Jazz live
Publié le 20 Mar 2015

Brice Wassy et Jean-Jacques Elangué font Kelin Kelin au pied de la cathédrale de Laon

Les quatre tours de la cathédrale Laon et leurs seize bœufs ont dansé cette nuit au son du Kelin Kelin Orchestra du batteur Brice Wassy et du saxophoniste Jean-Jacques Elangué, brassage de grands savoirs mélodiques et rythmiques africains et d’une science de l’improvisation et de l’arrangement pour section à vents qui vient du jazz. Il me semble que l’on avait besoin depuis longtemps d’un tel orchestre. Tout à l’heure, il a mis debout le public du festival Jazz’titudes de Laon.

 

Jazz’titudes, Laon (02), le 18 mars 2015.

 

Kélin Kélin Orchestra : Brice Wassy (batterie, direction, compositions et arrangements, chant, claquettes), Jean-Jacques Elangué (sax ténor, co-direction, compositions et arrangements, chant, claves), Ronald Baker (trompette), Mark Sims (trombone), Roger Kom, Rodolphe Lauretta (sax alto), Ben Labejof (flûte),sax baryton), Xavier Sibre (clarinette, sax baryton), Abbé Ngayihi (piano), Sébatien Richelieu (guitare basse électrique), Macabo (tambours).

 

Voici un orchestre que je guettais depuis de nombreux mois – il a deux ans d’existence – et il est quelque peu paradoxal que, moi, l’arpenteur du jazz parisien, je n’ai jamais pris la peine de gravir l’escalier du Baiser salé pour aller l’écouter là où il est en quasi-résidence. Mais l’exotisme a ses raison et, exotisme pour exotisme, pourquoi ne pas aller l’entendre à Laon, dont on n’est pas sûr de savoir prononcer le nom et que l’on ne sait pas bien où situer (à 140 km de Paris !). Le bénévole qui vient me chercher à la gare m’informe que Laon est la préfecture de l’Aisne (ah ! l’école de Jules Ferry n’est plus ce qu’elle était depuis longtemps) et que Reims n’est qu’à 65 km. Ce qui me rappelle que j’ai fait mon service militaire à Reims et que le vendredi soir, parmi ceux qui prenaient la route du nord (Valenciennes, Charleville-Mézières, Tourcoing…), certains partaient pour Laon que je situais “par là-haut”. Ce qui me rappelle aussi qu’un dimanche soir de l’hiver 1974-75, je rentrai sur Reims sans attendre l’appel du lundi matin, parce que le Chris McGregor Brotherhood of Breath étaient à l’affiche dans la banlieue reimoise. Et même si, 40 ans plus tard, j’ai du mal à retrouver sur les enregistrements ce que j’avais entendu ce soir-là, je ne me suis jamais totalement remis de ce concert et que le poste de garde m’a vu franchir le portail de la caserne sous une tempête de neige de décorateur de théâtre comme si j’avais vidé les réserves en alcool des bars de la place d’Erlon. Or cette confrérie du souffle dont j’ai longtemps recherché l’emprise, je crois l’avoir retrouvée tout à l’heure avec le Kelin Kelin. Avec certes d’autres moyens, un certain sens de l’entertainment a pris la place d’un relatif radicalisme free, une plus grande maîtrise tant des ensembles de cuivres que de la polyrythmie, mais sans perdre de ce souffle que le Brotherhood of Breath perdit en se disciplinant par la suite.

 

Je ne vous renverrai pas vers les quelques images du Kelin Kelin qui trainent sur YouTube. Ce sont elles qui ont attiré mon attention sur l’orchestre, mais ce sont aussi celles qui m’ont fait craindre une déception lorsque, découvrant il y a trois jours que le bouclage du numéro d’avril de Jazzmag allait bon train, j’ai décidé de me rendre à Jazz’titudes où Dominique Capelle, le programmateur, tentait de m’attirer depuis plusieurs semaines. Ces images disponibles sur YouTube montrent en effet un orchestre encore tout vert et/ou trop mal enregistré pour mettre en valeur le potentiel qui pourtant s’y révèle.

 

Mais au fait, qui sont les deux maîtres d’œuvre de cet ensemble. Les spécialistes de l’Afrique le conaissent bien (Manu DiBango, Pierre Akendegue, Salif Keita…) Pour ma part, la première fois que le nom de Brice Wassy m’est venu aux oreilles, ce devait être en 1993, dans la bouche de Graham Haynes que j’avais interviewé sur un banc du bois de Vincennes, avec Misja Fitzerald-Michel pour interprète, au sujet du Mbase pour Jazzman. Graham Haynes s’était laissé attirer, comme bien d’autres, dans la capitale par les musiciens de la communauté africaine, où il avait enregistrer “Nocturne Parisian” en 1991 avec Mokhtar Samba, et ou il enregistrerait “The Griots Footsteps” en 1994, avec Brice Wassy. Par la suite, j’ai entendu Brice Wassy ici et là, sans bien suivre les moments les plus saillants de sa carrière (parmi lesquels le groupe Tchokola de Jean-Luc Ponty), le croisant au hasard de mes sorties au voisinage de ces musiciens qui ont fait fleurir l’héritage de Steve Coleman en France, comme Hubert Dupont, avec Nicolas Genest sur son très beau “Lékéré”, et retrouvant son nom dans la bouche d’étudiants du CNSM à la sortie d’une masterclass… Chaque fois, c’était entendre chanter les louanges ou constater par moi-même cette science polyrythmique où semblait se condenser l’essence du malentendu entre Europe et Afrique, malentendu dont il n’est pas certain qu’il n’existe pas aussi d’une certaine façon entre l’Amérique, fût-elle noire, et l’Afrique. Sauf chez ceux qui se sont vraiment penchés sur la question.

 

Quant à Jean-Jacques Elangué, je connaissais son nom, mais aussi, assez vaguement, le son de son saxophone et sa science de l’improvisation sur lesquels Thierry Quénum attira notre attention dans nos colonnes, notamment sur son bel album en duo avec Tom McClung “This Is You”. Il semble que Jean-Jacques Elangué et Brice Wassy étaient faits pour se rencontrer.

 

Mais s’il y a complémentarité entre ces deux Camerounais, Brice le rythmicien-mélodiste et Jean-Jacques le jazzman passé par l’histoire du jazz et sa science de l’improvisation et de l’arrangement, on aurait tort de les opposer l’un à l’autre, tant la complicité se fait quasi fusionnelle, notamment dans la présence charnelle qu’ils donnent à leurs prestations respectives, tous deux chanteurs, exhorteurs, danseurs (stupéfiant numéro de claquette de Brice tout soudain)… Mais des musiciens africains capables de se donner physiquement sur scène ainsi, et de chauffer une salle, il n’en manque pas. Ce condensé d’Afrique que Brice fait perler sous ses baguettes est moins commun et l’on comprend qu’il ait fasciné tout ceux qui s’intéressent aux pensées rythmiques extra-européennes. Quant à leur répertoire puisé au travers de la diaspora noire, des Antilles à La Réunion, dont leur effectif à géométrie variable fait délégation, il est dépasse tout ce que l’on a pu entendre jusque-là en matière de high-life, d’afro-beat, de marabi, de maloya ou de son cubain, parce qu’il les brasse en un panafricanisme compact et irréductible à la somme de ses composants, grâce à une écriture “longue” et audacieuse, transfigurée par le pouvoir d’arrangements aussi puissants que sophistiqués qui ne brident pas la spontanéité du groupe, même si la spontanéité des solistes reste le terrain où il a encore à gagné pour peu que d’autres salles lui donnent l’opportunité de rencontrer son public.

 

Les solistes… On croit d’abord que l’on entendra surtout Elangué, mais c’est ici Ronald Baker qui se rappelle à notre bon souvenir, là Abbé Ngayilvi qui se lance dans un solo de piano aux allures transfigurées de balafon (ce son très court, percussif, qu’il imite parfois plus textuellement sur un petit synthé), ici encore Roger Kom qui déjoue les pièges du cycle harmonique court de l’harmonie “afro-missionnaire”, et là encore Rodolphe Lauretta qui lance en contrepoint quelques commentaires décalés tirés de ses multiples expériences dans les clubs parisiens (souvenez-vous lecteurs de Jazzman dans les années 90, RXL, c’était lui), enfin en rappel, un solo de baryton hors d’haleine de Xavier
Sibre (remplaçant pour la soirée de Kayou Roots) dont on avait apprécié auparavant dans la soirée les unissons de clarinette avec la flûte de l’autre baryton de l’orchestre, Ben Labejof. Je n’ai cité ni Mark Sims dont la réputation n’est plus à faire, ni Macabo , ni Sébastien Richelieu dont les tambours et guitare basse ont roulé parmi les polyrythmes du leader avec cette grâce décontractée dont l’Afrique a le secret. Et j’ajouterai que, si je prête foi aux confidences de Rodolphe Lauretta dans le foyer du théâtre, l’orchestre a dans ses cartons un répertoire Mingus, qu’il me tarde d’entendre. Tandis qu’au sortir de la Maison des Arts et Loisirs de Laon, les quatre tours de la cathédrale vacillaient encore, j’ai franchi la porte de l’hôtel de la Bannière, comme j’avais franchi sous la neige, quatre décennies plus tôt, le portail de la caserne Chatelus à Reims, me disant que le Kelin Klein Orchestra était l’orchestre que nous attendions depuis. Franck Bergerot

 

Ps: Me ramenant au train, Dominique Capelle, programmateur et vice président de Jazz’titudes, me fait faire le tour de la haute ville de Laon dont j’ai visité la singulière cathédrale au tombé du lit, désolé que le brouillard nous masque les points de vue sur la campagne environnante, et ressitue la géographie jazzistique régionale avec plus au nord la saison Jazz en Nord, et me fait un portrait d’un personnage rencontré la veille, Richard Bréchet, qui préside aux destinées de l’Alibi, jazz club quasi-confidentiel sis à Berlinval au nord-ouest de Soissons, où Archie Shepp, George Cabbles, Kirk Lightsey, Steve Lehmann, Bobby Few et bien d’autres ont ou eurent sinon leur rond de serviette, du moins leur nom à l’affiche.

 

Demain, au festival Jazz’titudes de Laon, vous entendrez David Murray avec une rythmique de choc (Peter Orrins, Jaribu Shahid et Nashett Waits), le 21 le folk blues de Grace and the Vitory Riders et le Motown Show, le 22 l’accordéoniste Lionel Suarez, puis le trio du contrebassiste François Mechali avec le guitariste Frédéric Favarel et le batteur Ramon Lopez. Rompez !

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Les quatre tours de la cathédrale Laon et leurs seize bœufs ont dansé cette nuit au son du Kelin Kelin Orchestra du batteur Brice Wassy et du saxophoniste Jean-Jacques Elangué, brassage de grands savoirs mélodiques et rythmiques africains et d’une science de l’improvisation et de l’arrangement pour section à vents qui vient du jazz. Il me semble que l’on avait besoin depuis longtemps d’un tel orchestre. Tout à l’heure, il a mis debout le public du festival Jazz’titudes de Laon.

 

Jazz’titudes, Laon (02), le 18 mars 2015.

 

Kélin Kélin Orchestra : Brice Wassy (batterie, direction, compositions et arrangements, chant, claquettes), Jean-Jacques Elangué (sax ténor, co-direction, compositions et arrangements, chant, claves), Ronald Baker (trompette), Mark Sims (trombone), Roger Kom, Rodolphe Lauretta (sax alto), Ben Labejof (flûte),sax baryton), Xavier Sibre (clarinette, sax baryton), Abbé Ngayihi (piano), Sébatien Richelieu (guitare basse électrique), Macabo (tambours).

 

Voici un orchestre que je guettais depuis de nombreux mois – il a deux ans d’existence – et il est quelque peu paradoxal que, moi, l’arpenteur du jazz parisien, je n’ai jamais pris la peine de gravir l’escalier du Baiser salé pour aller l’écouter là où il est en quasi-résidence. Mais l’exotisme a ses raison et, exotisme pour exotisme, pourquoi ne pas aller l’entendre à Laon, dont on n’est pas sûr de savoir prononcer le nom et que l’on ne sait pas bien où situer (à 140 km de Paris !). Le bénévole qui vient me chercher à la gare m’informe que Laon est la préfecture de l’Aisne (ah ! l’école de Jules Ferry n’est plus ce qu’elle était depuis longtemps) et que Reims n’est qu’à 65 km. Ce qui me rappelle que j’ai fait mon service militaire à Reims et que le vendredi soir, parmi ceux qui prenaient la route du nord (Valenciennes, Charleville-Mézières, Tourcoing…), certains partaient pour Laon que je situais “par là-haut”. Ce qui me rappelle aussi qu’un dimanche soir de l’hiver 1974-75, je rentrai sur Reims sans attendre l’appel du lundi matin, parce que le Chris McGregor Brotherhood of Breath étaient à l’affiche dans la banlieue reimoise. Et même si, 40 ans plus tard, j’ai du mal à retrouver sur les enregistrements ce que j’avais entendu ce soir-là, je ne me suis jamais totalement remis de ce concert et que le poste de garde m’a vu franchir le portail de la caserne sous une tempête de neige de décorateur de théâtre comme si j’avais vidé les réserves en alcool des bars de la place d’Erlon. Or cette confrérie du souffle dont j’ai longtemps recherché l’emprise, je crois l’avoir retrouvée tout à l’heure avec le Kelin Kelin. Avec certes d’autres moyens, un certain sens de l’entertainment a pris la place d’un relatif radicalisme free, une plus grande maîtrise tant des ensembles de cuivres que de la polyrythmie, mais sans perdre de ce souffle que le Brotherhood of Breath perdit en se disciplinant par la suite.

 

Je ne vous renverrai pas vers les quelques images du Kelin Kelin qui trainent sur YouTube. Ce sont elles qui ont attiré mon attention sur l’orchestre, mais ce sont aussi celles qui m’ont fait craindre une déception lorsque, découvrant il y a trois jours que le bouclage du numéro d’avril de Jazzmag allait bon train, j’ai décidé de me rendre à Jazz’titudes où Dominique Capelle, le programmateur, tentait de m’attirer depuis plusieurs semaines. Ces images disponibles sur YouTube montrent en effet un orchestre encore tout vert et/ou trop mal enregistré pour mettre en valeur le potentiel qui pourtant s’y révèle.

 

Mais au fait, qui sont les deux maîtres d’œuvre de cet ensemble. Les spécialistes de l’Afrique le conaissent bien (Manu DiBango, Pierre Akendegue, Salif Keita…) Pour ma part, la première fois que le nom de Brice Wassy m’est venu aux oreilles, ce devait être en 1993, dans la bouche de Graham Haynes que j’avais interviewé sur un banc du bois de Vincennes, avec Misja Fitzerald-Michel pour interprète, au sujet du Mbase pour Jazzman. Graham Haynes s’était laissé attirer, comme bien d’autres, dans la capitale par les musiciens de la communauté africaine, où il avait enregistrer “Nocturne Parisian” en 1991 avec Mokhtar Samba, et ou il enregistrerait “The Griots Footsteps” en 1994, avec Brice Wassy. Par la suite, j’ai entendu Brice Wassy ici et là, sans bien suivre les moments les plus saillants de sa carrière (parmi lesquels le groupe Tchokola de Jean-Luc Ponty), le croisant au hasard de mes sorties au voisinage de ces musiciens qui ont fait fleurir l’héritage de Steve Coleman en France, comme Hubert Dupont, avec Nicolas Genest sur son très beau “Lékéré”, et retrouvant son nom dans la bouche d’étudiants du CNSM à la sortie d’une masterclass… Chaque fois, c’était entendre chanter les louanges ou constater par moi-même cette science polyrythmique où semblait se condenser l’essence du malentendu entre Europe et Afrique, malentendu dont il n’est pas certain qu’il n’existe pas aussi d’une certaine façon entre l’Amérique, fût-elle noire, et l’Afrique. Sauf chez ceux qui se sont vraiment penchés sur la question.

 

Quant à Jean-Jacques Elangué, je connaissais son nom, mais aussi, assez vaguement, le son de son saxophone et sa science de l’improvisation sur lesquels Thierry Quénum attira notre attention dans nos colonnes, notamment sur son bel album en duo avec Tom McClung “This Is You”. Il semble que Jean-Jacques Elangué et Brice Wassy étaient faits pour se rencontrer.

 

Mais s’il y a complémentarité entre ces deux Camerounais, Brice le rythmicien-mélodiste et Jean-Jacques le jazzman passé par l’histoire du jazz et sa science de l’improvisation et de l’arrangement, on aurait tort de les opposer l’un à l’autre, tant la complicité se fait quasi fusionnelle, notamment dans la présence charnelle qu’ils donnent à leurs prestations respectives, tous deux chanteurs, exhorteurs, danseurs (stupéfiant numéro de claquette de Brice tout soudain)… Mais des musiciens africains capables de se donner physiquement sur scène ainsi, et de chauffer une salle, il n’en manque pas. Ce condensé d’Afrique que Brice fait perler sous ses baguettes est moins commun et l’on comprend qu’il ait fasciné tout ceux qui s’intéressent aux pensées rythmiques extra-européennes. Quant à leur répertoire puisé au travers de la diaspora noire, des Antilles à La Réunion, dont leur effectif à géométrie variable fait délégation, il est dépasse tout ce que l’on a pu entendre jusque-là en matière de high-life, d’afro-beat, de marabi, de maloya ou de son cubain, parce qu’il les brasse en un panafricanisme compact et irréductible à la somme de ses composants, grâce à une écriture “longue” et audacieuse, transfigurée par le pouvoir d’arrangements aussi puissants que sophistiqués qui ne brident pas la spontanéité du groupe, même si la spontanéité des solistes reste le terrain où il a encore à gagné pour peu que d’autres salles lui donnent l’opportunité de rencontrer son public.

 

Les solistes… On croit d’abord que l’on entendra surtout Elangué, mais c’est ici Ronald Baker qui se rappelle à notre bon souvenir, là Abbé Ngayilvi qui se lance dans un solo de piano aux allures transfigurées de balafon (ce son très court, percussif, qu’il imite parfois plus textuellement sur un petit synthé), ici encore Roger Kom qui déjoue les pièges du cycle harmonique court de l’harmonie “afro-missionnaire”, et là encore Rodolphe Lauretta qui lance en contrepoint quelques commentaires décalés tirés de ses multiples expériences dans les clubs parisiens (souvenez-vous lecteurs de Jazzman dans les années 90, RXL, c’était lui), enfin en rappel, un solo de baryton hors d’haleine de Xavier
Sibre (remplaçant pour la soirée de Kayou Roots) dont on avait apprécié auparavant dans la soirée les unissons de clarinette avec la flûte de l’autre baryton de l’orchestre, Ben Labejof. Je n’ai cité ni Mark Sims dont la réputation n’est plus à faire, ni Macabo , ni Sébastien Richelieu dont les tambours et guitare basse ont roulé parmi les polyrythmes du leader avec cette grâce décontractée dont l’Afrique a le secret. Et j’ajouterai que, si je prête foi aux confidences de Rodolphe Lauretta dans le foyer du théâtre, l’orchestre a dans ses cartons un répertoire Mingus, qu’il me tarde d’entendre. Tandis qu’au sortir de la Maison des Arts et Loisirs de Laon, les quatre tours de la cathédrale vacillaient encore, j’ai franchi la porte de l’hôtel de la Bannière, comme j’avais franchi sous la neige, quatre décennies plus tôt, le portail de la caserne Chatelus à Reims, me disant que le Kelin Klein Orchestra était l’orchestre que nous attendions depuis. Franck Bergerot

 

Ps: Me ramenant au train, Dominique Capelle, programmateur et vice président de Jazz’titudes, me fait faire le tour de la haute ville de Laon dont j’ai visité la singulière cathédrale au tombé du lit, désolé que le brouillard nous masque les points de vue sur la campagne environnante, et ressitue la géographie jazzistique régionale avec plus au nord la saison Jazz en Nord, et me fait un portrait d’un personnage rencontré la veille, Richard Bréchet, qui préside aux destinées de l’Alibi, jazz club quasi-confidentiel sis à Berlinval au nord-ouest de Soissons, où Archie Shepp, George Cabbles, Kirk Lightsey, Steve Lehmann, Bobby Few et bien d’autres ont ou eurent sinon leur rond de serviette, du moins leur nom à l’affiche.

 

Demain, au festival Jazz’titudes de Laon, vous entendrez David Murray avec une rythmique de choc (Peter Orrins, Jaribu Shahid et Nashett Waits), le 21 le folk blues de Grace and the Vitory Riders et le Motown Show, le 22 l’accordéoniste Lionel Suarez, puis le trio du contrebassiste François Mechali avec le guitariste Frédéric Favarel et le batteur Ramon Lopez. Rompez !

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Les quatre tours de la cathédrale Laon et leurs seize bœufs ont dansé cette nuit au son du Kelin Kelin Orchestra du batteur Brice Wassy et du saxophoniste Jean-Jacques Elangué, brassage de grands savoirs mélodiques et rythmiques africains et d’une science de l’improvisation et de l’arrangement pour section à vents qui vient du jazz. Il me semble que l’on avait besoin depuis longtemps d’un tel orchestre. Tout à l’heure, il a mis debout le public du festival Jazz’titudes de Laon.

 

Jazz’titudes, Laon (02), le 18 mars 2015.

 

Kélin Kélin Orchestra : Brice Wassy (batterie, direction, compositions et arrangements, chant, claquettes), Jean-Jacques Elangué (sax ténor, co-direction, compositions et arrangements, chant, claves), Ronald Baker (trompette), Mark Sims (trombone), Roger Kom, Rodolphe Lauretta (sax alto), Ben Labejof (flûte),sax baryton), Xavier Sibre (clarinette, sax baryton), Abbé Ngayihi (piano), Sébatien Richelieu (guitare basse électrique), Macabo (tambours).

 

Voici un orchestre que je guettais depuis de nombreux mois – il a deux ans d’existence – et il est quelque peu paradoxal que, moi, l’arpenteur du jazz parisien, je n’ai jamais pris la peine de gravir l’escalier du Baiser salé pour aller l’écouter là où il est en quasi-résidence. Mais l’exotisme a ses raison et, exotisme pour exotisme, pourquoi ne pas aller l’entendre à Laon, dont on n’est pas sûr de savoir prononcer le nom et que l’on ne sait pas bien où situer (à 140 km de Paris !). Le bénévole qui vient me chercher à la gare m’informe que Laon est la préfecture de l’Aisne (ah ! l’école de Jules Ferry n’est plus ce qu’elle était depuis longtemps) et que Reims n’est qu’à 65 km. Ce qui me rappelle que j’ai fait mon service militaire à Reims et que le vendredi soir, parmi ceux qui prenaient la route du nord (Valenciennes, Charleville-Mézières, Tourcoing…), certains partaient pour Laon que je situais “par là-haut”. Ce qui me rappelle aussi qu’un dimanche soir de l’hiver 1974-75, je rentrai sur Reims sans attendre l’appel du lundi matin, parce que le Chris McGregor Brotherhood of Breath étaient à l’affiche dans la banlieue reimoise. Et même si, 40 ans plus tard, j’ai du mal à retrouver sur les enregistrements ce que j’avais entendu ce soir-là, je ne me suis jamais totalement remis de ce concert et que le poste de garde m’a vu franchir le portail de la caserne sous une tempête de neige de décorateur de théâtre comme si j’avais vidé les réserves en alcool des bars de la place d’Erlon. Or cette confrérie du souffle dont j’ai longtemps recherché l’emprise, je crois l’avoir retrouvée tout à l’heure avec le Kelin Kelin. Avec certes d’autres moyens, un certain sens de l’entertainment a pris la place d’un relatif radicalisme free, une plus grande maîtrise tant des ensembles de cuivres que de la polyrythmie, mais sans perdre de ce souffle que le Brotherhood of Breath perdit en se disciplinant par la suite.

 

Je ne vous renverrai pas vers les quelques images du Kelin Kelin qui trainent sur YouTube. Ce sont elles qui ont attiré mon attention sur l’orchestre, mais ce sont aussi celles qui m’ont fait craindre une déception lorsque, découvrant il y a trois jours que le bouclage du numéro d’avril de Jazzmag allait bon train, j’ai décidé de me rendre à Jazz’titudes où Dominique Capelle, le programmateur, tentait de m’attirer depuis plusieurs semaines. Ces images disponibles sur YouTube montrent en effet un orchestre encore tout vert et/ou trop mal enregistré pour mettre en valeur le potentiel qui pourtant s’y révèle.

 

Mais au fait, qui sont les deux maîtres d’œuvre de cet ensemble. Les spécialistes de l’Afrique le conaissent bien (Manu DiBango, Pierre Akendegue, Salif Keita…) Pour ma part, la première fois que le nom de Brice Wassy m’est venu aux oreilles, ce devait être en 1993, dans la bouche de Graham Haynes que j’avais interviewé sur un banc du bois de Vincennes, avec Misja Fitzerald-Michel pour interprète, au sujet du Mbase pour Jazzman. Graham Haynes s’était laissé attirer, comme bien d’autres, dans la capitale par les musiciens de la communauté africaine, où il avait enregistrer “Nocturne Parisian” en 1991 avec Mokhtar Samba, et ou il enregistrerait “The Griots Footsteps” en 1994, avec Brice Wassy. Par la suite, j’ai entendu Brice Wassy ici et là, sans bien suivre les moments les plus saillants de sa carrière (parmi lesquels le groupe Tchokola de Jean-Luc Ponty), le croisant au hasard de mes sorties au voisinage de ces musiciens qui ont fait fleurir l’héritage de Steve Coleman en France, comme Hubert Dupont, avec Nicolas Genest sur son très beau “Lékéré”, et retrouvant son nom dans la bouche d’étudiants du CNSM à la sortie d’une masterclass… Chaque fois, c’était entendre chanter les louanges ou constater par moi-même cette science polyrythmique où semblait se condenser l’essence du malentendu entre Europe et Afrique, malentendu dont il n’est pas certain qu’il n’existe pas aussi d’une certaine façon entre l’Amérique, fût-elle noire, et l’Afrique. Sauf chez ceux qui se sont vraiment penchés sur la question.

 

Quant à Jean-Jacques Elangué, je connaissais son nom, mais aussi, assez vaguement, le son de son saxophone et sa science de l’improvisation sur lesquels Thierry Quénum attira notre attention dans nos colonnes, notamment sur son bel album en duo avec Tom McClung “This Is You”. Il semble que Jean-Jacques Elangué et Brice Wassy étaient faits pour se rencontrer.

 

Mais s’il y a complémentarité entre ces deux Camerounais, Brice le rythmicien-mélodiste et Jean-Jacques le jazzman passé par l’histoire du jazz et sa science de l’improvisation et de l’arrangement, on aurait tort de les opposer l’un à l’autre, tant la complicité se fait quasi fusionnelle, notamment dans la présence charnelle qu’ils donnent à leurs prestations respectives, tous deux chanteurs, exhorteurs, danseurs (stupéfiant numéro de claquette de Brice tout soudain)… Mais des musiciens africains capables de se donner physiquement sur scène ainsi, et de chauffer une salle, il n’en manque pas. Ce condensé d’Afrique que Brice fait perler sous ses baguettes est moins commun et l’on comprend qu’il ait fasciné tout ceux qui s’intéressent aux pensées rythmiques extra-européennes. Quant à leur répertoire puisé au travers de la diaspora noire, des Antilles à La Réunion, dont leur effectif à géométrie variable fait délégation, il est dépasse tout ce que l’on a pu entendre jusque-là en matière de high-life, d’afro-beat, de marabi, de maloya ou de son cubain, parce qu’il les brasse en un panafricanisme compact et irréductible à la somme de ses composants, grâce à une écriture “longue” et audacieuse, transfigurée par le pouvoir d’arrangements aussi puissants que sophistiqués qui ne brident pas la spontanéité du groupe, même si la spontanéité des solistes reste le terrain où il a encore à gagné pour peu que d’autres salles lui donnent l’opportunité de rencontrer son public.

 

Les solistes… On croit d’abord que l’on entendra surtout Elangué, mais c’est ici Ronald Baker qui se rappelle à notre bon souvenir, là Abbé Ngayilvi qui se lance dans un solo de piano aux allures transfigurées de balafon (ce son très court, percussif, qu’il imite parfois plus textuellement sur un petit synthé), ici encore Roger Kom qui déjoue les pièges du cycle harmonique court de l’harmonie “afro-missionnaire”, et là encore Rodolphe Lauretta qui lance en contrepoint quelques commentaires décalés tirés de ses multiples expériences dans les clubs parisiens (souvenez-vous lecteurs de Jazzman dans les années 90, RXL, c’était lui), enfin en rappel, un solo de baryton hors d’haleine de Xavier
Sibre (remplaçant pour la soirée de Kayou Roots) dont on avait apprécié auparavant dans la soirée les unissons de clarinette avec la flûte de l’autre baryton de l’orchestre, Ben Labejof. Je n’ai cité ni Mark Sims dont la réputation n’est plus à faire, ni Macabo , ni Sébastien Richelieu dont les tambours et guitare basse ont roulé parmi les polyrythmes du leader avec cette grâce décontractée dont l’Afrique a le secret. Et j’ajouterai que, si je prête foi aux confidences de Rodolphe Lauretta dans le foyer du théâtre, l’orchestre a dans ses cartons un répertoire Mingus, qu’il me tarde d’entendre. Tandis qu’au sortir de la Maison des Arts et Loisirs de Laon, les quatre tours de la cathédrale vacillaient encore, j’ai franchi la porte de l’hôtel de la Bannière, comme j’avais franchi sous la neige, quatre décennies plus tôt, le portail de la caserne Chatelus à Reims, me disant que le Kelin Klein Orchestra était l’orchestre que nous attendions depuis. Franck Bergerot

 

Ps: Me ramenant au train, Dominique Capelle, programmateur et vice président de Jazz’titudes, me fait faire le tour de la haute ville de Laon dont j’ai visité la singulière cathédrale au tombé du lit, désolé que le brouillard nous masque les points de vue sur la campagne environnante, et ressitue la géographie jazzistique régionale avec plus au nord la saison Jazz en Nord, et me fait un portrait d’un personnage rencontré la veille, Richard Bréchet, qui préside aux destinées de l’Alibi, jazz club quasi-confidentiel sis à Berlinval au nord-ouest de Soissons, où Archie Shepp, George Cabbles, Kirk Lightsey, Steve Lehmann, Bobby Few et bien d’autres ont ou eurent sinon leur rond de serviette, du moins leur nom à l’affiche.

 

Demain, au festival Jazz’titudes de Laon, vous entendrez David Murray avec une rythmique de choc (Peter Orrins, Jaribu Shahid et Nashett Waits), le 21 le folk blues de Grace and the Vitory Riders et le Motown Show, le 22 l’accordéoniste Lionel Suarez, puis le trio du contrebassiste François Mechali avec le guitariste Frédéric Favarel et le batteur Ramon Lopez. Rompez !

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Les quatre tours de la cathédrale Laon et leurs seize bœufs ont dansé cette nuit au son du Kelin Kelin Orchestra du batteur Brice Wassy et du saxophoniste Jean-Jacques Elangué, brassage de grands savoirs mélodiques et rythmiques africains et d’une science de l’improvisation et de l’arrangement pour section à vents qui vient du jazz. Il me semble que l’on avait besoin depuis longtemps d’un tel orchestre. Tout à l’heure, il a mis debout le public du festival Jazz’titudes de Laon.

 

Jazz’titudes, Laon (02), le 18 mars 2015.

 

Kélin Kélin Orchestra : Brice Wassy (batterie, direction, compositions et arrangements, chant, claquettes), Jean-Jacques Elangué (sax ténor, co-direction, compositions et arrangements, chant, claves), Ronald Baker (trompette), Mark Sims (trombone), Roger Kom, Rodolphe Lauretta (sax alto), Ben Labejof (flûte),sax baryton), Xavier Sibre (clarinette, sax baryton), Abbé Ngayihi (piano), Sébatien Richelieu (guitare basse électrique), Macabo (tambours).

 

Voici un orchestre que je guettais depuis de nombreux mois – il a deux ans d’existence – et il est quelque peu paradoxal que, moi, l’arpenteur du jazz parisien, je n’ai jamais pris la peine de gravir l’escalier du Baiser salé pour aller l’écouter là où il est en quasi-résidence. Mais l’exotisme a ses raison et, exotisme pour exotisme, pourquoi ne pas aller l’entendre à Laon, dont on n’est pas sûr de savoir prononcer le nom et que l’on ne sait pas bien où situer (à 140 km de Paris !). Le bénévole qui vient me chercher à la gare m’informe que Laon est la préfecture de l’Aisne (ah ! l’école de Jules Ferry n’est plus ce qu’elle était depuis longtemps) et que Reims n’est qu’à 65 km. Ce qui me rappelle que j’ai fait mon service militaire à Reims et que le vendredi soir, parmi ceux qui prenaient la route du nord (Valenciennes, Charleville-Mézières, Tourcoing…), certains partaient pour Laon que je situais “par là-haut”. Ce qui me rappelle aussi qu’un dimanche soir de l’hiver 1974-75, je rentrai sur Reims sans attendre l’appel du lundi matin, parce que le Chris McGregor Brotherhood of Breath étaient à l’affiche dans la banlieue reimoise. Et même si, 40 ans plus tard, j’ai du mal à retrouver sur les enregistrements ce que j’avais entendu ce soir-là, je ne me suis jamais totalement remis de ce concert et que le poste de garde m’a vu franchir le portail de la caserne sous une tempête de neige de décorateur de théâtre comme si j’avais vidé les réserves en alcool des bars de la place d’Erlon. Or cette confrérie du souffle dont j’ai longtemps recherché l’emprise, je crois l’avoir retrouvée tout à l’heure avec le Kelin Kelin. Avec certes d’autres moyens, un certain sens de l’entertainment a pris la place d’un relatif radicalisme free, une plus grande maîtrise tant des ensembles de cuivres que de la polyrythmie, mais sans perdre de ce souffle que le Brotherhood of Breath perdit en se disciplinant par la suite.

 

Je ne vous renverrai pas vers les quelques images du Kelin Kelin qui trainent sur YouTube. Ce sont elles qui ont attiré mon attention sur l’orchestre, mais ce sont aussi celles qui m’ont fait craindre une déception lorsque, découvrant il y a trois jours que le bouclage du numéro d’avril de Jazzmag allait bon train, j’ai décidé de me rendre à Jazz’titudes où Dominique Capelle, le programmateur, tentait de m’attirer depuis plusieurs semaines. Ces images disponibles sur YouTube montrent en effet un orchestre encore tout vert et/ou trop mal enregistré pour mettre en valeur le potentiel qui pourtant s’y révèle.

 

Mais au fait, qui sont les deux maîtres d’œuvre de cet ensemble. Les spécialistes de l’Afrique le conaissent bien (Manu DiBango, Pierre Akendegue, Salif Keita…) Pour ma part, la première fois que le nom de Brice Wassy m’est venu aux oreilles, ce devait être en 1993, dans la bouche de Graham Haynes que j’avais interviewé sur un banc du bois de Vincennes, avec Misja Fitzerald-Michel pour interprète, au sujet du Mbase pour Jazzman. Graham Haynes s’était laissé attirer, comme bien d’autres, dans la capitale par les musiciens de la communauté africaine, où il avait enregistrer “Nocturne Parisian” en 1991 avec Mokhtar Samba, et ou il enregistrerait “The Griots Footsteps” en 1994, avec Brice Wassy. Par la suite, j’ai entendu Brice Wassy ici et là, sans bien suivre les moments les plus saillants de sa carrière (parmi lesquels le groupe Tchokola de Jean-Luc Ponty), le croisant au hasard de mes sorties au voisinage de ces musiciens qui ont fait fleurir l’héritage de Steve Coleman en France, comme Hubert Dupont, avec Nicolas Genest sur son très beau “Lékéré”, et retrouvant son nom dans la bouche d’étudiants du CNSM à la sortie d’une masterclass… Chaque fois, c’était entendre chanter les louanges ou constater par moi-même cette science polyrythmique où semblait se condenser l’essence du malentendu entre Europe et Afrique, malentendu dont il n’est pas certain qu’il n’existe pas aussi d’une certaine façon entre l’Amérique, fût-elle noire, et l’Afrique. Sauf chez ceux qui se sont vraiment penchés sur la question.

 

Quant à Jean-Jacques Elangué, je connaissais son nom, mais aussi, assez vaguement, le son de son saxophone et sa science de l’improvisation sur lesquels Thierry Quénum attira notre attention dans nos colonnes, notamment sur son bel album en duo avec Tom McClung “This Is You”. Il semble que Jean-Jacques Elangué et Brice Wassy étaient faits pour se rencontrer.

 

Mais s’il y a complémentarité entre ces deux Camerounais, Brice le rythmicien-mélodiste et Jean-Jacques le jazzman passé par l’histoire du jazz et sa science de l’improvisation et de l’arrangement, on aurait tort de les opposer l’un à l’autre, tant la complicité se fait quasi fusionnelle, notamment dans la présence charnelle qu’ils donnent à leurs prestations respectives, tous deux chanteurs, exhorteurs, danseurs (stupéfiant numéro de claquette de Brice tout soudain)… Mais des musiciens africains capables de se donner physiquement sur scène ainsi, et de chauffer une salle, il n’en manque pas. Ce condensé d’Afrique que Brice fait perler sous ses baguettes est moins commun et l’on comprend qu’il ait fasciné tout ceux qui s’intéressent aux pensées rythmiques extra-européennes. Quant à leur répertoire puisé au travers de la diaspora noire, des Antilles à La Réunion, dont leur effectif à géométrie variable fait délégation, il est dépasse tout ce que l’on a pu entendre jusque-là en matière de high-life, d’afro-beat, de marabi, de maloya ou de son cubain, parce qu’il les brasse en un panafricanisme compact et irréductible à la somme de ses composants, grâce à une écriture “longue” et audacieuse, transfigurée par le pouvoir d’arrangements aussi puissants que sophistiqués qui ne brident pas la spontanéité du groupe, même si la spontanéité des solistes reste le terrain où il a encore à gagné pour peu que d’autres salles lui donnent l’opportunité de rencontrer son public.

 

Les solistes… On croit d’abord que l’on entendra surtout Elangué, mais c’est ici Ronald Baker qui se rappelle à notre bon souvenir, là Abbé Ngayilvi qui se lance dans un solo de piano aux allures transfigurées de balafon (ce son très court, percussif, qu’il imite parfois plus textuellement sur un petit synthé), ici encore Roger Kom qui déjoue les pièges du cycle harmonique court de l’harmonie “afro-missionnaire”, et là encore Rodolphe Lauretta qui lance en contrepoint quelques commentaires décalés tirés de ses multiples expériences dans les clubs parisiens (souvenez-vous lecteurs de Jazzman dans les années 90, RXL, c’était lui), enfin en rappel, un solo de baryton hors d’haleine de Xavier
Sibre (remplaçant pour la soirée de Kayou Roots) dont on avait apprécié auparavant dans la soirée les unissons de clarinette avec la flûte de l’autre baryton de l’orchestre, Ben Labejof. Je n’ai cité ni Mark Sims dont la réputation n’est plus à faire, ni Macabo , ni Sébastien Richelieu dont les tambours et guitare basse ont roulé parmi les polyrythmes du leader avec cette grâce décontractée dont l’Afrique a le secret. Et j’ajouterai que, si je prête foi aux confidences de Rodolphe Lauretta dans le foyer du théâtre, l’orchestre a dans ses cartons un répertoire Mingus, qu’il me tarde d’entendre. Tandis qu’au sortir de la Maison des Arts et Loisirs de Laon, les quatre tours de la cathédrale vacillaient encore, j’ai franchi la porte de l’hôtel de la Bannière, comme j’avais franchi sous la neige, quatre décennies plus tôt, le portail de la caserne Chatelus à Reims, me disant que le Kelin Klein Orchestra était l’orchestre que nous attendions depuis. Franck Bergerot

 

Ps: Me ramenant au train, Dominique Capelle, programmateur et vice président de Jazz’titudes, me fait faire le tour de la haute ville de Laon dont j’ai visité la singulière cathédrale au tombé du lit, désolé que le brouillard nous masque les points de vue sur la campagne environnante, et ressitue la géographie jazzistique régionale avec plus au nord la saison Jazz en Nord, et me fait un portrait d’un personnage rencontré la veille, Richard Bréchet, qui préside aux destinées de l’Alibi, jazz club quasi-confidentiel sis à Berlinval au nord-ouest de Soissons, où Archie Shepp, George Cabbles, Kirk Lightsey, Steve Lehmann, Bobby Few et bien d’autres ont ou eurent sinon leur rond de serviette, du moins leur nom à l’affiche.

 

Demain, au festival Jazz’titudes de Laon, vous entendrez David Murray avec une rythmique de choc (Peter Orrins, Jaribu Shahid et Nashett Waits), le 21 le folk blues de Grace and the Vitory Riders et le Motown Show, le 22 l’accordéoniste Lionel Suarez, puis le trio du contrebassiste François Mechali avec le guitariste Frédéric Favarel et le batteur Ramon Lopez. Rompez !