Biarritz Amérique Latine: El Comité fait son festival…cubain
Assis à cheval sur le tabouret main droite tendue sur le clavier du piano de concert, main gauche accrochée à celui du piano électrique Rolando Luna, dans cette position acrobatique singulière n’en fixe pas moins intensément le duo percussions/batterie qui roule goulûment par dessus des temps ternaires. Le pianiste cubain affiche alors sur son visage ce drôle de sourire qui semble laisser sortir de sa bouche des mots privés du moindre son, façon film muet. Comme si ce dernier, tellement expressif dans son jeu de piano, voulait garder secret un chant intérieur venu chatouiller ses lèvres.
El Comité: Irving Acao (ts, ss), Carlos Sarduy (tp,bu), Rolando Luna (p), Gaston Joya (b), Yaroldy Abreu (perc), Rodney Barreto (dm); invitée: Yilian Canizares (vln)
Festival Biarritz Amérique Latine, Gare du Midi, Biarrtzz (64200), 29 septembre
El Comité rassemble de jeunes musiciens cubains éparpillés entre leur île natale et des terres européennes suite à des concerts et tournées successives (au sein des orchestres de Chucho Valdes ou Omara Portuondo notamment) Aussi ne doit-on pas s’étonner de trouver imprimée dans leur musique l’empreinte du « son », cette marque de fabrique, véritable vertu cardinale de la musique afro-cubaine, offerte dans une version réactualisée. Gran vïa, composition de Harold Lopez Nussa, -autre pianiste, l’un des fondateurs du groupe mais absent sur cette tournée- synthétise d’entrée un équilibre savant entre une galerie de timbres de cuivres éclatants et le ressort tendu des percussions. Dans cet orchestre, l’apport, individuel autant que collectif passe pourtant par l’injection permanente de bonnes doses d’ un « esprit jazz » via nombre de moments forts d’improvisation ou de soli toujours percutants. Tel se manifeste le langage propre à ces musiciens, ancré dans ces deux domaines de par leurs acquis respectifs. Autre illustration d’un tel tropisme: la Gitana. Le tempo s’y ralentit. La basse du compositeur du thème (Gaston Joya) dicte sa conduite, s’épanouit sur un gros son, bien rond. Pas d’esbrouffe. Aucune virtuosité gratuite: le climat oscille au naturel entre tendance tropicale, chaleur prégnante et vent d’appaisement. De quoi donner á Rolando Luna la possibliité d’un petit récital teinté d’un brio certain d’une main droite notamment très volubile (Pour ce musicien aujourd’hui installé á Toulouse, l’écoute d’un double album enregistré en solo témoigne de l’étendue de son registre pianistique, Rolando Luna, Faces, 2 CD Esprit du Piano )
Que dire des solistes ? Carlos Sarduy, déjá remarqué à l’instar de son compère bassiste au sein des diferentes formations de Chucho Valdes enchaîne des prestations lui aussi en opposition de phases, tensions vives vers les aigues (trompette) ou tendance au moelleux (bugle) Irving Acao, sans conteste le plus connu dans l’hexagone car vivant á Paris depuis plusieurs années, tire á l’occasion (Nada más) de son soprano une sonorité pleine, douce, appaisée. De fait l’exposition des thèmes, les contre-chants, les relances des deux cuivres réunis agissent en marqueur, délivrent une griffe au Comité.
Et question prestations solos, celui du percussionniste ( Yaroldy Abreu lui aussi enfant prodigue de Chucho) se vit comme un feu d’artifice, ajoutant un bonus au spectacle lorsque le batteur le rejoint pour d’éclatantes explosions rythmiques. La musique de ces cinq cubains de nouvelle génération très souple dans sa plastique, se coule, se cabre, se transforme au grès des climats ainsi dégagés.
Dans un tel contexte polymorphe l’intervention fort brève de Yilian Canizares, en invitée spéciale malheureusement desservie par le faible volume accordé á la sonorisation de son violon, ne présentait ce soir là qu’un intérêt tout relatif. Excepté peut-être dans l’envoi final, celui rythmiquement prononcé de renforcer le tapis de percussions pour une libération des candidats danseurs et danseuses, « descarga » attendue et vécue contenue…entre les rangées de fauteuils imitation velours.
Robert Latxague