Burgui: Jean-Marie Ecay enfant guitariste prodigue de Navarre
Mixel Ducau vient de rejoindre le trio sur scène. Jean-Marie Ecay a choisi ce guitariste basque qui fut l’un de ses profs sur l’instrument -«un modèle surtout»- comme invité spécial de ce concert pas comme les autres. Ducau entonne un chant qui fut un des hits de Errobi, groupe légendaire qui fut, au siècle dernier, fin des seventies début des années 80, le premier groupe de pop rock basque, figure emblématique du nationalisme culturel basque triomphant de part et d’autre de la frontière dans une Euskadi en construction politique. Voix pleine, puissante lancée en carambolage sur les riffs funky de sa guitare, il reprend les messages de la langue basque en phase de conquête populaire alors, au sortir du franquisme. Au deuxième rang, un spectateur de sa génération, crinière blanche et profil de médaille reprend tous les mots du refrain. Sur le leitmotif revendicatif, il ne chante plus, il hurle. Au point que sa femme, même teinte de cheveux, se met elle aussi à lancer sa voix à l’unisson. À ses côtés un type plus jeune se tourne vers elle et doucement, gorge serrée lui confie «J’ai la chair de poule, je crois que je vais pleurer !» Sur les planches, regard fixé sur son alter ego guitariste «pays», Jean Marie Écay, l’enfant du village navarrais tire sur les cordes aiguës de sa guitare dans une poussée blues plus plus.
Jean-Marie Ecay (g, voc), Laurent Chavoit (b), Pascal Segala (dm) + invité : Mixel Ducau (g, alboka, voc)
Burguitaralde, Burgui, Valle de Roncal, Navarra (Espagne), 12 juillet
Un concert en deux parties distinctes. Une soirée un peu spéciale eu égard au cadre «Cela fait longtemps que je l’avais dans la tête, mais je ne le réalise finalement qu’aujourd’hui après avoir fréquenté des scènes dans pas mal d’endroit du monde. Jouer enfin à Burgui, le village natal de ma mêre qui est là d’ailleurs parmi vous ce soir. Le village cher à mon coeur où j’ai passé toutes les vacances de mon enfance, ici au bord de la rivìère Esca. D’ailleurs j’aperçois maintenant des visages que je reconnais…»
Jean-Marie Ecay se livre en espagnol, sa seconde langue maternelle. Sur la place au cœur du village dont il connaît le tracé, le décor de presque toutes les rues empiérrées. Curieusement, plus tard le soir dans une tablée en compagnie de musiciens, amis et fratrie il avance cette hypothèse à rebours du vécu partagé lors du concert «J’enregistre tous mes sets. Mais je ne les réécoute pas tout de suite. Je laisse passer du temps pour jauger à froid. Je peux être sceptique juste après une prestation avec ma guitare et trouver pourtant des motifs de satisfaction dix jours plus tard. Ou le contraire d:ailleurs. Je préfère me couper d’impressiions premières, d’un feeling juste ressenti à chaud…Ce soir par exemple j’ai du mal à me faire une idée juste de ce concert » On lui rétorque aussitôt que, sur la place il n’y avait pas photo. De l’émotion pure transpirait dans public séduit, il suffisait de tourner la tête. Et un même sentiment flottait sur la scène à l’observer lui, guitare mise en jeu, à l’écouter aussi dans la présentation des «temitas», ses compositions de nature différentes. Jusqu’à pouvoir déceler également une légère tension dans les traits de son visage dès la partie solo introductive de Zazpiak bat pour un passage d’accords accoustiques en mode binaire sensé célébrer le Pays Basque et «sept provinces à réunir en un seul pays» (perspective un peu risquée soit dit en passant car la Navarre aujourd’hui ne fait pas parie de la Communauté autonome basque, disposant de son propre territoire défini et d’un exécutif régional) Même topo avec Almadia, une sorte de chant hommage à l’activité du village longtemps basée sur la coupe et le transport du bois via des radeaux construits pour voguer vers l’aval sur le cours d’une rivière torrentielle. La mélodie à l’image de reflets aquatiques flotte avec sensibilité sur les cordes nylon, les séquences d’improvisation, les moments de chorus suffisent à qualifier la qualité, le savoir faire, l’aisance, bref la personnalité originale d’un guitariste multi facettes qui a côtoyé, faut-il le,rappeler Nougaro aussi bien que Jean Luc Ponty, Richard Galliano ou Billy Cobbham. La, sonorité acoustique, justement perdure, affinée, le temps d’une balade pour au souvenir d’Itoiz -autre groupe pop made in Eukadi lui aussi dont il fut, apprentissage de jeunesse sur le tas, le lead guitar dans des salles et enceintes remplies à ras bord de Bilbao à Saint Jean de Luz dans les années 90 tandis que naissait le gouvernement de la Communauté Autonome dEuskad.. On qualifia alors l’orchestre de «Genesis basque»
Et Mixel Ducau monta sur scêne. Revenu le temps d’Errobi, de la reprise des chansons de ce groupe dont on a déjà parlé. Bien entendu vous me direz qu’alors les cœurs et les ventres ainsi remués, on les localise plus facilement sans besoin de Google Maps au Pays Basque, en Navarre qu’en Fance à proprement (!) parler. Reste qu’à ce moment précis de la seconde vague du concert, sur la petite place du village de montagne, au seul écho des chansons orchestrées «rockero» (nul besoin de traduction) les sexagénaires ou septuagénaires prèsents chantent, crient les refrains, expression retrouvée d’hymnes à la liberté façon movida de leur jeunesse …
Précision nécessaire: la fonction du critique musical voué à l’objectivité, oui, à partir d’un certain degré de connaissance passe par la faculté d’entendre ex nihilo, de savoir prendre du recul pour analyser, de jauger par raison plus que de juger. Pourtant Vladimir Jankelevitch en d’autres mots en a fait un postulat, expliquant que la musque c’est d’abord de l’émotion en jaillissement. A fortiori dans l’acte de jouer en direct, de transmettre un contenu de création immédiate, dans le pari du jeu de l’improvisation et/ou du décalage dans le jazz en particulier.
Aussi quand sur un dernier morceau intitulé Alboka -nom d’un drôlie d’nstrument à vent traditionnel, sorte de cornemuse du Pays Basque sud que Ducau a remis en service après l’avoir modernisé- Jean-Marie Ecay sort un riff obsessionnellement soul funk façon Stax, tandis que Miche Ducau pousse son sax soprano au bout de la saturation suraiguë, alors tout ce que le village compte de présents sur la place s’empare d’un plaisir offert en partage. Du gamin gambadant en couches jusqu’à l’ « abuelo », canne blanche en main, et familier en soutien sous l’aisselle.
Ainsi un jour ouvrable, une nuit là de juillet sur une plaza de village, agora locale entre murs de pierre d’une vallée de la Navarre montagneuse profonde, la rencontre complice de deux musiciens créateurs basques active, cultive ce postulat de la musique mue par l’émotion métamorphosée en réalité tangible de plaisir avoué.
Robert Latxague