BIRÉLI LAGRÈNE à Gaveau
Le premier disque en solo de Biréli («Solo Suites», Peewee ! / Socadisc), après plus de 40 ans de carrière, a paru la veille.
Le guitariste joue Salle Gaveau. Le disque m’a beaucoup plu, je ne voulais pas manquer ce rendez-vous. La dernière fois que j’ai écouté le guitariste en concert, c’était dans un festival d’été, voici près de 3 ans, avec un trio façon All Stars : pas le contexte idéal pour apprécier la singularité d’un artiste. Mais ce soir il en ira autrement.
BIRÉLI LAGRÈNE (guitare électro-acoustique, guitare électrique, guitare basse, effets, voix traitée) ; invitée pour un titre Zoé Lagrène (voix)
Paris, Salle Gaveau, 7 mai 2022, 20h30
Le tract initial annonçant le concert indiquait 20h. Distrait, j’avais ce premier horaire en mémoire, et j’étais donc très en avance.
Dans les rangs encore clairsemés de l’orchestre, près de 30 minutes avant l’entrée en scène de l’artiste, je suis plongé dans le livre d’un penseur polyglotte et brillant qui, au prétexte d’interroger la possibilité du discours sur les Arts (à coup d’indicible et de transcendance) taille des croupières passablement réac’ aux courants critiques des années 50, 60, 70 (et au-delà). Et je lis ceci :«Nous pouvons -presque avec cruauté- faire contraster la richesse de communication de la musique avec les agitations stériles du verbe». Comme je m’y essaye depuis maintenant plus de cinquante ans, je vais une fois de plus tenter de vous conter la soirée : je ne suis qu’un chroniqueur, un raconteur d’instants péférablement vécus.
L’artiste n’a manifestement pas fait le choix de rejouer le disque tout neuf à l’identique. D’ailleurs, comme il l’avouera au public, il ne suit pas un programme, mais paraît plutôt s’en remettre aux désirs musicaux de l’instant. Le concert commence par une ballade, qui semble effleurer nos mémoires comme celle du musicien. Puis c’est un thème très rythmique, où le guitariste mêle phrases et effets percussifs : ça bouge, ça danse dans nos têtes et nos pieds, et la musique avance avec une sorte d’allégresse. Vient alors, après une intro de vertiges digitaux et néanmoins guitaristiques, un parcours très libre autour du blues, avec citation brève de standard et envolées lyriques très près de l’idiome fondateur. Le thème suivant abordera aussi les mêmes harmonies, mais dans un esprit country-blues-rock, avec une boucle lancée par l’artiste, variations de la guitare et de la voix traitée. Biréli donne l’impression de se jouer de ces artifices jusqu’à une sorte de jubilation.
Changement de guitare, pour l’électrique pure et dure, avec des effets, et une déambulation qui passe par l’effleurement d’un standard, et une sorte de fugue. L’instrument chante avec un lyrisme assumé. Retour à la guitare électroacoustique : Biréli se joue des sons, des harmonies et des phrases, bifurque sans cesse, sans jamais trahir son tempo intérieur. Un instant la guitare chante O Sole Mio, à moins que ce ne soit It’s Now or Never….
C’est alors que le guitariste passe vers le fond de scène pour en revenir avec une guitare basse. Et il va la faire chanter avec art, avant de s’embarquer up tempo dans un phrasé bebop, comme l’avait fait naguère Pastorius : c’est un pur vertige, mais un vertige très musical ! Après avoir remisé la basse électrique, Biréli invite sa fille, Zoé Lagrène, à le rejoindre. Comme sur le disque, c’est un solo avec invitée, pour un seul titre comme sur le CD, et le même : Angel From Montgomery. Une chanson immortalisée naguère par Carly Simon, où l’esprit country se fond dans la soul music : Zoé Lagrène fait merveille par l’intensité de son expressivité. Public emballé, à juste titre. Biréli poursuit en solo, change l’accordage de sa guitare et nous embarque encore avec lui : il musarde, bifurque et s’évade sur un sentier de beauté sereine : ce sera la conclusion du concert.
Enfin pas tout à fait. Le guitariste revient pour jouer Caravan (un titre du CD), dans une version personnelle (relativement proche du disque cette fois). Et devant l’insistance des auditeurs, ultime retour, sans référence au disque, avec C’est si bon. Ovation verticale, très méritée, et chroniqueur conquis.
Xavier Prévost