Bayonne: Michel Portal, le Théâtre en son nom
« Vous assistez au dernier concert dans cette salle sous son nom de toujours, le Théâtre Municipal de Bayonne. A partir de samedi ce lieu de spectacle portera le nom de Michel Portal » 70 ans après le certificat du Conservatoire de Musique. Yves Ugalde, adjoint au maire en charge de la culture vient de livrer à Michel Portal le premier diplôme officiel qui l’ancre, au bord du fleuve, dans l’histoire de sa ville natale. En public, en live, la formule préférée du lauréat de faire de la musique. Pour ce feeling intime il lui aura fallu patienter jusqu’à son 83e printemps.
Michel Portal (cl, bcl, ss, bando), Bojan Z (elp, p, elec)
Confluences, Théâtre Municipal, Bayànne (64100), 7 février
La clarinette basse, évidemment pour commencer. « Dolce, Bailador » La sonorité sur cet instrument qui lui appartient en propre – « J’ai toujours rêvé de sonner comme Portal à la clarinette basse » nous confiait ainsi, un jour de concert, Marcus Miller » – emplit l’espace tel un sceau sur un bijou de valeur. Un bijou de famille façon Michel P. Sauf que la base rythmique sur laquelle rebondit le souffle boisé s’appuie sur une partie de percussion à main nue de la part de Bojan Z, frappes étonnantes main gauche-main droite alternativement sur la couverture et sur les cordes du piano, en écho au fond du ventre de l’instrument. Comme toujours le duo fonctionne à plein dans une complicité totale. A cet effet, en dessein, en arrière plan pourrait-il sembler, mais hors de cette réalité trompeuse si l’on va fouiller bien au fond de l’écoute, Bojan Z, sans doute le plus légitime des experts dans le dictionnaire langagier portalien, porte avec naturel le costard de l’alchimiste. Avec, de profil, barbe découpée sous le faisceau des spots, les bras, les mains, les doigts toujours en mouvement, la perspective d’une silhouette en action continue (harmonique, percussive, de toutes les façons créatrice d’évènement musical) façon patte filmique de Murnau voire Einsenstein génératrice de climats, d’ombre et de lumières.
Bailador justement, album sans doute sorti en mode modèle de recueil des intentions portaliennes fournit la substantifique moelle des sons et musiques du duo. Alors bien, un constat, une question. Ce disque a été enregistré voici dix ans maintenant. Et depuis, sous son nom, Michel Portal n’a pas enregistré de travail tangible. Interrogation pour le moins légitime: pourquoi ce duo n’a-t-il jamais été enregistré ? Pourquoi n’a-t-il jamais été gravé, en studio ou en live ? Bien sur on sait le peu de goût de Portal à fixer une partie de son flux musical dans les murs d’un studio. Cela fait partie de l’angoisse si souvent exprimée dans sa commedia del arte musicale. On connaît ses phobies, son exigence en matière de qualité sonore à restituer. Certes. Mais justement quid des secrets de guérisseur d’âme, la magie de l’onguent mise dans les mains de l’alchimiste Zulficarpasic ? Et puis diable ! que fait la police des producteurs? Qu’en est-t-il des labels au bout de leurs indépendances ? Car, en connaissance de cause, celle des bayonnais notamment, et sans doute bien ailleurs dans le Tout Monde, s’il faut pour goûter aux délice d’un album de ce type, attendre, comme dit la chanson culte entre Nive et Adour, qu’ « avec un peu de chance l’Aviron Bayonnais soit Champion de France… »
Passent ainsi « Bailador », thème découpé au son acidulé du sax soprano, « Cuba si Cuba no« , les ruptures de rythmes complexes accentués par le piano paradoxalement pas si proches que ça des syncopes jouissives (afro) cubaines. Avant une séquence dédiée au bandonéon « J’ai commencé à jouer de cet instrument à l’âge de 10 ans, à Cambo, au Pays Basque… » Deux, titres : « Little Tango » d’Astor Piazzolla, puis une composition personnelle, « Loving » écrite en hommage au musicien argentin qui lui confia, à Paris, un de ses bandos. Ces sonorités de souffles amplifiés au grès des soufflets, ont toujours pour les fans de Portal, inconditionnels ou oreilles en découverte de son art, une tonalité particulière. Quelque chose comme, en mode dessert, le partage d’une intimité supposée, d’airs sucrés propices au voyage intérieur peut-être. A fortiori à Bayonne, en bordure d’Hispanité, dans le giron d’une musique populaire basque ou gasconne ancrée notamment dans l’accordéon. Pour terminer le premier concert de cette série de rendez vous bayonnais dans le cadre de Confluences surgit « Soweto », thème joué pas si souvent que ça, titre qui parle de lui même. Enfin un inédit dans la trace portalienne « J’ai retrouvé dans le fouillis des choses écrites, chez moi, une partition que m’avait envoyée Eddy Louiss. ce morceau porte un drôle de nom, Doum doum, doum. Malheureusement nous ne l’avons jamais ni pratiqué, ni bien sur enregistré avant la disparition d’Eddy…ce soir avec Bojan, ce sera donc la première fois. Ici à Bayonne » Résonne alors un chapelet d’accords au piano électrique, registre de basses rondes qui fait penser au gros son de l’orgue Hammond, commenté avec les accents rauques ou suraïgus de la clarinette basse.
On les avait entendus, même duo, programme semblable, un mois auparavant à 150 kms d’ici, à Ibos près de Tarbes. Très disert, enjoué, comme excité même le clarinettiste au point de faire chanter l’auditoire sur un air de ritournelle pyrénéenne (cf JM JazzLive janvier) En sa ville dans une soirée aux limites du rituel, hommage oblige, Michel Portal a choisi de s’exprimer d’abord via son art musical. Avec sans doute, chose plus inhabituelle chez lui, comme un peu de solennité. Et beaucoup de retenue, dans la gestuelle, ses mots lâchés voix rentrée « Je le sais, je l’ai vérifié: le public bayonnais, pour la musique ne se donne pas si facilement » On a toujours parlé du contraire en matière de rugby…Dans l’acception de la notion de jeu, le pari du défi, l’expression du sens à transmettre sans doute à Bayonne, y-a -t’il « manière et manière » Et juger du bon moment de le faire…sur le terrain.
Robert Latxague
Confluences:
samedi 9 février Michel Portal/Paul Meyer/Jérome Ducros
dimanche 10 février Michel Portal/Emile Parisien/Vincent Peirani
concerts, Auditorium Henri Grenet, Cité des Arts, Bayonne