Bobby Watson et Famoudou Don Moye à Bergame
Un vétéran de l’alto toujours bon pied bon œil et un concert historique en hommage à l’Art Ensemble Of Chicago : grande soirée au Teatro Donizetti.
Ce n’est pas le vénérable Bobby Watson, 70 ans, qui foule les planches le premier mais son pianiste Jordan Williams, seul en scène pour une généreuse intro (“généreuse” est trop faible : il rince le clavier dans tous les sens) avant de donner le signal qui fait sortir le reste du groupe de l’arrière scène, un ensemble ou le jeune Wallace Roney Jr à la trompette et le pianiste côtoient trois vétérans, le bassiste Curtis Lundy et le batteur Victor Jones, prodigieux d’engagement physique, et bien sûr le leader lui-même, qui produisent un son d’une puissance à laquelle il est difficile de rendre justice, et auxquels les vieux loups de mer ne contribuent pas moins que leurs deux jeunes recrues, ni dans l’énergie ni dans les propositions. Mention spéciale tour de même à Wallace Rooney Jr. qui frôle les étoiles à chaque chorus, que le groupe produise un mur de son, ou recrée subitement une atmosphère de club intimiste.
Retour vers le futur
Place maintenant à l’hommage XXL de Famoudou Don Moye à l’Art Ensemble of Chicago, concert historique pour le festival de Bergame puisque c’est l’un des tous premiers qui ait été donné ici, à une époque où la musique du groupe devenu mythique était assez subversive pour déclencher des échanges de coups de poings dans le public. Rien d’aussi extrême ce soir, et c’est heureux, mais le spectacle n’en est pas moins différent de de tout ce qu’on a entendu au festival jusqu’ici.
Voix et percussions sont au centre de ce spectacle dont on ne saurait dire s’il est méticuleusement préparé, comme le laisse penser la quantité impressionante d’instruments disposés sur scène, ou s’il se construit sous nos yeux sous la direction de Don Moye, au four et au moulin et qui dirige le groupe autant qu’il le laisse librement s’exprimer. A plusieurs reprises, les noms de ses camarades disparus de l’Art Ensemble sont prononcés, appelés, criés. Reste que le groupe qui entoure Don Moye est éblouissant : Le truculent bassiste Junius Paul et le percussionniste Dudù Kouate sont étincelants d’énergie brute, Eddy Kwon, violon virtuose et une voix qui ne l’est pas moins, est une révélation, au même titre que le multi-instrumentiste Simon Sieger qui livre une performance invraisemblable de maîtrise, au piano comme à l’orgue, au trombone, à la flûte ou aux percussions. On retrouve Moor Mother dont le spoken word fait merveille dans cet ensemble dantesque, et le concert prend bientôt des airs d’odyssée. Dans une partie du public, on sent parfois une vague presque imperceptible de perplexité ou d’impatience, aussitôt démentie par des applaudissements nourris chaque fois qu’il a l’occasion d’en offrir au groupe. La célébration se clot comme elle a commencé, par une chorale solaire et galvanisante, et il semble bien que cinquante ans après leur premier concert à Bergame, l’Esprit de l’Art Ensemble Of Chicago n’a rien perdu de son pouvoir sur les foules ni de sa force.