Roberto Fonseca à Biarritz
Est- ce l’effet de jouer dans un festival d’images, de personnages, d’environnements paysagers ? En tous cas on note d’entrée de spectacle la volonté d’une mise en scène, d’une théâtralisation du propos musical. Le rideau se lève sur un homme ordinaire assis de dos, au crâne légèrement dégarni, dépassant d’un fauteuil club. Lorsqu’il se lève, nonchalant, dans une atmosphère de pénombre maintenue, jean, bottines et pull de coton serré on a quelque peu de mal à identifier le Roberto Fonseca que l’on a connu habituellement si élégant sur les planches et coiffé d’un éternel chapeau mode new-yorkaise. La silhouette se meut dans le décor minimaliste d’un salon petit bourgeois. Roberto Fonseca passe maintenant d’une table ornée d’un bouquet de fleurs et de bougies qu’il allume une à une à un canapé très middle class. Toujours dans une démarche lente, il vient rejoindre le piano trônant au centre de la scène.
Roberto Fonseca ( p, voc), Vincent Ségal ( (cello)
Festival Biarritz Amérique Latine, Gare du Midi, Biarritz, ( 64300)
Le concert démarre sur une base de pédale, richesse ciblée à la fois rythmique et harmonique. Soit autant de larges digressions pointant sur des lignes mélodiques presque évidentes: les années de formation « piano classique » ressurgissent sans distance apparente, piquées de petits reliefs afro cubains.
Puis toujours sans un mot mais dans une gestuelle un peu lourde, en bord de scène on le voit exposer soudain au public dans le silence le plus complet une série de grandes feuilles de papier écrites en préalable à la main pour souhaiter « bienvenue » et dire un grand « merci » en mots bien français.
Retour au piano pour une sorte de deuxième acte…musical. Au beau milieu d.une séquence d’accords savamment travaillés on distingue dans un court lever de rideau la grappe de notes qui sacralise le Siboney, thème culte à Cuba signe du grand compositeur Ernesto Lecuona (Chucho Valdes, Harold Lopez Nussa entr’autres pianistes cubains le sollicitent souvent pour puiser dans son œuvre, ses compositions, ses chansons) Sur les passages d’accord la main droite de Fonseca se lance sans difficulté, sans obstacle notoire dans la production instantanée d’improvisation totale quelque soit le tempo abordé. Saisissant.
Troisième acte: le pianiste laisse son clavier pour une longue séquence au tambourin agrémenté bientôt de bruits de bouches, le tout retranscrit en «looops », boucles électroniques créant au fur et à mesure autant de motifs rythmiques circulant en cercles de sons qui s’interpénètrent
Fonseca joue et se joue des notes comme des mesures. Alors le piano ressurgit en mode de motifs rythmiques comme marques de danses rituelles. Seul, utilisant une gamme de sons travaillés à l’avance, Fonseca chapeau retrouvé, fait alors dans la composition immédiate, s’activant tout au présent au risque d’accéder à l ’imparfait. Du Cuba d’hier à un Cuba de demain…musicalement parlant, chantant. Une première chez le musicien de La Havane, habituel générateur dans ses concerts de référentiels plutôt « pur cubains» Dans une formule inédite -« cela, je l’ai fait une ou deux fois seulement » dira-t-il plus tard- il parait chercher un public nouveau via ce parcours inédit
Acte 4 : sur une digression éthérée doigts en une promenade improvisée d’une extrémité du clavier à l’autre, une sonnerie retentit, de celles qui annoncent une arrivée à la porte d’entrée. Petit théâtre un peu tiré par les cheveux cachés sous le chapeau. Le pianiste va donc le chercher. Surprise: Vincent Ségal entre en scène, son violoncelle en bandoulière. La jonction se fait sur une partition de schéma très classique. Puis l’aspect rythmique prends corps, s’impose sous l’impulsion du piano. Le violoncelle doit se couler dans le moule, archet ou pizzicato font que les notes tombent au carré, justes, adéquates. Appropriées. Sourire aux lèvres, Fonseca joue bien le jeu.
Acte 5 dans une partie de décor de cuisine: « Mani », appellation populaire de la chanson cubaine culte El Manisero jouée dans le monde entier depuis les années 30 sort d’une radio posés sur un frigo. Roberto Fonseca s’empare de ces rythmes de « son», cette partition culte des rythmes de Cuba, sur un piano électrique/synthétiseur. Phrases peu à peu réverbérées et poussées en écho pour une sorte de sonate électrique qui englobera au final une autre hymne latino « quisas, quisas…» Et tant qu’à faire, le rythme continue sa mutation, l’élan de la danse le fait muter vers la « rumba » par le chemin de la clef rythmique cubaine, la fameuse « clave » Au diable le théâtre, Fonseca fort des 88 touches de son piano totalement maîtrisées, joue désormais pleinement dans son monde, sa langue vernaculaire, celle des musiques rites de son île. Restituées à la manière d’aujourd’hui. Au présent.
Bis: «…cette mélodie est importante pour moi…» Le pianiste se met à vocaliser sur ce substrat harmonique caractéristique. Il ne manquait plus que la voix dans cette pièce inédite, inattendue chez ce personnage musicien – que l’on retrouve désormais dans tout les festivals de France et d’ailleurs; et bientôt à l’Olympia pour initier la promotion de son nouvel album « La Gran diversion» / Montuno Wagram. La boucle est bouclée.
Robert Latxague
(Photos Robert Latxague)