Bergamo Jazz, 37ème édition, épisode I
Exceptionnellement, la trente-septième édition de Bergamo Jazz (la quatrième sous la direction artistique d’Enrico Rava) débute au Teatro Sociale, au cœur de la ville haute de Bergame. Et qui s’en plaindrait ? L’endroit — plus simple de construction que le Teatro Donizetti où auront lieu les autres concerts de soirée — est majestueux dans sa rusticité et il ouvre sur la vieille ville, un de ces ensembles urbains historiques dont l’Italie a le secret, et où pas une pierre ne vous laisse indifférent sans pour cela se hausser du col et clamer la gloire de son passé.
Stefano Battaglia Trio : Battaglia (p), Salvatore Maiore (b), Roberto Dani (dm) ; Gianluigi Trovesi/Gianni Coscia Duo : Trovesi (cl, bcl), Coscia (acc). 19 mars.
Un peu comme le jazz italien, en quelque sorte, car les deux groupes qui se succèderont ce soir sur la scène sont à la fois des professionnels accomplis, des stylistes sans égal et des musiciens discrets, que les festivals européens ne s’arrachent pas. De même, qui en France connaît de Bergame autre chose que son nom ? Mais une fois sur place, arpentant les rues pavées de la ville haute, qui ne reste pas stupéfait devant les petites merveilles d’architecture qu’il découvre pas après pas ? Rien de flashy, rien de grandiose, mais une harmonie, un style qui font le charme et l’unicité de Bergame, comme de Sienne, de Pérouse, de Lecce…
Stefano Battaglia, c’est tout un monde, a priori surtout marqué par le goût de la mélodie lente et des harmonies raffinées. Mais qu’on l’écoute égrener des accords quasi médiévaux qu’il enrichit au fil des choix de voicings, qu’on l’entende répéter une ritournelle tandis que Dani brode des ponctuations sur ses toms et cymbales, qu’on fasse attention aux nuances de toucher ou aux variations de phrasé qu’il introduit en développant un thème, et on se rendra compte que non seulement Battaglia est loin d’être indifférent au rythme, mais aussi qu’il peut verser avec brio dans une abstraction qui n’est jamais aride. On comprendra enfin qu’il est un maître du « statique mouvant », de l’éternel retour du jamais pareil. D’un style, donc, qu’il a mis au point et qu’il peaufine, comme ces peintres italiens ou flamands du XVI° ou XVII° siècle — et demandait-on au Caravage de ressembler au Greco ? Arrivés à maturité, certains de ces maîtres perpétuaient leur vision du monde en créant une « école ». Battaglia enseigne aussi, à Sienne, en Toscane. Mais quel jeune pianiste non italien aurait l’idée d’aller chercher auprès de lui de quoi forger son propre art ? A une époque où l’influence à distance de Brad Mehldau et l’ombre posthume d’Esbjörn Svensson règnent en maîtresses sur le monde entier ?…
Certes, pour revenir au concert, on pourra parfois regretter l’aspect « anecdotique » d’une rythmique, faiblement ancrée dans la terre. Les toms cèdent beaucoup la place aux cymbales jouées rubato. La basse, l’archet, se complait parfois dans des imitations de cris de mouettes. Mais par-delà ces effets de mode (très ECM, diront certains), Stefano Battaglia reste un magnifique pianiste qui mériterait davantage d’intérêt hors de sa Botte natale.
Gianluigi Trovesi et Gianni Coscia, ce pourraient être des papys du jazz, vivant de leurs rentes. Rava présente d’ailleurs le clarinettiste comme étant le seul musicien italien plus âgé que lui-même. Mais à peine sont-ils sur scène qu’ils diffusent des ondes de bonne humeur juvénile, de plaisir de jouer, de virtuosité transcendée, auxquelles le public peut difficilement rester insensible. Et cette ambiance, qui s’installe entre eux et avec l’auditoire ne saurait en aucun cas servir de cache-misère à une musique de qualité moyenne. Trovesi/Coscia c’est du nec plus ultra du début à la fin, assaisonné de surprises (« Django » de John Lewis à la clarinette en mib et à l’accordéon, ça ne court pas les rues), de virages thématiques brusques (d’Offenbach à Verdi), de soudaines descentes en schuss mélodique, de moments d’émotion ou le cœur fond sous la beauté des sonorités que ces deux vétérans tirent de leurs instruments. Sans compter les blagues bon enfant, la ronde où ils nous entraînent, d’airs italiens en danses yiddish, de morceaux de jazz en chansons populaires. Car ils font feu de tout bois, ces deux-là, et la musique leur suinte par tous les pores. A les entendre on se dit que, foin des instruments, le style c’est quand même quelque chose. Et le style, en musique, non seulement ils en ont, ces deux-là, mais tout bien considéré, ils sont le style.
Thierry Quénum
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Exceptionnellement, la trente-septième édition de Bergamo Jazz (la quatrième sous la direction artistique d’Enrico Rava) débute au Teatro Sociale, au cœur de la ville haute de Bergame. Et qui s’en plaindrait ? L’endroit — plus simple de construction que le Teatro Donizetti où auront lieu les autres concerts de soirée — est majestueux dans sa rusticité et il ouvre sur la vieille ville, un de ces ensembles urbains historiques dont l’Italie a le secret, et où pas une pierre ne vous laisse indifférent sans pour cela se hausser du col et clamer la gloire de son passé.
Stefano Battaglia Trio : Battaglia (p), Salvatore Maiore (b), Roberto Dani (dm) ; Gianluigi Trovesi/Gianni Coscia Duo : Trovesi (cl, bcl), Coscia (acc). 19 mars.
Un peu comme le jazz italien, en quelque sorte, car les deux groupes qui se succèderont ce soir sur la scène sont à la fois des professionnels accomplis, des stylistes sans égal et des musiciens discrets, que les festivals européens ne s’arrachent pas. De même, qui en France connaît de Bergame autre chose que son nom ? Mais une fois sur place, arpentant les rues pavées de la ville haute, qui ne reste pas stupéfait devant les petites merveilles d’architecture qu’il découvre pas après pas ? Rien de flashy, rien de grandiose, mais une harmonie, un style qui font le charme et l’unicité de Bergame, comme de Sienne, de Pérouse, de Lecce…
Stefano Battaglia, c’est tout un monde, a priori surtout marqué par le goût de la mélodie lente et des harmonies raffinées. Mais qu’on l’écoute égrener des accords quasi médiévaux qu’il enrichit au fil des choix de voicings, qu’on l’entende répéter une ritournelle tandis que Dani brode des ponctuations sur ses toms et cymbales, qu’on fasse attention aux nuances de toucher ou aux variations de phrasé qu’il introduit en développant un thème, et on se rendra compte que non seulement Battaglia est loin d’être indifférent au rythme, mais aussi qu’il peut verser avec brio dans une abstraction qui n’est jamais aride. On comprendra enfin qu’il est un maître du « statique mouvant », de l’éternel retour du jamais pareil. D’un style, donc, qu’il a mis au point et qu’il peaufine, comme ces peintres italiens ou flamands du XVI° ou XVII° siècle — et demandait-on au Caravage de ressembler au Greco ? Arrivés à maturité, certains de ces maîtres perpétuaient leur vision du monde en créant une « école ». Battaglia enseigne aussi, à Sienne, en Toscane. Mais quel jeune pianiste non italien aurait l’idée d’aller chercher auprès de lui de quoi forger son propre art ? A une époque où l’influence à distance de Brad Mehldau et l’ombre posthume d’Esbjörn Svensson règnent en maîtresses sur le monde entier ?…
Certes, pour revenir au concert, on pourra parfois regretter l’aspect « anecdotique » d’une rythmique, faiblement ancrée dans la terre. Les toms cèdent beaucoup la place aux cymbales jouées rubato. La basse, l’archet, se complait parfois dans des imitations de cris de mouettes. Mais par-delà ces effets de mode (très ECM, diront certains), Stefano Battaglia reste un magnifique pianiste qui mériterait davantage d’intérêt hors de sa Botte natale.
Gianluigi Trovesi et Gianni Coscia, ce pourraient être des papys du jazz, vivant de leurs rentes. Rava présente d’ailleurs le clarinettiste comme étant le seul musicien italien plus âgé que lui-même. Mais à peine sont-ils sur scène qu’ils diffusent des ondes de bonne humeur juvénile, de plaisir de jouer, de virtuosité transcendée, auxquelles le public peut difficilement rester insensible. Et cette ambiance, qui s’installe entre eux et avec l’auditoire ne saurait en aucun cas servir de cache-misère à une musique de qualité moyenne. Trovesi/Coscia c’est du nec plus ultra du début à la fin, assaisonné de surprises (« Django » de John Lewis à la clarinette en mib et à l’accordéon, ça ne court pas les rues), de virages thématiques brusques (d’Offenbach à Verdi), de soudaines descentes en schuss mélodique, de moments d’émotion ou le cœur fond sous la beauté des sonorités que ces deux vétérans tirent de leurs instruments. Sans compter les blagues bon enfant, la ronde où ils nous entraînent, d’airs italiens en danses yiddish, de morceaux de jazz en chansons populaires. Car ils font feu de tout bois, ces deux-là, et la musique leur suinte par tous les pores. A les entendre on se dit que, foin des instruments, le style c’est quand même quelque chose. Et le style, en musique, non seulement ils en ont, ces deux-là, mais tout bien considéré, ils sont le style.
Thierry Quénum
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Exceptionnellement, la trente-septième édition de Bergamo Jazz (la quatrième sous la direction artistique d’Enrico Rava) débute au Teatro Sociale, au cœur de la ville haute de Bergame. Et qui s’en plaindrait ? L’endroit — plus simple de construction que le Teatro Donizetti où auront lieu les autres concerts de soirée — est majestueux dans sa rusticité et il ouvre sur la vieille ville, un de ces ensembles urbains historiques dont l’Italie a le secret, et où pas une pierre ne vous laisse indifférent sans pour cela se hausser du col et clamer la gloire de son passé.
Stefano Battaglia Trio : Battaglia (p), Salvatore Maiore (b), Roberto Dani (dm) ; Gianluigi Trovesi/Gianni Coscia Duo : Trovesi (cl, bcl), Coscia (acc). 19 mars.
Un peu comme le jazz italien, en quelque sorte, car les deux groupes qui se succèderont ce soir sur la scène sont à la fois des professionnels accomplis, des stylistes sans égal et des musiciens discrets, que les festivals européens ne s’arrachent pas. De même, qui en France connaît de Bergame autre chose que son nom ? Mais une fois sur place, arpentant les rues pavées de la ville haute, qui ne reste pas stupéfait devant les petites merveilles d’architecture qu’il découvre pas après pas ? Rien de flashy, rien de grandiose, mais une harmonie, un style qui font le charme et l’unicité de Bergame, comme de Sienne, de Pérouse, de Lecce…
Stefano Battaglia, c’est tout un monde, a priori surtout marqué par le goût de la mélodie lente et des harmonies raffinées. Mais qu’on l’écoute égrener des accords quasi médiévaux qu’il enrichit au fil des choix de voicings, qu’on l’entende répéter une ritournelle tandis que Dani brode des ponctuations sur ses toms et cymbales, qu’on fasse attention aux nuances de toucher ou aux variations de phrasé qu’il introduit en développant un thème, et on se rendra compte que non seulement Battaglia est loin d’être indifférent au rythme, mais aussi qu’il peut verser avec brio dans une abstraction qui n’est jamais aride. On comprendra enfin qu’il est un maître du « statique mouvant », de l’éternel retour du jamais pareil. D’un style, donc, qu’il a mis au point et qu’il peaufine, comme ces peintres italiens ou flamands du XVI° ou XVII° siècle — et demandait-on au Caravage de ressembler au Greco ? Arrivés à maturité, certains de ces maîtres perpétuaient leur vision du monde en créant une « école ». Battaglia enseigne aussi, à Sienne, en Toscane. Mais quel jeune pianiste non italien aurait l’idée d’aller chercher auprès de lui de quoi forger son propre art ? A une époque où l’influence à distance de Brad Mehldau et l’ombre posthume d’Esbjörn Svensson règnent en maîtresses sur le monde entier ?…
Certes, pour revenir au concert, on pourra parfois regretter l’aspect « anecdotique » d’une rythmique, faiblement ancrée dans la terre. Les toms cèdent beaucoup la place aux cymbales jouées rubato. La basse, l’archet, se complait parfois dans des imitations de cris de mouettes. Mais par-delà ces effets de mode (très ECM, diront certains), Stefano Battaglia reste un magnifique pianiste qui mériterait davantage d’intérêt hors de sa Botte natale.
Gianluigi Trovesi et Gianni Coscia, ce pourraient être des papys du jazz, vivant de leurs rentes. Rava présente d’ailleurs le clarinettiste comme étant le seul musicien italien plus âgé que lui-même. Mais à peine sont-ils sur scène qu’ils diffusent des ondes de bonne humeur juvénile, de plaisir de jouer, de virtuosité transcendée, auxquelles le public peut difficilement rester insensible. Et cette ambiance, qui s’installe entre eux et avec l’auditoire ne saurait en aucun cas servir de cache-misère à une musique de qualité moyenne. Trovesi/Coscia c’est du nec plus ultra du début à la fin, assaisonné de surprises (« Django » de John Lewis à la clarinette en mib et à l’accordéon, ça ne court pas les rues), de virages thématiques brusques (d’Offenbach à Verdi), de soudaines descentes en schuss mélodique, de moments d’émotion ou le cœur fond sous la beauté des sonorités que ces deux vétérans tirent de leurs instruments. Sans compter les blagues bon enfant, la ronde où ils nous entraînent, d’airs italiens en danses yiddish, de morceaux de jazz en chansons populaires. Car ils font feu de tout bois, ces deux-là, et la musique leur suinte par tous les pores. A les entendre on se dit que, foin des instruments, le style c’est quand même quelque chose. Et le style, en musique, non seulement ils en ont, ces deux-là, mais tout bien considéré, ils sont le style.
Thierry Quénum
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Exceptionnellement, la trente-septième édition de Bergamo Jazz (la quatrième sous la direction artistique d’Enrico Rava) débute au Teatro Sociale, au cœur de la ville haute de Bergame. Et qui s’en plaindrait ? L’endroit — plus simple de construction que le Teatro Donizetti où auront lieu les autres concerts de soirée — est majestueux dans sa rusticité et il ouvre sur la vieille ville, un de ces ensembles urbains historiques dont l’Italie a le secret, et où pas une pierre ne vous laisse indifférent sans pour cela se hausser du col et clamer la gloire de son passé.
Stefano Battaglia Trio : Battaglia (p), Salvatore Maiore (b), Roberto Dani (dm) ; Gianluigi Trovesi/Gianni Coscia Duo : Trovesi (cl, bcl), Coscia (acc). 19 mars.
Un peu comme le jazz italien, en quelque sorte, car les deux groupes qui se succèderont ce soir sur la scène sont à la fois des professionnels accomplis, des stylistes sans égal et des musiciens discrets, que les festivals européens ne s’arrachent pas. De même, qui en France connaît de Bergame autre chose que son nom ? Mais une fois sur place, arpentant les rues pavées de la ville haute, qui ne reste pas stupéfait devant les petites merveilles d’architecture qu’il découvre pas après pas ? Rien de flashy, rien de grandiose, mais une harmonie, un style qui font le charme et l’unicité de Bergame, comme de Sienne, de Pérouse, de Lecce…
Stefano Battaglia, c’est tout un monde, a priori surtout marqué par le goût de la mélodie lente et des harmonies raffinées. Mais qu’on l’écoute égrener des accords quasi médiévaux qu’il enrichit au fil des choix de voicings, qu’on l’entende répéter une ritournelle tandis que Dani brode des ponctuations sur ses toms et cymbales, qu’on fasse attention aux nuances de toucher ou aux variations de phrasé qu’il introduit en développant un thème, et on se rendra compte que non seulement Battaglia est loin d’être indifférent au rythme, mais aussi qu’il peut verser avec brio dans une abstraction qui n’est jamais aride. On comprendra enfin qu’il est un maître du « statique mouvant », de l’éternel retour du jamais pareil. D’un style, donc, qu’il a mis au point et qu’il peaufine, comme ces peintres italiens ou flamands du XVI° ou XVII° siècle — et demandait-on au Caravage de ressembler au Greco ? Arrivés à maturité, certains de ces maîtres perpétuaient leur vision du monde en créant une « école ». Battaglia enseigne aussi, à Sienne, en Toscane. Mais quel jeune pianiste non italien aurait l’idée d’aller chercher auprès de lui de quoi forger son propre art ? A une époque où l’influence à distance de Brad Mehldau et l’ombre posthume d’Esbjörn Svensson règnent en maîtresses sur le monde entier ?…
Certes, pour revenir au concert, on pourra parfois regretter l’aspect « anecdotique » d’une rythmique, faiblement ancrée dans la terre. Les toms cèdent beaucoup la place aux cymbales jouées rubato. La basse, l’archet, se complait parfois dans des imitations de cris de mouettes. Mais par-delà ces effets de mode (très ECM, diront certains), Stefano Battaglia reste un magnifique pianiste qui mériterait davantage d’intérêt hors de sa Botte natale.
Gianluigi Trovesi et Gianni Coscia, ce pourraient être des papys du jazz, vivant de leurs rentes. Rava présente d’ailleurs le clarinettiste comme étant le seul musicien italien plus âgé que lui-même. Mais à peine sont-ils sur scène qu’ils diffusent des ondes de bonne humeur juvénile, de plaisir de jouer, de virtuosité transcendée, auxquelles le public peut difficilement rester insensible. Et cette ambiance, qui s’installe entre eux et avec l’auditoire ne saurait en aucun cas servir de cache-misère à une musique de qualité moyenne. Trovesi/Coscia c’est du nec plus ultra du début à la fin, assaisonné de surprises (« Django » de John Lewis à la clarinette en mib et à l’accordéon, ça ne court pas les rues), de virages thématiques brusques (d’Offenbach à Verdi), de soudaines descentes en schuss mélodique, de moments d’émotion ou le cœur fond sous la beauté des sonorités que ces deux vétérans tirent de leurs instruments. Sans compter les blagues bon enfant, la ronde où ils nous entraînent, d’airs italiens en danses yiddish, de morceaux de jazz en chansons populaires. Car ils font feu de tout bois, ces deux-là, et la musique leur suinte par tous les pores. A les entendre on se dit que, foin des instruments, le style c’est quand même quelque chose. Et le style, en musique, non seulement ils en ont, ces deux-là, mais tout bien considéré, ils sont le style.
Thierry Quénum