphère poignante. Pour le titre suivant, « Absence », Aziz Sahmaoui précise : « c’est ceux qui ne sont plus là et ceux qui ne sont pas là, parfois pour une querelle de rien de tout ». À méditer pour cette chanson qui célèbre « l’autre », parce que « c’est important de lui pardonner, il paraît que ça libère de l’espace dans l’esprit. » Et dans une pirouette, il termine par un « va savoir », avant de lancer des foudres musicales qui balancent un instant l’atmosphère d’un bal musette avant que le son guttural de la langue arabe ne les attrape pour les poser dans un intervalle. La longue ballade qui suit « Ganga sound of M’birika » réveille les tambours des Gnawa des oasis, dans le désert de Zagora.
Et si le Sénégal ou le Mali l’appelait pour lui donner la nationalité de ces pays demande-t-il soudain au public, auquel il ne cesse de rappeler l’importance des passerelles entre les hommes.
University of Gnawa compose un groupe qui réfléchit, où chacun apporte ses racines et sa culture. Les textes sont issus du bambara, du tamazight, mais aussi de la poésie, de la langue arabe. L’osmose est profonde où l’élégance naturelle et la dignité des musiciens réunis sont au service d’un art commun et d’une énergie communicative. Chacun sur la scène et dans la salle de concert franchit un impalpable, qui se glisse à chaque fois qu’Aziz Sahmaoui invite le public à chanter « encore une fois », en sourdine puis plus fort, juste avant que le rythme ne décolle de nouveau dans un paroxysme étincelant. On dit des hommes remarquables dans une activité, dans une attitude morale et intérieure, qu’ils sont magnifiques. Ceux qui sont là devant nous appartiennent à cette caste-là.
Marion Paoli
Musiciens :
Aziz Sahmaoui (Chant, Mandole, Ngoni)
Alune Wade (Basse, voix)
Hervé Samb (Guitare, voix)
Amen Viana (Guitare, voix)
Cheikh Diallo (Claviers, kora, voix)
Adhil Mirghani(Percussions, voix)
Jon Grandcamp (Batterie)
Photo : Aymeric Duvignaux