Jazz live
Publié le 22 Oct 2014

Becca Stevens à Paris (bis)

Voilà, voilà… Le compte rendu promis ce matin avant de partir à l’école, arrive à temps pour vous donner envie (ou pas) d’aller écouter Becca Stevens demain soir, 23 octobre, au Duc des Lombards (avec, en complément d’information, Le Concert du jour présenté par Laure Albernhe à midi sur TSF Jazz).

 

Comme je le disais ce matin, il y avait deux occasions d’écouter Becca Stevens hier, 21 octobre : à 14h30, au Duc des Lombards devant les micros de TSF Jazz à l’issue d’une interview rondement menée par Jean-Charles Doukhan et lors d’une soirée privée au domicile du trompettiste David Enhco. J’ai profité des deux, négligeant pour cela Carmen Lundy au Duc le soir-même et je m’interrogeai (anticipant les interrogations de lecteurs jazzfans chagrin) sur ce choix de la part du rédacteur en chef de Jazz Magazine. Les lecteurs de ce blog ont pu voir que le directeur de la rédaction de Jazz Magazine, Frédéric Goaty, s’était lui-même dépêché sur place pour entendre Carmen Lundy (et Patrice Rushen, interviewée le jour même… il ne tardera pas à vous raconter ça). Mais…

 

Mais quoi ?! Becca Stevens doit avoir les oreilles passablement irritées par cette question ringarde récurrente : « Jazz ou pas jazz ? » Elle est ringarde sans aucun doute. Et pourtant, comment ne pas se la poser lorsque l’on est le rédacteur en chef de l’un des derniers medias à faire vitrine au jazz, lorsque la surface d’exposition offerte par Jazzmag ne suffit à faire la lumière que d’une infime partie d’une scène jazz hyper vivante et polymorphe qui ne trouvera de visibilité nulle part ailleurs, sauf éventuellement à être vocale, et si possible plus “jazzy” que jazz ?

Je ne dirai pas que Becca Stevens est jazzy. Non plus qu’elle est folky. Beuarkh ! Je réserve ces diminutifs écœurants à d’autres. Folk, elle l’est franchement, relevant d’une longue tradition qu’elle assume et réinvente en beauté. Jazz, l’est-elle et comment ?

 

Il y a d’abord ce buz, qui nous arrive de la scène jazz américaine. Par la voix de Kurt Elling qui la considère comme l’une de ses chanteuses préférées. Au travers ses collaborations avec les pianistes Taylor Eigsti et Brad Mehldau, les trompettistes Dave Douglas et Ambrose Akinmusire, sa proximité avec Gretchen Parlato (qui pose d’ailleurs un peu le même type de problème, mais dont on défendrait la présence sur ce blog avec d’autres arguments) et Rebecca Martin (allez voir sur Youtube son duo avec Larry Grenadier sur Born to Be Blue, mais aussi le merveilleux trio qu’elles trois ont baptisé Tillery). Becca Stevens a aussi pour elle son CV qui passe par la New School for Jazz and Contemporary Music de New York d’où elle est sortie diplômée en jazz vocale et en composition. Et notre correspond à New York, le batteur Guilhem Flouzat ne l’a-t-il pas invitée sur son prochain disque à paraître, avec Ben Wendel, Dan Weiss, Guillermo Klein et Fred Hersch ? Et à Paris, c’est le Duc des Lombards, TSF Jazz et David Enhco qui l’accueillent.

 

Tout ça est un jeu qui, je l’ai dit plus haut, à son importance à mes yeux, mais qui ne saurait nier la porosité des frontières traversant aujourd’hui le domaine musical et plus généralement artistique. Le moyen aussi de dire quelque chose de l’art de Becca Stevens alors que celui-ci échappe à mes habituelles compétences de jazz critic, sur des paroles que ma déplorable pratique de l’anglais parlé ne me donne guère de prise (car ne sommes-nous pas là pour écouter des chanson, donc du texte ?) Sa guitare, son ukulele, son charango et son orchestre dont le pianiste Liam Robinson joue aussi de l’accordéon, son batteur Jordan Perlson qui lâche les baguettes pour s’associer aux légères palmas de ses compères sur Tillery, son contrebassiste Chris Tordini qui fait chœur avec la voix de Robinson : je me suis senti, au Duc comme chez David Enhco, transporté dans quelque folk club de Greenwich Village ou des grandes années du folk londonien, que je n’ai d’ailleurs connu qu’à travers les récits et les échos qui m’en furent transmis au tournant des seventies dans les hootenanies de la banlieue Ouest, au Centre américain ou au TMS (Traditional Mountain Sound) de Saint-Germain-des-Prés. Avec en plus les moyens d’aujourd’hui, l’ère post-Björk, une culture composite plus assumée, la piste londonienne constituant d’ailleurs à la réflexion une fausse piste. Ces voix-là, et particulièrement la sienne, sont purement américaines, quoique dépoussiérées des stéréotypes “country”, d’une fraîcheur échappant à la saccharine de Nashville, plus directement nourries aux sources originelles des Appalaches.

 

Autrement dit, que l’on milite pour le métissage et l’ouverture, on ne va pas écouter Becca Stevens comme on va écouter Carmen Lundy. On n’y partage pas les mêmes souvenirs. On n’y réveille pas les mêmes zones de nos viscères culturelles. Et c’est tant mieux… Laissons à la musique ses différences. Les fibres qui s’animent à l’écoute des chœurs de Robison et Tordini sont celles qui se constituèrent chez moi au sortir de mon adolescence à l’écoute de Croby, Stills and Nash. Le très séduisant orchestre de cabaret qu’ils constituent avec Jordan Perlson laisse bien deviner de solides compétences jazzistiques (mais beaucoup de chanteurs de variétés pourraient se vanter du soutien de telles compétences). Le picking de Becca Stevens sur les cordes acier de sa guitare Taylor éveille mille souvenirs folk qu’il faut certes démêler d’un long apprentissage en guitare classique et de l’étude du jazz dont est probablement en partie tributaire son intimité avec la touche de son instrument. Certes, l’usage du capodastre ne relève pas de l’orthodoxie de la guitare jazz. Bien entendu, Joni Mitchell, dont elle reprend Help Me comme un aveu d’influence, n’est jamais très loin et l’on sait que les échanges entre cette dernière et le jazz ne sont rien moins qu’à sens unique depuis quarante ans. La liberté avec laquelle elle se saisit du ukulele rappelle les performances de Joni Mitchell sur le dulcimer. Certes, elle n’use de l’open tuning que ponctuellement (et elle peut recourir aux voicings de guitare en barré les plus basiques), mais son rapport iconoclaste à l’harmonie rappelle moins l’art de Wes et Jim Hall que celui de Joni de laquelle la rapproche encore son goût pour les formes étendues. Quand à la voix, difficile de ne pas voir la filiation, même si elle n’a ni son charisme, ni sa puissance, ni son ambitus, ni sa souplesse, ni cette aisance quasi acrobatique où d’aucuns ne voient que maniérisme. C’est pourquoi, il vaut mieux ne pas avoir cette filiation trop présente à l’esprit, et aborder Becca Stevens par ce qui fait la fraîcheur et le naturel d’un art pourtant bien posé dont elle dit : « Jazz opened my voice. » Ce que l’on conçoit aisément dés lors que l’on a accepté d’entrer dans son univers. Où l’on voit que je n’ai finalement pas vraiment répondu à la question initiale, mais où l’on saisit peut-être les raisons qui m’ont fait apprécier ces deux concerts en un jour avec Becca Stevens. Franck Bergerot

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Voilà, voilà… Le compte rendu promis ce matin avant de partir à l’école, arrive à temps pour vous donner envie (ou pas) d’aller écouter Becca Stevens demain soir, 23 octobre, au Duc des Lombards (avec, en complément d’information, Le Concert du jour présenté par Laure Albernhe à midi sur TSF Jazz).

 

Comme je le disais ce matin, il y avait deux occasions d’écouter Becca Stevens hier, 21 octobre : à 14h30, au Duc des Lombards devant les micros de TSF Jazz à l’issue d’une interview rondement menée par Jean-Charles Doukhan et lors d’une soirée privée au domicile du trompettiste David Enhco. J’ai profité des deux, négligeant pour cela Carmen Lundy au Duc le soir-même et je m’interrogeai (anticipant les interrogations de lecteurs jazzfans chagrin) sur ce choix de la part du rédacteur en chef de Jazz Magazine. Les lecteurs de ce blog ont pu voir que le directeur de la rédaction de Jazz Magazine, Frédéric Goaty, s’était lui-même dépêché sur place pour entendre Carmen Lundy (et Patrice Rushen, interviewée le jour même… il ne tardera pas à vous raconter ça). Mais…

 

Mais quoi ?! Becca Stevens doit avoir les oreilles passablement irritées par cette question ringarde récurrente : « Jazz ou pas jazz ? » Elle est ringarde sans aucun doute. Et pourtant, comment ne pas se la poser lorsque l’on est le rédacteur en chef de l’un des derniers medias à faire vitrine au jazz, lorsque la surface d’exposition offerte par Jazzmag ne suffit à faire la lumière que d’une infime partie d’une scène jazz hyper vivante et polymorphe qui ne trouvera de visibilité nulle part ailleurs, sauf éventuellement à être vocale, et si possible plus “jazzy” que jazz ?

Je ne dirai pas que Becca Stevens est jazzy. Non plus qu’elle est folky. Beuarkh ! Je réserve ces diminutifs écœurants à d’autres. Folk, elle l’est franchement, relevant d’une longue tradition qu’elle assume et réinvente en beauté. Jazz, l’est-elle et comment ?

 

Il y a d’abord ce buz, qui nous arrive de la scène jazz américaine. Par la voix de Kurt Elling qui la considère comme l’une de ses chanteuses préférées. Au travers ses collaborations avec les pianistes Taylor Eigsti et Brad Mehldau, les trompettistes Dave Douglas et Ambrose Akinmusire, sa proximité avec Gretchen Parlato (qui pose d’ailleurs un peu le même type de problème, mais dont on défendrait la présence sur ce blog avec d’autres arguments) et Rebecca Martin (allez voir sur Youtube son duo avec Larry Grenadier sur Born to Be Blue, mais aussi le merveilleux trio qu’elles trois ont baptisé Tillery). Becca Stevens a aussi pour elle son CV qui passe par la New School for Jazz and Contemporary Music de New York d’où elle est sortie diplômée en jazz vocale et en composition. Et notre correspond à New York, le batteur Guilhem Flouzat ne l’a-t-il pas invitée sur son prochain disque à paraître, avec Ben Wendel, Dan Weiss, Guillermo Klein et Fred Hersch ? Et à Paris, c’est le Duc des Lombards, TSF Jazz et David Enhco qui l’accueillent.

 

Tout ça est un jeu qui, je l’ai dit plus haut, à son importance à mes yeux, mais qui ne saurait nier la porosité des frontières traversant aujourd’hui le domaine musical et plus généralement artistique. Le moyen aussi de dire quelque chose de l’art de Becca Stevens alors que celui-ci échappe à mes habituelles compétences de jazz critic, sur des paroles que ma déplorable pratique de l’anglais parlé ne me donne guère de prise (car ne sommes-nous pas là pour écouter des chanson, donc du texte ?) Sa guitare, son ukulele, son charango et son orchestre dont le pianiste Liam Robinson joue aussi de l’accordéon, son batteur Jordan Perlson qui lâche les baguettes pour s’associer aux légères palmas de ses compères sur Tillery, son contrebassiste Chris Tordini qui fait chœur avec la voix de Robinson : je me suis senti, au Duc comme chez David Enhco, transporté dans quelque folk club de Greenwich Village ou des grandes années du folk londonien, que je n’ai d’ailleurs connu qu’à travers les récits et les échos qui m’en furent transmis au tournant des seventies dans les hootenanies de la banlieue Ouest, au Centre américain ou au TMS (Traditional Mountain Sound) de Saint-Germain-des-Prés. Avec en plus les moyens d’aujourd’hui, l’ère post-Björk, une culture composite plus assumée, la piste londonienne constituant d’ailleurs à la réflexion une fausse piste. Ces voix-là, et particulièrement la sienne, sont purement américaines, quoique dépoussiérées des stéréotypes “country”, d’une fraîcheur échappant à la saccharine de Nashville, plus directement nourries aux sources originelles des Appalaches.

 

Autrement dit, que l’on milite pour le métissage et l’ouverture, on ne va pas écouter Becca Stevens comme on va écouter Carmen Lundy. On n’y partage pas les mêmes souvenirs. On n’y réveille pas les mêmes zones de nos viscères culturelles. Et c’est tant mieux… Laissons à la musique ses différences. Les fibres qui s’animent à l’écoute des chœurs de Robison et Tordini sont celles qui se constituèrent chez moi au sortir de mon adolescence à l’écoute de Croby, Stills and Nash. Le très séduisant orchestre de cabaret qu’ils constituent avec Jordan Perlson laisse bien deviner de solides compétences jazzistiques (mais beaucoup de chanteurs de variétés pourraient se vanter du soutien de telles compétences). Le picking de Becca Stevens sur les cordes acier de sa guitare Taylor éveille mille souvenirs folk qu’il faut certes démêler d’un long apprentissage en guitare classique et de l’étude du jazz dont est probablement en partie tributaire son intimité avec la touche de son instrument. Certes, l’usage du capodastre ne relève pas de l’orthodoxie de la guitare jazz. Bien entendu, Joni Mitchell, dont elle reprend Help Me comme un aveu d’influence, n’est jamais très loin et l’on sait que les échanges entre cette dernière et le jazz ne sont rien moins qu’à sens unique depuis quarante ans. La liberté avec laquelle elle se saisit du ukulele rappelle les performances de Joni Mitchell sur le dulcimer. Certes, elle n’use de l’open tuning que ponctuellement (et elle peut recourir aux voicings de guitare en barré les plus basiques), mais son rapport iconoclaste à l’harmonie rappelle moins l’art de Wes et Jim Hall que celui de Joni de laquelle la rapproche encore son goût pour les formes étendues. Quand à la voix, difficile de ne pas voir la filiation, même si elle n’a ni son charisme, ni sa puissance, ni son ambitus, ni sa souplesse, ni cette aisance quasi acrobatique où d’aucuns ne voient que maniérisme. C’est pourquoi, il vaut mieux ne pas avoir cette filiation trop présente à l’esprit, et aborder Becca Stevens par ce qui fait la fraîcheur et le naturel d’un art pourtant bien posé dont elle dit : « Jazz opened my voice. » Ce que l’on conçoit aisément dés lors que l’on a accepté d’entrer dans son univers. Où l’on voit que je n’ai finalement pas vraiment répondu à la question initiale, mais où l’on saisit peut-être les raisons qui m’ont fait apprécier ces deux concerts en un jour avec Becca Stevens. Franck Bergerot

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Voilà, voilà… Le compte rendu promis ce matin avant de partir à l’école, arrive à temps pour vous donner envie (ou pas) d’aller écouter Becca Stevens demain soir, 23 octobre, au Duc des Lombards (avec, en complément d’information, Le Concert du jour présenté par Laure Albernhe à midi sur TSF Jazz).

 

Comme je le disais ce matin, il y avait deux occasions d’écouter Becca Stevens hier, 21 octobre : à 14h30, au Duc des Lombards devant les micros de TSF Jazz à l’issue d’une interview rondement menée par Jean-Charles Doukhan et lors d’une soirée privée au domicile du trompettiste David Enhco. J’ai profité des deux, négligeant pour cela Carmen Lundy au Duc le soir-même et je m’interrogeai (anticipant les interrogations de lecteurs jazzfans chagrin) sur ce choix de la part du rédacteur en chef de Jazz Magazine. Les lecteurs de ce blog ont pu voir que le directeur de la rédaction de Jazz Magazine, Frédéric Goaty, s’était lui-même dépêché sur place pour entendre Carmen Lundy (et Patrice Rushen, interviewée le jour même… il ne tardera pas à vous raconter ça). Mais…

 

Mais quoi ?! Becca Stevens doit avoir les oreilles passablement irritées par cette question ringarde récurrente : « Jazz ou pas jazz ? » Elle est ringarde sans aucun doute. Et pourtant, comment ne pas se la poser lorsque l’on est le rédacteur en chef de l’un des derniers medias à faire vitrine au jazz, lorsque la surface d’exposition offerte par Jazzmag ne suffit à faire la lumière que d’une infime partie d’une scène jazz hyper vivante et polymorphe qui ne trouvera de visibilité nulle part ailleurs, sauf éventuellement à être vocale, et si possible plus “jazzy” que jazz ?

Je ne dirai pas que Becca Stevens est jazzy. Non plus qu’elle est folky. Beuarkh ! Je réserve ces diminutifs écœurants à d’autres. Folk, elle l’est franchement, relevant d’une longue tradition qu’elle assume et réinvente en beauté. Jazz, l’est-elle et comment ?

 

Il y a d’abord ce buz, qui nous arrive de la scène jazz américaine. Par la voix de Kurt Elling qui la considère comme l’une de ses chanteuses préférées. Au travers ses collaborations avec les pianistes Taylor Eigsti et Brad Mehldau, les trompettistes Dave Douglas et Ambrose Akinmusire, sa proximité avec Gretchen Parlato (qui pose d’ailleurs un peu le même type de problème, mais dont on défendrait la présence sur ce blog avec d’autres arguments) et Rebecca Martin (allez voir sur Youtube son duo avec Larry Grenadier sur Born to Be Blue, mais aussi le merveilleux trio qu’elles trois ont baptisé Tillery). Becca Stevens a aussi pour elle son CV qui passe par la New School for Jazz and Contemporary Music de New York d’où elle est sortie diplômée en jazz vocale et en composition. Et notre correspond à New York, le batteur Guilhem Flouzat ne l’a-t-il pas invitée sur son prochain disque à paraître, avec Ben Wendel, Dan Weiss, Guillermo Klein et Fred Hersch ? Et à Paris, c’est le Duc des Lombards, TSF Jazz et David Enhco qui l’accueillent.

 

Tout ça est un jeu qui, je l’ai dit plus haut, à son importance à mes yeux, mais qui ne saurait nier la porosité des frontières traversant aujourd’hui le domaine musical et plus généralement artistique. Le moyen aussi de dire quelque chose de l’art de Becca Stevens alors que celui-ci échappe à mes habituelles compétences de jazz critic, sur des paroles que ma déplorable pratique de l’anglais parlé ne me donne guère de prise (car ne sommes-nous pas là pour écouter des chanson, donc du texte ?) Sa guitare, son ukulele, son charango et son orchestre dont le pianiste Liam Robinson joue aussi de l’accordéon, son batteur Jordan Perlson qui lâche les baguettes pour s’associer aux légères palmas de ses compères sur Tillery, son contrebassiste Chris Tordini qui fait chœur avec la voix de Robinson : je me suis senti, au Duc comme chez David Enhco, transporté dans quelque folk club de Greenwich Village ou des grandes années du folk londonien, que je n’ai d’ailleurs connu qu’à travers les récits et les échos qui m’en furent transmis au tournant des seventies dans les hootenanies de la banlieue Ouest, au Centre américain ou au TMS (Traditional Mountain Sound) de Saint-Germain-des-Prés. Avec en plus les moyens d’aujourd’hui, l’ère post-Björk, une culture composite plus assumée, la piste londonienne constituant d’ailleurs à la réflexion une fausse piste. Ces voix-là, et particulièrement la sienne, sont purement américaines, quoique dépoussiérées des stéréotypes “country”, d’une fraîcheur échappant à la saccharine de Nashville, plus directement nourries aux sources originelles des Appalaches.

 

Autrement dit, que l’on milite pour le métissage et l’ouverture, on ne va pas écouter Becca Stevens comme on va écouter Carmen Lundy. On n’y partage pas les mêmes souvenirs. On n’y réveille pas les mêmes zones de nos viscères culturelles. Et c’est tant mieux… Laissons à la musique ses différences. Les fibres qui s’animent à l’écoute des chœurs de Robison et Tordini sont celles qui se constituèrent chez moi au sortir de mon adolescence à l’écoute de Croby, Stills and Nash. Le très séduisant orchestre de cabaret qu’ils constituent avec Jordan Perlson laisse bien deviner de solides compétences jazzistiques (mais beaucoup de chanteurs de variétés pourraient se vanter du soutien de telles compétences). Le picking de Becca Stevens sur les cordes acier de sa guitare Taylor éveille mille souvenirs folk qu’il faut certes démêler d’un long apprentissage en guitare classique et de l’étude du jazz dont est probablement en partie tributaire son intimité avec la touche de son instrument. Certes, l’usage du capodastre ne relève pas de l’orthodoxie de la guitare jazz. Bien entendu, Joni Mitchell, dont elle reprend Help Me comme un aveu d’influence, n’est jamais très loin et l’on sait que les échanges entre cette dernière et le jazz ne sont rien moins qu’à sens unique depuis quarante ans. La liberté avec laquelle elle se saisit du ukulele rappelle les performances de Joni Mitchell sur le dulcimer. Certes, elle n’use de l’open tuning que ponctuellement (et elle peut recourir aux voicings de guitare en barré les plus basiques), mais son rapport iconoclaste à l’harmonie rappelle moins l’art de Wes et Jim Hall que celui de Joni de laquelle la rapproche encore son goût pour les formes étendues. Quand à la voix, difficile de ne pas voir la filiation, même si elle n’a ni son charisme, ni sa puissance, ni son ambitus, ni sa souplesse, ni cette aisance quasi acrobatique où d’aucuns ne voient que maniérisme. C’est pourquoi, il vaut mieux ne pas avoir cette filiation trop présente à l’esprit, et aborder Becca Stevens par ce qui fait la fraîcheur et le naturel d’un art pourtant bien posé dont elle dit : « Jazz opened my voice. » Ce que l’on conçoit aisément dés lors que l’on a accepté d’entrer dans son univers. Où l’on voit que je n’ai finalement pas vraiment répondu à la question initiale, mais où l’on saisit peut-être les raisons qui m’ont fait apprécier ces deux concerts en un jour avec Becca Stevens. Franck Bergerot

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Voilà, voilà… Le compte rendu promis ce matin avant de partir à l’école, arrive à temps pour vous donner envie (ou pas) d’aller écouter Becca Stevens demain soir, 23 octobre, au Duc des Lombards (avec, en complément d’information, Le Concert du jour présenté par Laure Albernhe à midi sur TSF Jazz).

 

Comme je le disais ce matin, il y avait deux occasions d’écouter Becca Stevens hier, 21 octobre : à 14h30, au Duc des Lombards devant les micros de TSF Jazz à l’issue d’une interview rondement menée par Jean-Charles Doukhan et lors d’une soirée privée au domicile du trompettiste David Enhco. J’ai profité des deux, négligeant pour cela Carmen Lundy au Duc le soir-même et je m’interrogeai (anticipant les interrogations de lecteurs jazzfans chagrin) sur ce choix de la part du rédacteur en chef de Jazz Magazine. Les lecteurs de ce blog ont pu voir que le directeur de la rédaction de Jazz Magazine, Frédéric Goaty, s’était lui-même dépêché sur place pour entendre Carmen Lundy (et Patrice Rushen, interviewée le jour même… il ne tardera pas à vous raconter ça). Mais…

 

Mais quoi ?! Becca Stevens doit avoir les oreilles passablement irritées par cette question ringarde récurrente : « Jazz ou pas jazz ? » Elle est ringarde sans aucun doute. Et pourtant, comment ne pas se la poser lorsque l’on est le rédacteur en chef de l’un des derniers medias à faire vitrine au jazz, lorsque la surface d’exposition offerte par Jazzmag ne suffit à faire la lumière que d’une infime partie d’une scène jazz hyper vivante et polymorphe qui ne trouvera de visibilité nulle part ailleurs, sauf éventuellement à être vocale, et si possible plus “jazzy” que jazz ?

Je ne dirai pas que Becca Stevens est jazzy. Non plus qu’elle est folky. Beuarkh ! Je réserve ces diminutifs écœurants à d’autres. Folk, elle l’est franchement, relevant d’une longue tradition qu’elle assume et réinvente en beauté. Jazz, l’est-elle et comment ?

 

Il y a d’abord ce buz, qui nous arrive de la scène jazz américaine. Par la voix de Kurt Elling qui la considère comme l’une de ses chanteuses préférées. Au travers ses collaborations avec les pianistes Taylor Eigsti et Brad Mehldau, les trompettistes Dave Douglas et Ambrose Akinmusire, sa proximité avec Gretchen Parlato (qui pose d’ailleurs un peu le même type de problème, mais dont on défendrait la présence sur ce blog avec d’autres arguments) et Rebecca Martin (allez voir sur Youtube son duo avec Larry Grenadier sur Born to Be Blue, mais aussi le merveilleux trio qu’elles trois ont baptisé Tillery). Becca Stevens a aussi pour elle son CV qui passe par la New School for Jazz and Contemporary Music de New York d’où elle est sortie diplômée en jazz vocale et en composition. Et notre correspond à New York, le batteur Guilhem Flouzat ne l’a-t-il pas invitée sur son prochain disque à paraître, avec Ben Wendel, Dan Weiss, Guillermo Klein et Fred Hersch ? Et à Paris, c’est le Duc des Lombards, TSF Jazz et David Enhco qui l’accueillent.

 

Tout ça est un jeu qui, je l’ai dit plus haut, à son importance à mes yeux, mais qui ne saurait nier la porosité des frontières traversant aujourd’hui le domaine musical et plus généralement artistique. Le moyen aussi de dire quelque chose de l’art de Becca Stevens alors que celui-ci échappe à mes habituelles compétences de jazz critic, sur des paroles que ma déplorable pratique de l’anglais parlé ne me donne guère de prise (car ne sommes-nous pas là pour écouter des chanson, donc du texte ?) Sa guitare, son ukulele, son charango et son orchestre dont le pianiste Liam Robinson joue aussi de l’accordéon, son batteur Jordan Perlson qui lâche les baguettes pour s’associer aux légères palmas de ses compères sur Tillery, son contrebassiste Chris Tordini qui fait chœur avec la voix de Robinson : je me suis senti, au Duc comme chez David Enhco, transporté dans quelque folk club de Greenwich Village ou des grandes années du folk londonien, que je n’ai d’ailleurs connu qu’à travers les récits et les échos qui m’en furent transmis au tournant des seventies dans les hootenanies de la banlieue Ouest, au Centre américain ou au TMS (Traditional Mountain Sound) de Saint-Germain-des-Prés. Avec en plus les moyens d’aujourd’hui, l’ère post-Björk, une culture composite plus assumée, la piste londonienne constituant d’ailleurs à la réflexion une fausse piste. Ces voix-là, et particulièrement la sienne, sont purement américaines, quoique dépoussiérées des stéréotypes “country”, d’une fraîcheur échappant à la saccharine de Nashville, plus directement nourries aux sources originelles des Appalaches.

 

Autrement dit, que l’on milite pour le métissage et l’ouverture, on ne va pas écouter Becca Stevens comme on va écouter Carmen Lundy. On n’y partage pas les mêmes souvenirs. On n’y réveille pas les mêmes zones de nos viscères culturelles. Et c’est tant mieux… Laissons à la musique ses différences. Les fibres qui s’animent à l’écoute des chœurs de Robison et Tordini sont celles qui se constituèrent chez moi au sortir de mon adolescence à l’écoute de Croby, Stills and Nash. Le très séduisant orchestre de cabaret qu’ils constituent avec Jordan Perlson laisse bien deviner de solides compétences jazzistiques (mais beaucoup de chanteurs de variétés pourraient se vanter du soutien de telles compétences). Le picking de Becca Stevens sur les cordes acier de sa guitare Taylor éveille mille souvenirs folk qu’il faut certes démêler d’un long apprentissage en guitare classique et de l’étude du jazz dont est probablement en partie tributaire son intimité avec la touche de son instrument. Certes, l’usage du capodastre ne relève pas de l’orthodoxie de la guitare jazz. Bien entendu, Joni Mitchell, dont elle reprend Help Me comme un aveu d’influence, n’est jamais très loin et l’on sait que les échanges entre cette dernière et le jazz ne sont rien moins qu’à sens unique depuis quarante ans. La liberté avec laquelle elle se saisit du ukulele rappelle les performances de Joni Mitchell sur le dulcimer. Certes, elle n’use de l’open tuning que ponctuellement (et elle peut recourir aux voicings de guitare en barré les plus basiques), mais son rapport iconoclaste à l’harmonie rappelle moins l’art de Wes et Jim Hall que celui de Joni de laquelle la rapproche encore son goût pour les formes étendues. Quand à la voix, difficile de ne pas voir la filiation, même si elle n’a ni son charisme, ni sa puissance, ni son ambitus, ni sa souplesse, ni cette aisance quasi acrobatique où d’aucuns ne voient que maniérisme. C’est pourquoi, il vaut mieux ne pas avoir cette filiation trop présente à l’esprit, et aborder Becca Stevens par ce qui fait la fraîcheur et le naturel d’un art pourtant bien posé dont elle dit : « Jazz opened my voice. » Ce que l’on conçoit aisément dés lors que l’on a accepté d’entrer dans son univers. Où l’on voit que je n’ai finalement pas vraiment répondu à la question initiale, mais où l’on saisit peut-être les raisons qui m’ont fait apprécier ces deux concerts en un jour avec Becca Stevens. Franck Bergerot