Biarritz: Marcus Miller libéré surfe sur des vagues soul funk
À la clarinette basse Marcus Miller achève une phrase d’introduction de Preacher’s Kid dédié à son père récemment disparu. Venu de la rangée droite au premier rang, un grand gaillard monte alors sur la scène, se dirige droit vers lui. Sur le côté, surpris, deux roadies s’avancent. Trop tard. L’intrus étreint Marcus qui n’a pas bougé. Puis s’avance au micro pour clamer un texte de condoléances. Tout le monde, ébahi, interloqué, a juste pu retenir son souffle.
Marcus Miller (elb, voc), Alex Han (as), Russel Gunn (tp), Bret Williams (elp, cla), Alex Bailey (dm)
Gare du Midi, Biarritz, 10 avril
Marcus Miller n’aura pas touché sa basse sur ce thème consacré à son père. Comme à chaque concert depuis le début de cette tournée il a pris soin d’expliquer longuement tout ce qu’il doit à son géniteur à qui, par ce morceau composé à l’occasion de son album précédent, il rend un hommage appuyé « Il aurait rêvé sans doute de devenir musicien professionnel comme mon oncle Wynton Kelly, pianiste auprès de Miles ou Wes Montgomery. Mais pour pouvoir nous élever mon frère et moi, pour assurer une vie correcte à ma mère et toute la famille, mon père a choisi de bosser comme conducteur de métro à New York… » Pracher’s kid se conclue dès lors sur le souffle rauque de la clarinette basse égrenant un chapelet de notes couleurs blues « Pour cette raison j’ai choisi de reprendre dans « Laid Black » mon prochain album à venir chez Blue note le premier juin prochain, dans un arrangement différent, cette composition figurant déjà dans « Afrodeezia ». Mon père mérite bien cet égard » Surprise: ce soir à Biarritz le bassiste délaisse encore un instant son instrumentent fétiche pour démarrer son morceau sans doute le plus (re)connu, Tutu, au son syncopé de sa clarinette basse, soutenu par un jeu de cymbale marqué d’Alex Bailey. Il ne reprendra la basse électrique que plus tard, lorsque l’assise rythmique du thème écrit pour Miles lui parut assuré « Je peux essayer ce genre de truc en France assez facilement. Comme sur des tempos qui s’y prêtent demander au public de participer en frappant dans les mains ou même chanter un gimimck. Ici les gens ont le sens du rythme. En Allemagne ou au Japon, impossible !… » Leader, soliste plus qu’à son tour jusqu’à se lancer, se livrer totalement dans de longs chorus de basse, Marcus Miller paraît comme libéré au regard de concerts précédents « L’explication est simple. Jusqu’à il y a deux trois jours j’avais le poids du mixage de « Laid Black » à terminer d’urgence. Une dead line fixée au week end dernier ! L’ingénieur du son lui se trouvait à Los Angeles avec tout le contenu à fixer, à traiter directement avec moi. Or avec le décalage plus bien sur, les concerts à assurer, nos points de rencontre ne pouvaient se trouver que dans la nuit. Résultat, deux à trois heures de sommeil par jour durant trois semaines…De quoi monter sur scène plutôt tendu »
Libéré sur les planches donc le bassiste et chef d’orchestre au fameux chapeau.. Et toujours soucieux de faire jouer au plus haut ses jeunes musiciens. Dans le corps de l’orchestre en son entier ou au sein de formules de trio voire duo. Russel Gunn se livre ainsi sans retenue sur un passage pas si sage, virevoltage haut perché dans les aiguës pour Detroit. A l’habitude au plus dense de Hy Life, thème phare d’ »Afrodeezia« , Alex Han fait bouillir son alto façon heavy metal. Alex Bailey lui lance sa batterie en solo sur la base des ruptures savantes de Papa was a rolling stone. Pourtant, chaque fois et pour chacun d’entr’eux, il faut voir Marcus Miller les appuyer, les soutenir, venir au plus près comme dans un corps à corps instrumental initiatique les mettre sur orbite dans leurs échappées belles respectives. Et croyez-)moi, être ainsi boosté direct sous l’infernal sens du rythme du boss requiert déjà un sacré savoir faire de bas(s)e !
Deux thèmes de l’album à venir (certes un peu plus tard que prévu initialement) ont été mis à l’épreuve du public dans la salle très confort de la Gare du Midi – expérimentation un peu la règle, soit dit en passant, lors de la présente tournée- Trip Trap représente « une pure expérience de funk » selon son auteur. Ce qui s’énonce si clairement se vérifie aisément à l’imbrication façon noeud gordien basse-batterie. Sublimity,,également: ce long thème explore différentes séquences, occasion d’autant de palettes de couleurs contrastées. L’une s’appuyant sur une walking bass offre des unissons sax/trompette que l’on dirait revenus en écho de la planète Jazz Messengers. Immédiatement suivie d’une plage de groove pur, gros son d’orgue –Bret Williams paraît aussi à l’aise dans cet exercice qu’au piano- ronflant sur caisses et basse qui roulent de concert.
Au final on apprenait que l’inconnu monté sur scène sans plus d’explication était une connaissance sénégalaise du bassiste, poète à ses heures rencontré lors d’un concert à Dakar…
A Biarritz, ville de vagues et rouleaux roulants fort de l’Atlantique Marcus Miller, en décompression, avait visiblement décidé de laisser surfer sa musique sur des notes justes gorgées de soul.
Robert Latxague