Jazz live
Publié le 28 Jan 2025

Bayonne: The Bridge, l’impro en tête de pont

The Bridge 2. 12 : Angel Bat Dawid (cl, cla, elec, voc), Magic Malik (fl, voc), Richard Comte (g, voc, Nick Macri (b), Toma Gouband (dm, perc))

« Bastringue », Le  Bistrot du Pont St Esprit, Bayonne (64100), 26 février

« Bastringue » Comme le clame Iban son deus ex machina, cette forme de spectacles proposée à Bayonne « c’est l’bordel comme la vie, un saut dans l’inconnu, l’aventure au coin de la rue ! »  Tout un bastringue, oui, c’est le cas de le dire. Car à franchement parler voilà ben longtemps que l’on n’avait pas vu, vécu un concert de jazz pareil. Le décor déjà : dans l’arrière salle d’un vieux bistrot traditionnel de la ville situé sur la rive droite de l’Adour, à deux pas de la Gare et de la vieille église Saint Esprit. Le contenu: tout improvisé, chaque note, chaque rythme, chaque instant, chaque geste musical ou scénique, chaque situation créée puis exploitée. Et le tout offert live dans une atmosphère effervescente d’échanges de chants, de cris entre les musiciens plantés à ras du sol et le public mi(mal)-assis, mi-debout, inspiré, émotionné par les verres éclusés et autres substances adjuvantes potentielles. Une modélisation en direct de l’ambiance explosive de rue et de cafés façon « Fêtes de Bayonne » De quoi justifier le qualificatif apporté au show produit par le premier des quatre groupes du « Bridge » qui oeuvreront dans l’année, soit une dite « performance exploratrice »

Magic Malik, Nick Macri

Respect de la philosophie de « The Bridge » oblige (www.acrossthebridges.org) le groupe franco-américain comprend cette fois deux musiciens originaires de Chicago et trois français. Dès l’entame pour leur troisième concert de la tournée dans l’hexagone ils se lancent dans la production instantanée d’une myriade de sons hétérogènes acoustiques comme électroniques. Puis le rythme s’installe sous la pulsion de la basse même si, en simultané, la batterie « arrangée » folâtre, tournant très libre de tempo autour des temps forts ou faibles. Les voix en version onomatopées peuplent ce décor sonore singulier. Magic Malik y lance des formules vocales en écho,  comme ici généralement le chanteur Beñat Achiary avait coutume de pousser plein pot ses « irrintzinas », cris de reconnaissance des bergers basques aptes à déchirer le silence de vallées pastorales. Angela Bat Dawid, multi instrumentiste agit elle dans un trafic colorisé de sa voix passée au synthétiseur. Avant de souffler sans retenue dans sa clarinette, l’instrument de sonorité naturelle boisée se trouvant pris dès lors dans la  fonction « loop » pour autant de phrases jetées brutes en boucles répétées.

Angela Bat Dawid

« The Bridge », orchestre à  géométrie variable perpétue sa vision volontariste d’iimpro totale comme règle de vie musicale, comme mise en scène d’un jazz ainsi replacé en une pratique collective. Une évidence ressort de cette soirée ici à Bayonne, pas si évidente à vivre en d’autres lieux de concerts: le public répond favorablement à ces climats projetés d’expérimentation sonore tous azimuts. Mieux: il réagit parfois aux injonctions à participer de la part d’Angela la chicagoane notamment, aussi à l’aise dans l’utilisation de son catalogue d’instruments divers que dans un rôle d’« entertainer », de meneuse de revue. 

Toma Gouband

Deuxième set. Dehors à deux pas, sur le couloir du fleuve souffle fort le vent chaud de la  tempête Herminia, une de plus jetée cet hiver sur l’Atlantique voisin. Un type de climax similaire règne dans le bistrot typique au comptoir pur formica. Même interplay public/musicien(ne)s. Les cinq membres de cet orchestre singulier  enchainent maintenant sur une musique répétitive. Au clavier, au micro avec  sa voix puissante passée au crible de son ordi en même temps, Angela Bat Dawid mène la danse au rythme de de ses dread locks perlés de couleurs. Autre voix lancée en réponses alternées, celle de Magic Malik intervient en cris gutturaux comme autant de leitmotivs façon rites gnawas. Puis il passe sans transition à un flot de rires tonitruants inclus, sa signature habituelle de flûtiste inspirée de celle de Roland Kirk, dans le souffle métallique de son instrument. La batterie elle aussi « arrangée » de façon pour le moins originale résonne de frappes de peaux, de cuivre, d’eau, de pierres « sonores », de bois, de feuilles d’arbres; le tout  dans un large registre sonore, une gamme de couleurs variant du grave au très aigu.

On passe sur les gimmicks rythmiques de fort relief de la basse; les quelques chorus éclatés furieux de la guitare. Histoire sans doute de casser les rares  momentums de calme lors de brèves incursions dans des mélodies classiques jouées d’un son clair de piano. On aura même droit, surprise surprise ! à une séquence pur swing jazz mainstream…Au total, avec participation de l’audience, toujours,  « The Bridge » cuvée 2025 offrait ce soir un genre inédit de polyphonie de bistrot dans un cadre prédestiné. Au bout du « pont Saint Esprit », lequel a  accompagné, rythmé lui l’histoire  de Bayonne, cité ancrée de part et d’autre de son fleuve nourricier.

Robert Latxague

( Photos Robert Latxague )