Biréli Lagrène enchante Gaveau
Ça n’arrive pas à chaque concert qu’on voit, mais parfois on a du mal à trouver les mots pour expliquer ce qu’on a entendu. Comment voulez vous rendre compte d’une musique où chaque morceau est un monde en soi et chaque accord une porte ouverte vers l’inouï ?
Ce soir Biréli n’avait rien préparé, comme à chaque fois qu’il se produit dans le plus simple apparat. On a retrouvé quelques fragments des morceaux du superbe “Solo Suites”, qui vient de sortir sur le label PeeWee! (c’est un Choc Jazzmag), mais pour l’essentiel il s’est laissé porter par son imagination et sa fantaisie. Quelques secondes de réflexion et le voilà qui déroule une mélodie aérienne, touché exquis, accompagnée d’accords oniriques (mon Dieu ces accords !), avec la même assurance que s’il lisait une partition.
Une invention à la Bach se transforme en morceau de bravoure country puis en blues, quelques échos de standards et citations facétieuses. Il y a de la vulnérabilité (Biréli nous avoue qu’il est un peu nerveux au début du concert) mais surtout beaucoup d’humour, et des instants de magie qu’il multiplie à volonté. Quelques effets, par touches presque subliminales, une guitare acoustique et une électrique : il n’a presque rien sur lui et nous donne tout un monde.
Plus tard, il ira chercher la basse électrique cachée derrière l’ampli, expliquera timidement qu’il ne voulait pas venir à Paris sans elle, et se lancera dans une improvisation renversante où s’invite bientôt (on devine que c’était trop tentant), un Donna Lee vertigineux qui, avec son style à la Jaco, fait immanquablement penser à la version sidérante qu’en avait enregistré pour son premier album le « meilleur bassiste du monde », comme Pastorius aimait à se présenter.
Une chanson avec sa fille Zoé et quelques rappels chaleureusement réclamés plus tard, on se rend compte que “Solo Suites” n’a levé qu’un petit bout de voile sur son imagination illimitée, et qu’il aurait presque pu enregistrer ce concert pour en sortir bientôt un deuxième volume tout aussi renversant. Une soirée qu’on n’oubliera pas et qui, on l’espère très fort, en appelle beaucoup d’autre. Longue vie à Biréli ! Yazid Kouloughli