Béesau ou le jazz sur France culture…
Lorsque la chaîne culturelle préfère le jazz pas vraiment jazz.
Au début du mouvement de grève à Radio France, je m’étais réjoui dans ces pages de ce que soudain, sur France Culture, la programmation musicale remplaçant les émissions annulées permettait d’entendre entre deux chansons de la musique instrumentale, et notamment du jazz : Marc Ducret, Thelonious Monk, Sonny Rollins, Bojan Z, Wes Montgomery… C’était se réjouir trop vite. Il semble que cette grave anomalie ne soit pas totalement passée inaperçue auprès des responsables de la chaîne et que l’on y ait remédié. L’écoute de la programmation musicale ces derniers jours m’a confirmé la détestation de France Culture (pour ne pas parler des chaînes de Radio France autres que France Musique) pas seulement pour le jazz, mais de manière générale pour le fait musical s’il n’est pas le support d’un texte ou tout du moins d’une voix. Et si quelque séquence instrumentale échappe au programmateur, le développement mélodique et rythmique ne doit pas excéder une boucle de quelques mesures.
Ce qui me rappelle cet ensemble de consignes destinées aux orchestres de danse par un représentant du Troisième Reich en territoire occupé, que l’écrivain tchèque Josef Skvorecky avait lue dans une publication hebdomadaire et qu’il cite dans sa nouvelle Je ne retirerai pas un seul mot, et reprend dans son essai Lire en liberté, sur l’oppression culturelle continue de l’occupation nazie au joug soviétique. Y était indiquée la proportion maximale de fox-trot autorisée en musique légère (20%), la préférence de la tonalité majeure à la morosité juive du mode mineure, l’interdiction des solos débridés et les débordements négroïdes de tempo, les restrictions sur l’usage de la syncope (pas plus de 10%), la durée maximale d’une demie mesure pour un break de batterie, etc. On pourrait s’amuser à paraphraser cette liste pour énumérer les interdits qui semble régir la diffusion musicale sur France Culture. On pourrait même y reprendre à l’identique la recommandation de restreindre l’usage du saxophone qui semble constituer un véritable repoussoir pour la génération “Inrockuptibles” caractérisant “L’Esprit d’ouverture” de la chaîne culturelle.
Alors que je me faisais ces réflexions, je tombais sur l’édition du jour des Carnets de la création, les “découvertes artistiques” de l’infantilisante Aude Lavigne, qui est à l’idée que l’on se fait encore, malgré tout, de France Culture, ce que le macramé est à la tapisserie d’Angers. Une sorte de triomphe du “cucul” selon Witold Gombrowicz. Ce lundi 6 janvier, elle nous présentait le trompettiste Béesau. Je vous laisse jeter un coup d’œil à son clip officiel Vue sur la mer, mimant minablement les pires clichés publicitaires de l’industrie du rap ou de la boisson sucrée. Mais laissons Aude Lavigne nous le présenter : « Il est trompettiste, pas vraiment du jazz, c’est pas du rap, pas vraiment de l’électro, mais c’est précisément un glissement libre entre ces sons libres comme lui, musicien sur scène à l’attitude très décontractée, il est dans le mouvement, il danse en jouant, sur la pochette de son disque on le découvre torse nu, affranchi du sérieux du jazz, pour une groove attitude. » Voilà, tout est dit : trompettiste, mais pas vraiment jazz – ouf ! – il est torse nu et il danse. A l’écran, on le voit d’ailleurs plus occupé à décliner un pauvre vocabulaire de signes digitaux misérablement empruntés au monde du hip hop qu’à jouer du piston – pas vraiment jazz et un peu rap, c’est bon ça coco! Le règne du breuvage édulcoré!
Et Aude Lavigne de s’émerveiller de la douceur du son, « un souffle de fin d’après-midi ». Et Béesau d’expliquer qu’il a beaucoup travailler pour supprimer ce qu’il peut y avoir de strident dans le son de Miles. Le son de Miles passé à la toile émeri « parce que la trompette ça peut être assez agressif et j’aime bien avoir une trompette agréable pour les oreilles »… On croirait entendre Guillaume Erner lorsqu’il se fait imposer trois notes de jazz dans sa matinale ou Christophe Comte lorsqu’il surprend sax ou trompette dans un chanson soumise à La Dispute d’Arnaud Laporte. « Et vous chanterez un jour ? » demande Aude Lavigne à Béesau ? Bien sûr ! D’ailleurs, il chante déjà un petit peu. Il ne devrait pas tarder à faire La Matinale…
Ah, j’oubliais… Ce Georges Jouvin du jazz moderne, c’est la dernière signature de Blue Note, le label de Clifford Brown, Lee Morgan, Freddie Hubbard, Donald Byrd, Don Cherry, Erik Truffaz, Ambrose Akinmusire. Blue Note France, faut-il préciser. Franck Bergerot
PS : tiens, je tombe sur Frédéric Goaty chez Europe 1… à propos Chet Baker. Ce n’est pas ma radio préférée, mais lorsque l’ami Fred vient y parler de rap ou de jazz, affrontant les quolibets ordinaires qui courent les ondes à propos du jazz, ça a finalement une autre gueule.