Bojan Z et Olivier Py à La Fabrica'son
Le festival Festiva’son organisé par l’association La Fabrica’son s’est terminée dimanche 11 mai par deux magnifiques concerts : Bojan Z et le trio d’Olivier Py se sont succédés sur la scène de la salle des fêtes de Malakoff pour clôturer le festival de l’association.
Dimanche 11 mai, Salle des Fêtes de Malakoff (94),
Festival Festiva’son
Bojan Z (piano, fender)
Olivier Py (saxophone tenor), Jean-Philippe Morel (contrebasse), Franck Vaillant ( batterie)
Avant de parler du festival, quelques mots sur l’association La Fabrica’son qui existe depuis maintenant 14 ans. Fondée par le contrebassiste Jean-Claude Oleksiak, elle a ceci de particulier qu’elle est un regroupement de musiciensvivant à Malakoff . Le festival est la partie la plus visible de son action. Mais La Fabrica’sonmène toute l’année de nombreuses activités: Un concert par mois (en collaboration avec le théâtre 71), et des initiatives nombreuses, notamment pour initier au jazz les enfants des écoles. Depuis cette année, La Fabrica’son est aussi un label (dont le premier opus « A ciel ouvert », un disque du quartet de Jean-Claude Oleksiak avec Pierre Perchaud à la guitare, Emile Parisien au saxophone, Antoine Paganotti à la batterie vient de paraître ).
Et donc, en conclusion du festival, Bojan Zulfikarpasic (il serait temps que tout le monde prononce son nom en entier…), et Olivier Py : une bien belle affiche. Bojan Zulfikarpasic, on l’écoute depuis ses débuts avec Henri Texier, et on l’a aimé tout de suite. On adore son intensité, son toucher, ces moments chez lui où, les accents balkaniques remontent à ses doigts et accélèrent la musique, comme des blue notes venues d’Europe centrale.
Il se présente ce dimanche dans son dispositif habituel en solo, avec son piano et son Fender formant un angle droit, et lui se trouvant au creux de cet angle, un pied sur la pédale du Fender, un pied sur celle du piano, ce qui requiert non seulement de la maîtrise mais de la souplesse. C’est un dispositif qui lui permet d’enrichir sa palette sonore, mais qui produit aussi des collisions, des effets de dialogue. Cela lui permet, en réalité, d’être plusieurs tout en étant tout seul, or la musique qu’il compose, il suffit de se référer à ses premiers disques, a cette qualité dialogique prononcée.
Bojan commence fort. Après avoir installé une boucle il met en place une ligne de basse puissante, puis lui superpose un délicieux petit motif printanier dans les aigus du piano. Comme d’habitude Bojan utilise tout le registre du piano, du très grave au très aigu. Le deuxième morceau est aussi incisif que le premier, avec toujours des basses aussi puissantes : Bojan est un gars qui aime construire sur du solide.
Ensuite, Bojan déroule ses classiques, Full Half Moon, composition en hommage à la ville de Sarajevo, Bohemska (« C’est un morceau dédié aux voyageurs de toutes sortes y compris les musiciens ») Sweet Shelter of Mine (« celui-là je ne commente pas » dit-il). Bojan, apparemment en veine nostalgique ce jour-là, enchaîne avec Hometown, un morceau écrit pour Belgrade, sa ville natale, puis Solobsession.
Bojan est plus volubile qu’à l’accoutumée. Il annonce ainsi le prochain morceau : « Cela s’appelle Dad’s Favorite. J’avais un père qui n’était pas musicien professionnel, mais qui aimait beaucoup la musique. Il jouait du piano, et de la guitare. Il commençait et finissait toujours par le même morceau. Je ne m’étais jamais demandé ce que c’était. Quand il est décédé il y a huit ans, ce morceau m’est revenu. Je me suis renseigné auprès de ma famille, j’ai découvert qu’il s’agissait d’une romance hongroise interprétée par un chanteur serbe assez obscur. Je me suis procuré le disque, et j’ai découvert que la version de mon père s’écartait sensiblement de l’original. En fait, la version de mon père était beaucoup mieux ! Et voilà… là où mon père a laissé le fardeau, moi je le reprends… ».
Le morceau est comme une amande. Bojan commence par la pulpe, improvise autour de la mélodie, puis il la joue enfin, dans les graves, de manière très vocale avec une émotion retenue. Il termine par quelques variations pour permettre au public de redescendre sur terre. C’est un des plus beaux moments du concert. Il joue ensuite un morceau inspiré par une métrique traditionnelle du Maghreb, la chaâbi, qu’il a baptisé « le 6/8 ». Il termine par une reprise de Duke Ellington, In a Turquoise Cloud qu’il annonce comme suit : « Le morceau a été composé en 1947. A cette époque le monde ne ressemblait pas du tout à un nuage turquoise, mais Duke Ellington, rempli d’optimisme, le voyait comme ça. Je vais vous jouer ce morceau en espérant donner moi-aussi un peu d’optimisme à ceux qui m’écoutent ». Le morceau est joué tout en délicatesse, en faisant sentir toutes les couleurs qui composent ce turquoise ellingtonien. Fugitivement, on regrette un peu que Bojan ne se prenne pas à jouer plus de standards. Lush Life par Bojan Zulfkarpasic, on rêve d’entendre ça…
Le concert est fini. Après les acclamations, le maître remballe son fender et l’enfourne sans façon dans le coffre de sa voiture garée à côté de la salle des fêtes. Puis, toujours disponible et souriant, il prend le temps d’une cigarette, et d’une photo avec un certain Slobodan (« Slobodan, ça veut dire liberté, tu savais ? » dit-il au gars. Le gars ne savait pas). Puis, une casquette kaki vissée sur la tête, Bojan évoque ce fameux dispositif, fender et piano à angle droits : « Ecoute, ça fait dix ans que je fais ça… Au début j’ai eu des critiques de mon ancien entourage professionnel qui me disaient que les gens ne comprenaient pas, et que ça les emmerdait. Mais j’ai préféré changer mon entourage que mon dispositif ! ».
Après Bojan Zulfikarpasic viennen
t Olivier Py et son trio. Ils jouent la musique de son dernier disque « Birds of paradise », inspirée des relevés de chants d’oiseau d’Olivier Messiaen. Ils délivrent une musique intense, fiévreuse. Elle se caractérise par une grande complexité rythmique mais aussi une urgence telle qu’il n’est pas besoin d’être expert en mesures impaires ni en claves pour se sentir emporté par leur son. Les musiciens tirent tous dans la même direction.
.
Le contrebassiste Jean-Philippe Morel joue un rôle essentiel. Il tape son archet sur les cordes, frappe la contrebasse avec sa main, ou même la fait crisser d’une manière. Il dramatise et enrichit la pulsation mise en place par Frank Vaillant. Ce dernier fait partie de ces batteurs qui aiment élargir leur palette sonore (il utilise dans le premier morceau une feuille qu’il met sur ses fûts, puis des cloches , un triangle, et même , on y reviendra de mystérieuses petites radios qu’il met en résonance). Il pousse sans arrêt le groupe. Quand à Olivier Py, il procède le plus souvent par phrases courtes, denses, et de temps en temps, quelques magnifiques envolées. Les morceaux ont tous des noms de couleurs qui ne sont pas des emprunts à Messiaen mais à « Réservoir Dogs ». Mister Tiny Grey, morceau en trois parties joué vers la fin du concert est une grande réussite. La première partie donne l’impression d’une marche en avant inéluctable, avant l’inéluctable paroxysme. Il y a chez ces trois musiciens une cohérence frappante, un son de groupe évident (avec notamment, un art du crissement, du grésillement, du raclement où chacun apporte sa contribution). Tous trois sont compacts comme un poing serré.
Après le concert, on demande à Olivier Py quel rapport exact entretient sa musique avec celle d’Olivier Messiaen. « Je suis parti de ses relevés de chants d’oiseaux. Je m’en suis inspiré de manière assez libre, en essayant d’en tirer des angles d’attaque pour le groupe. J’ai essayé de définir pour chaque morceau des contraintes différentes, qui peuvent être rythmiques, ou harmoniques, mais parfois le morceau est laissé ouvert sur l’improvisation… ». Il essaie de se souvenir quels chants d’oiseaux l’ont inspirés : « Euh…il y avait celui de la fauvette à tête noire, le merle bleu… le paillot fortis… ». Franck Vaillant passe juste à côté. On lui demande de nous expliquer un peu la complexité rythmique de certains morceaux, comme par exemple Lady Red Light. « Eh bien , c’est simple, il y a une clave… c’est en 4/4 et en 9/8… non, attends… c’est en 4/4 et en 3/16… enfin, c’est plus facile à faire qu’à expliquer ! ». Olivier Py passe par là, et donne son avis sur la question : « C’est en 6 et 3,5 ». Franck Vaillant tape sur sa bouteille de bière pour vérifier. « Ah tiens… Bah, de toute façon, on ne compte plus, on entend… ».
On l’interroge sur l’un des objets bizarres qu’il agite sur le dernier morceau : « Ce sont des talkies walkies… ça fait des interférences intéressantes avec les micros. Enfin, parfois ça prend, parfois ça prend pas. J’ai un talkie avec une pile qui marche, et l’autre avec une pile morte. Je crée des larsen, en fait. Mais il faut que je désaccorde la grosse caisse pour essayer d’être en hauteur avec les talkies… »
Ces gars-là, décidément, sont de drôles d’oiseaux.
Texte JF Mondot
Dessins AC Alvoët
|
Le festival Festiva’son organisé par l’association La Fabrica’son s’est terminée dimanche 11 mai par deux magnifiques concerts : Bojan Z et le trio d’Olivier Py se sont succédés sur la scène de la salle des fêtes de Malakoff pour clôturer le festival de l’association.
Dimanche 11 mai, Salle des Fêtes de Malakoff (94),
Festival Festiva’son
Bojan Z (piano, fender)
Olivier Py (saxophone tenor), Jean-Philippe Morel (contrebasse), Franck Vaillant ( batterie)
Avant de parler du festival, quelques mots sur l’association La Fabrica’son qui existe depuis maintenant 14 ans. Fondée par le contrebassiste Jean-Claude Oleksiak, elle a ceci de particulier qu’elle est un regroupement de musiciensvivant à Malakoff . Le festival est la partie la plus visible de son action. Mais La Fabrica’sonmène toute l’année de nombreuses activités: Un concert par mois (en collaboration avec le théâtre 71), et des initiatives nombreuses, notamment pour initier au jazz les enfants des écoles. Depuis cette année, La Fabrica’son est aussi un label (dont le premier opus « A ciel ouvert », un disque du quartet de Jean-Claude Oleksiak avec Pierre Perchaud à la guitare, Emile Parisien au saxophone, Antoine Paganotti à la batterie vient de paraître ).
Et donc, en conclusion du festival, Bojan Zulfikarpasic (il serait temps que tout le monde prononce son nom en entier…), et Olivier Py : une bien belle affiche. Bojan Zulfikarpasic, on l’écoute depuis ses débuts avec Henri Texier, et on l’a aimé tout de suite. On adore son intensité, son toucher, ces moments chez lui où, les accents balkaniques remontent à ses doigts et accélèrent la musique, comme des blue notes venues d’Europe centrale.
Il se présente ce dimanche dans son dispositif habituel en solo, avec son piano et son Fender formant un angle droit, et lui se trouvant au creux de cet angle, un pied sur la pédale du Fender, un pied sur celle du piano, ce qui requiert non seulement de la maîtrise mais de la souplesse. C’est un dispositif qui lui permet d’enrichir sa palette sonore, mais qui produit aussi des collisions, des effets de dialogue. Cela lui permet, en réalité, d’être plusieurs tout en étant tout seul, or la musique qu’il compose, il suffit de se référer à ses premiers disques, a cette qualité dialogique prononcée.
Bojan commence fort. Après avoir installé une boucle il met en place une ligne de basse puissante, puis lui superpose un délicieux petit motif printanier dans les aigus du piano. Comme d’habitude Bojan utilise tout le registre du piano, du très grave au très aigu. Le deuxième morceau est aussi incisif que le premier, avec toujours des basses aussi puissantes : Bojan est un gars qui aime construire sur du solide.
Ensuite, Bojan déroule ses classiques, Full Half Moon, composition en hommage à la ville de Sarajevo, Bohemska (« C’est un morceau dédié aux voyageurs de toutes sortes y compris les musiciens ») Sweet Shelter of Mine (« celui-là je ne commente pas » dit-il). Bojan, apparemment en veine nostalgique ce jour-là, enchaîne avec Hometown, un morceau écrit pour Belgrade, sa ville natale, puis Solobsession.
Bojan est plus volubile qu’à l’accoutumée. Il annonce ainsi le prochain morceau : « Cela s’appelle Dad’s Favorite. J’avais un père qui n’était pas musicien professionnel, mais qui aimait beaucoup la musique. Il jouait du piano, et de la guitare. Il commençait et finissait toujours par le même morceau. Je ne m’étais jamais demandé ce que c’était. Quand il est décédé il y a huit ans, ce morceau m’est revenu. Je me suis renseigné auprès de ma famille, j’ai découvert qu’il s’agissait d’une romance hongroise interprétée par un chanteur serbe assez obscur. Je me suis procuré le disque, et j’ai découvert que la version de mon père s’écartait sensiblement de l’original. En fait, la version de mon père était beaucoup mieux ! Et voilà… là où mon père a laissé le fardeau, moi je le reprends… ».
Le morceau est comme une amande. Bojan commence par la pulpe, improvise autour de la mélodie, puis il la joue enfin, dans les graves, de manière très vocale avec une émotion retenue. Il termine par quelques variations pour permettre au public de redescendre sur terre. C’est un des plus beaux moments du concert. Il joue ensuite un morceau inspiré par une métrique traditionnelle du Maghreb, la chaâbi, qu’il a baptisé « le 6/8 ». Il termine par une reprise de Duke Ellington, In a Turquoise Cloud qu’il annonce comme suit : « Le morceau a été composé en 1947. A cette époque le monde ne ressemblait pas du tout à un nuage turquoise, mais Duke Ellington, rempli d’optimisme, le voyait comme ça. Je vais vous jouer ce morceau en espérant donner moi-aussi un peu d’optimisme à ceux qui m’écoutent ». Le morceau est joué tout en délicatesse, en faisant sentir toutes les couleurs qui composent ce turquoise ellingtonien. Fugitivement, on regrette un peu que Bojan ne se prenne pas à jouer plus de standards. Lush Life par Bojan Zulfkarpasic, on rêve d’entendre ça…
Le concert est fini. Après les acclamations, le maître remballe son fender et l’enfourne sans façon dans le coffre de sa voiture garée à côté de la salle des fêtes. Puis, toujours disponible et souriant, il prend le temps d’une cigarette, et d’une photo avec un certain Slobodan (« Slobodan, ça veut dire liberté, tu savais ? » dit-il au gars. Le gars ne savait pas). Puis, une casquette kaki vissée sur la tête, Bojan évoque ce fameux dispositif, fender et piano à angle droits : « Ecoute, ça fait dix ans que je fais ça… Au début j’ai eu des critiques de mon ancien entourage professionnel qui me disaient que les gens ne comprenaient pas, et que ça les emmerdait. Mais j’ai préféré changer mon entourage que mon dispositif ! ».
Après Bojan Zulfikarpasic viennen
t Olivier Py et son trio. Ils jouent la musique de son dernier disque « Birds of paradise », inspirée des relevés de chants d’oiseau d’Olivier Messiaen. Ils délivrent une musique intense, fiévreuse. Elle se caractérise par une grande complexité rythmique mais aussi une urgence telle qu’il n’est pas besoin d’être expert en mesures impaires ni en claves pour se sentir emporté par leur son. Les musiciens tirent tous dans la même direction.
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Le contrebassiste Jean-Philippe Morel joue un rôle essentiel. Il tape son archet sur les cordes, frappe la contrebasse avec sa main, ou même la fait crisser d’une manière. Il dramatise et enrichit la pulsation mise en place par Frank Vaillant. Ce dernier fait partie de ces batteurs qui aiment élargir leur palette sonore (il utilise dans le premier morceau une feuille qu’il met sur ses fûts, puis des cloches , un triangle, et même , on y reviendra de mystérieuses petites radios qu’il met en résonance). Il pousse sans arrêt le groupe. Quand à Olivier Py, il procède le plus souvent par phrases courtes, denses, et de temps en temps, quelques magnifiques envolées. Les morceaux ont tous des noms de couleurs qui ne sont pas des emprunts à Messiaen mais à « Réservoir Dogs ». Mister Tiny Grey, morceau en trois parties joué vers la fin du concert est une grande réussite. La première partie donne l’impression d’une marche en avant inéluctable, avant l’inéluctable paroxysme. Il y a chez ces trois musiciens une cohérence frappante, un son de groupe évident (avec notamment, un art du crissement, du grésillement, du raclement où chacun apporte sa contribution). Tous trois sont compacts comme un poing serré.
Après le concert, on demande à Olivier Py quel rapport exact entretient sa musique avec celle d’Olivier Messiaen. « Je suis parti de ses relevés de chants d’oiseaux. Je m’en suis inspiré de manière assez libre, en essayant d’en tirer des angles d’attaque pour le groupe. J’ai essayé de définir pour chaque morceau des contraintes différentes, qui peuvent être rythmiques, ou harmoniques, mais parfois le morceau est laissé ouvert sur l’improvisation… ». Il essaie de se souvenir quels chants d’oiseaux l’ont inspirés : « Euh…il y avait celui de la fauvette à tête noire, le merle bleu… le paillot fortis… ». Franck Vaillant passe juste à côté. On lui demande de nous expliquer un peu la complexité rythmique de certains morceaux, comme par exemple Lady Red Light. « Eh bien , c’est simple, il y a une clave… c’est en 4/4 et en 9/8… non, attends… c’est en 4/4 et en 3/16… enfin, c’est plus facile à faire qu’à expliquer ! ». Olivier Py passe par là, et donne son avis sur la question : « C’est en 6 et 3,5 ». Franck Vaillant tape sur sa bouteille de bière pour vérifier. « Ah tiens… Bah, de toute façon, on ne compte plus, on entend… ».
On l’interroge sur l’un des objets bizarres qu’il agite sur le dernier morceau : « Ce sont des talkies walkies… ça fait des interférences intéressantes avec les micros. Enfin, parfois ça prend, parfois ça prend pas. J’ai un talkie avec une pile qui marche, et l’autre avec une pile morte. Je crée des larsen, en fait. Mais il faut que je désaccorde la grosse caisse pour essayer d’être en hauteur avec les talkies… »
Ces gars-là, décidément, sont de drôles d’oiseaux.
Texte JF Mondot
Dessins AC Alvoët
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Le festival Festiva’son organisé par l’association La Fabrica’son s’est terminée dimanche 11 mai par deux magnifiques concerts : Bojan Z et le trio d’Olivier Py se sont succédés sur la scène de la salle des fêtes de Malakoff pour clôturer le festival de l’association.
Dimanche 11 mai, Salle des Fêtes de Malakoff (94),
Festival Festiva’son
Bojan Z (piano, fender)
Olivier Py (saxophone tenor), Jean-Philippe Morel (contrebasse), Franck Vaillant ( batterie)
Avant de parler du festival, quelques mots sur l’association La Fabrica’son qui existe depuis maintenant 14 ans. Fondée par le contrebassiste Jean-Claude Oleksiak, elle a ceci de particulier qu’elle est un regroupement de musiciensvivant à Malakoff . Le festival est la partie la plus visible de son action. Mais La Fabrica’sonmène toute l’année de nombreuses activités: Un concert par mois (en collaboration avec le théâtre 71), et des initiatives nombreuses, notamment pour initier au jazz les enfants des écoles. Depuis cette année, La Fabrica’son est aussi un label (dont le premier opus « A ciel ouvert », un disque du quartet de Jean-Claude Oleksiak avec Pierre Perchaud à la guitare, Emile Parisien au saxophone, Antoine Paganotti à la batterie vient de paraître ).
Et donc, en conclusion du festival, Bojan Zulfikarpasic (il serait temps que tout le monde prononce son nom en entier…), et Olivier Py : une bien belle affiche. Bojan Zulfikarpasic, on l’écoute depuis ses débuts avec Henri Texier, et on l’a aimé tout de suite. On adore son intensité, son toucher, ces moments chez lui où, les accents balkaniques remontent à ses doigts et accélèrent la musique, comme des blue notes venues d’Europe centrale.
Il se présente ce dimanche dans son dispositif habituel en solo, avec son piano et son Fender formant un angle droit, et lui se trouvant au creux de cet angle, un pied sur la pédale du Fender, un pied sur celle du piano, ce qui requiert non seulement de la maîtrise mais de la souplesse. C’est un dispositif qui lui permet d’enrichir sa palette sonore, mais qui produit aussi des collisions, des effets de dialogue. Cela lui permet, en réalité, d’être plusieurs tout en étant tout seul, or la musique qu’il compose, il suffit de se référer à ses premiers disques, a cette qualité dialogique prononcée.
Bojan commence fort. Après avoir installé une boucle il met en place une ligne de basse puissante, puis lui superpose un délicieux petit motif printanier dans les aigus du piano. Comme d’habitude Bojan utilise tout le registre du piano, du très grave au très aigu. Le deuxième morceau est aussi incisif que le premier, avec toujours des basses aussi puissantes : Bojan est un gars qui aime construire sur du solide.
Ensuite, Bojan déroule ses classiques, Full Half Moon, composition en hommage à la ville de Sarajevo, Bohemska (« C’est un morceau dédié aux voyageurs de toutes sortes y compris les musiciens ») Sweet Shelter of Mine (« celui-là je ne commente pas » dit-il). Bojan, apparemment en veine nostalgique ce jour-là, enchaîne avec Hometown, un morceau écrit pour Belgrade, sa ville natale, puis Solobsession.
Bojan est plus volubile qu’à l’accoutumée. Il annonce ainsi le prochain morceau : « Cela s’appelle Dad’s Favorite. J’avais un père qui n’était pas musicien professionnel, mais qui aimait beaucoup la musique. Il jouait du piano, et de la guitare. Il commençait et finissait toujours par le même morceau. Je ne m’étais jamais demandé ce que c’était. Quand il est décédé il y a huit ans, ce morceau m’est revenu. Je me suis renseigné auprès de ma famille, j’ai découvert qu’il s’agissait d’une romance hongroise interprétée par un chanteur serbe assez obscur. Je me suis procuré le disque, et j’ai découvert que la version de mon père s’écartait sensiblement de l’original. En fait, la version de mon père était beaucoup mieux ! Et voilà… là où mon père a laissé le fardeau, moi je le reprends… ».
Le morceau est comme une amande. Bojan commence par la pulpe, improvise autour de la mélodie, puis il la joue enfin, dans les graves, de manière très vocale avec une émotion retenue. Il termine par quelques variations pour permettre au public de redescendre sur terre. C’est un des plus beaux moments du concert. Il joue ensuite un morceau inspiré par une métrique traditionnelle du Maghreb, la chaâbi, qu’il a baptisé « le 6/8 ». Il termine par une reprise de Duke Ellington, In a Turquoise Cloud qu’il annonce comme suit : « Le morceau a été composé en 1947. A cette époque le monde ne ressemblait pas du tout à un nuage turquoise, mais Duke Ellington, rempli d’optimisme, le voyait comme ça. Je vais vous jouer ce morceau en espérant donner moi-aussi un peu d’optimisme à ceux qui m’écoutent ». Le morceau est joué tout en délicatesse, en faisant sentir toutes les couleurs qui composent ce turquoise ellingtonien. Fugitivement, on regrette un peu que Bojan ne se prenne pas à jouer plus de standards. Lush Life par Bojan Zulfkarpasic, on rêve d’entendre ça…
Le concert est fini. Après les acclamations, le maître remballe son fender et l’enfourne sans façon dans le coffre de sa voiture garée à côté de la salle des fêtes. Puis, toujours disponible et souriant, il prend le temps d’une cigarette, et d’une photo avec un certain Slobodan (« Slobodan, ça veut dire liberté, tu savais ? » dit-il au gars. Le gars ne savait pas). Puis, une casquette kaki vissée sur la tête, Bojan évoque ce fameux dispositif, fender et piano à angle droits : « Ecoute, ça fait dix ans que je fais ça… Au début j’ai eu des critiques de mon ancien entourage professionnel qui me disaient que les gens ne comprenaient pas, et que ça les emmerdait. Mais j’ai préféré changer mon entourage que mon dispositif ! ».
Après Bojan Zulfikarpasic viennen
t Olivier Py et son trio. Ils jouent la musique de son dernier disque « Birds of paradise », inspirée des relevés de chants d’oiseau d’Olivier Messiaen. Ils délivrent une musique intense, fiévreuse. Elle se caractérise par une grande complexité rythmique mais aussi une urgence telle qu’il n’est pas besoin d’être expert en mesures impaires ni en claves pour se sentir emporté par leur son. Les musiciens tirent tous dans la même direction.
.
Le contrebassiste Jean-Philippe Morel joue un rôle essentiel. Il tape son archet sur les cordes, frappe la contrebasse avec sa main, ou même la fait crisser d’une manière. Il dramatise et enrichit la pulsation mise en place par Frank Vaillant. Ce dernier fait partie de ces batteurs qui aiment élargir leur palette sonore (il utilise dans le premier morceau une feuille qu’il met sur ses fûts, puis des cloches , un triangle, et même , on y reviendra de mystérieuses petites radios qu’il met en résonance). Il pousse sans arrêt le groupe. Quand à Olivier Py, il procède le plus souvent par phrases courtes, denses, et de temps en temps, quelques magnifiques envolées. Les morceaux ont tous des noms de couleurs qui ne sont pas des emprunts à Messiaen mais à « Réservoir Dogs ». Mister Tiny Grey, morceau en trois parties joué vers la fin du concert est une grande réussite. La première partie donne l’impression d’une marche en avant inéluctable, avant l’inéluctable paroxysme. Il y a chez ces trois musiciens une cohérence frappante, un son de groupe évident (avec notamment, un art du crissement, du grésillement, du raclement où chacun apporte sa contribution). Tous trois sont compacts comme un poing serré.
Après le concert, on demande à Olivier Py quel rapport exact entretient sa musique avec celle d’Olivier Messiaen. « Je suis parti de ses relevés de chants d’oiseaux. Je m’en suis inspiré de manière assez libre, en essayant d’en tirer des angles d’attaque pour le groupe. J’ai essayé de définir pour chaque morceau des contraintes différentes, qui peuvent être rythmiques, ou harmoniques, mais parfois le morceau est laissé ouvert sur l’improvisation… ». Il essaie de se souvenir quels chants d’oiseaux l’ont inspirés : « Euh…il y avait celui de la fauvette à tête noire, le merle bleu… le paillot fortis… ». Franck Vaillant passe juste à côté. On lui demande de nous expliquer un peu la complexité rythmique de certains morceaux, comme par exemple Lady Red Light. « Eh bien , c’est simple, il y a une clave… c’est en 4/4 et en 9/8… non, attends… c’est en 4/4 et en 3/16… enfin, c’est plus facile à faire qu’à expliquer ! ». Olivier Py passe par là, et donne son avis sur la question : « C’est en 6 et 3,5 ». Franck Vaillant tape sur sa bouteille de bière pour vérifier. « Ah tiens… Bah, de toute façon, on ne compte plus, on entend… ».
On l’interroge sur l’un des objets bizarres qu’il agite sur le dernier morceau : « Ce sont des talkies walkies… ça fait des interférences intéressantes avec les micros. Enfin, parfois ça prend, parfois ça prend pas. J’ai un talkie avec une pile qui marche, et l’autre avec une pile morte. Je crée des larsen, en fait. Mais il faut que je désaccorde la grosse caisse pour essayer d’être en hauteur avec les talkies… »
Ces gars-là, décidément, sont de drôles d’oiseaux.
Texte JF Mondot
Dessins AC Alvoët
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Le festival Festiva’son organisé par l’association La Fabrica’son s’est terminée dimanche 11 mai par deux magnifiques concerts : Bojan Z et le trio d’Olivier Py se sont succédés sur la scène de la salle des fêtes de Malakoff pour clôturer le festival de l’association.
Dimanche 11 mai, Salle des Fêtes de Malakoff (94),
Festival Festiva’son
Bojan Z (piano, fender)
Olivier Py (saxophone tenor), Jean-Philippe Morel (contrebasse), Franck Vaillant ( batterie)
Avant de parler du festival, quelques mots sur l’association La Fabrica’son qui existe depuis maintenant 14 ans. Fondée par le contrebassiste Jean-Claude Oleksiak, elle a ceci de particulier qu’elle est un regroupement de musiciensvivant à Malakoff . Le festival est la partie la plus visible de son action. Mais La Fabrica’sonmène toute l’année de nombreuses activités: Un concert par mois (en collaboration avec le théâtre 71), et des initiatives nombreuses, notamment pour initier au jazz les enfants des écoles. Depuis cette année, La Fabrica’son est aussi un label (dont le premier opus « A ciel ouvert », un disque du quartet de Jean-Claude Oleksiak avec Pierre Perchaud à la guitare, Emile Parisien au saxophone, Antoine Paganotti à la batterie vient de paraître ).
Et donc, en conclusion du festival, Bojan Zulfikarpasic (il serait temps que tout le monde prononce son nom en entier…), et Olivier Py : une bien belle affiche. Bojan Zulfikarpasic, on l’écoute depuis ses débuts avec Henri Texier, et on l’a aimé tout de suite. On adore son intensité, son toucher, ces moments chez lui où, les accents balkaniques remontent à ses doigts et accélèrent la musique, comme des blue notes venues d’Europe centrale.
Il se présente ce dimanche dans son dispositif habituel en solo, avec son piano et son Fender formant un angle droit, et lui se trouvant au creux de cet angle, un pied sur la pédale du Fender, un pied sur celle du piano, ce qui requiert non seulement de la maîtrise mais de la souplesse. C’est un dispositif qui lui permet d’enrichir sa palette sonore, mais qui produit aussi des collisions, des effets de dialogue. Cela lui permet, en réalité, d’être plusieurs tout en étant tout seul, or la musique qu’il compose, il suffit de se référer à ses premiers disques, a cette qualité dialogique prononcée.
Bojan commence fort. Après avoir installé une boucle il met en place une ligne de basse puissante, puis lui superpose un délicieux petit motif printanier dans les aigus du piano. Comme d’habitude Bojan utilise tout le registre du piano, du très grave au très aigu. Le deuxième morceau est aussi incisif que le premier, avec toujours des basses aussi puissantes : Bojan est un gars qui aime construire sur du solide.
Ensuite, Bojan déroule ses classiques, Full Half Moon, composition en hommage à la ville de Sarajevo, Bohemska (« C’est un morceau dédié aux voyageurs de toutes sortes y compris les musiciens ») Sweet Shelter of Mine (« celui-là je ne commente pas » dit-il). Bojan, apparemment en veine nostalgique ce jour-là, enchaîne avec Hometown, un morceau écrit pour Belgrade, sa ville natale, puis Solobsession.
Bojan est plus volubile qu’à l’accoutumée. Il annonce ainsi le prochain morceau : « Cela s’appelle Dad’s Favorite. J’avais un père qui n’était pas musicien professionnel, mais qui aimait beaucoup la musique. Il jouait du piano, et de la guitare. Il commençait et finissait toujours par le même morceau. Je ne m’étais jamais demandé ce que c’était. Quand il est décédé il y a huit ans, ce morceau m’est revenu. Je me suis renseigné auprès de ma famille, j’ai découvert qu’il s’agissait d’une romance hongroise interprétée par un chanteur serbe assez obscur. Je me suis procuré le disque, et j’ai découvert que la version de mon père s’écartait sensiblement de l’original. En fait, la version de mon père était beaucoup mieux ! Et voilà… là où mon père a laissé le fardeau, moi je le reprends… ».
Le morceau est comme une amande. Bojan commence par la pulpe, improvise autour de la mélodie, puis il la joue enfin, dans les graves, de manière très vocale avec une émotion retenue. Il termine par quelques variations pour permettre au public de redescendre sur terre. C’est un des plus beaux moments du concert. Il joue ensuite un morceau inspiré par une métrique traditionnelle du Maghreb, la chaâbi, qu’il a baptisé « le 6/8 ». Il termine par une reprise de Duke Ellington, In a Turquoise Cloud qu’il annonce comme suit : « Le morceau a été composé en 1947. A cette époque le monde ne ressemblait pas du tout à un nuage turquoise, mais Duke Ellington, rempli d’optimisme, le voyait comme ça. Je vais vous jouer ce morceau en espérant donner moi-aussi un peu d’optimisme à ceux qui m’écoutent ». Le morceau est joué tout en délicatesse, en faisant sentir toutes les couleurs qui composent ce turquoise ellingtonien. Fugitivement, on regrette un peu que Bojan ne se prenne pas à jouer plus de standards. Lush Life par Bojan Zulfkarpasic, on rêve d’entendre ça…
Le concert est fini. Après les acclamations, le maître remballe son fender et l’enfourne sans façon dans le coffre de sa voiture garée à côté de la salle des fêtes. Puis, toujours disponible et souriant, il prend le temps d’une cigarette, et d’une photo avec un certain Slobodan (« Slobodan, ça veut dire liberté, tu savais ? » dit-il au gars. Le gars ne savait pas). Puis, une casquette kaki vissée sur la tête, Bojan évoque ce fameux dispositif, fender et piano à angle droits : « Ecoute, ça fait dix ans que je fais ça… Au début j’ai eu des critiques de mon ancien entourage professionnel qui me disaient que les gens ne comprenaient pas, et que ça les emmerdait. Mais j’ai préféré changer mon entourage que mon dispositif ! ».
Après Bojan Zulfikarpasic viennen
t Olivier Py et son trio. Ils jouent la musique de son dernier disque « Birds of paradise », inspirée des relevés de chants d’oiseau d’Olivier Messiaen. Ils délivrent une musique intense, fiévreuse. Elle se caractérise par une grande complexité rythmique mais aussi une urgence telle qu’il n’est pas besoin d’être expert en mesures impaires ni en claves pour se sentir emporté par leur son. Les musiciens tirent tous dans la même direction.
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Le contrebassiste Jean-Philippe Morel joue un rôle essentiel. Il tape son archet sur les cordes, frappe la contrebasse avec sa main, ou même la fait crisser d’une manière. Il dramatise et enrichit la pulsation mise en place par Frank Vaillant. Ce dernier fait partie de ces batteurs qui aiment élargir leur palette sonore (il utilise dans le premier morceau une feuille qu’il met sur ses fûts, puis des cloches , un triangle, et même , on y reviendra de mystérieuses petites radios qu’il met en résonance). Il pousse sans arrêt le groupe. Quand à Olivier Py, il procède le plus souvent par phrases courtes, denses, et de temps en temps, quelques magnifiques envolées. Les morceaux ont tous des noms de couleurs qui ne sont pas des emprunts à Messiaen mais à « Réservoir Dogs ». Mister Tiny Grey, morceau en trois parties joué vers la fin du concert est une grande réussite. La première partie donne l’impression d’une marche en avant inéluctable, avant l’inéluctable paroxysme. Il y a chez ces trois musiciens une cohérence frappante, un son de groupe évident (avec notamment, un art du crissement, du grésillement, du raclement où chacun apporte sa contribution). Tous trois sont compacts comme un poing serré.
Après le concert, on demande à Olivier Py quel rapport exact entretient sa musique avec celle d’Olivier Messiaen. « Je suis parti de ses relevés de chants d’oiseaux. Je m’en suis inspiré de manière assez libre, en essayant d’en tirer des angles d’attaque pour le groupe. J’ai essayé de définir pour chaque morceau des contraintes différentes, qui peuvent être rythmiques, ou harmoniques, mais parfois le morceau est laissé ouvert sur l’improvisation… ». Il essaie de se souvenir quels chants d’oiseaux l’ont inspirés : « Euh…il y avait celui de la fauvette à tête noire, le merle bleu… le paillot fortis… ». Franck Vaillant passe juste à côté. On lui demande de nous expliquer un peu la complexité rythmique de certains morceaux, comme par exemple Lady Red Light. « Eh bien , c’est simple, il y a une clave… c’est en 4/4 et en 9/8… non, attends… c’est en 4/4 et en 3/16… enfin, c’est plus facile à faire qu’à expliquer ! ». Olivier Py passe par là, et donne son avis sur la question : « C’est en 6 et 3,5 ». Franck Vaillant tape sur sa bouteille de bière pour vérifier. « Ah tiens… Bah, de toute façon, on ne compte plus, on entend… ».
On l’interroge sur l’un des objets bizarres qu’il agite sur le dernier morceau : « Ce sont des talkies walkies… ça fait des interférences intéressantes avec les micros. Enfin, parfois ça prend, parfois ça prend pas. J’ai un talkie avec une pile qui marche, et l’autre avec une pile morte. Je crée des larsen, en fait. Mais il faut que je désaccorde la grosse caisse pour essayer d’être en hauteur avec les talkies… »
Ces gars-là, décidément, sont de drôles d’oiseaux.
Texte JF Mondot
Dessins AC Alvoët