Capbreton Jazz: Arnaud Dolmen garde le cap
Il était une fois l’histoire de Portal et de son pote Pouliche…Flash back quatre ou cinq ans en arrière à Bayonne. Ce matin là on va inaugurer la nouvelle appellation du Théâtre Municipal de la ville. Les édiles de la cité d’entre Nive et Adour l’ont enfin décidé: mieux vaut tard que jamais, il portera en son fronton le nom de Michel Portal lequel a fêté ses quatre vingts printemps. Le musicien bayonnais franchit la porte d’entrée de la salle avant que d’être honoré dans le salon d’honneur plus haut au premier étage. Dans le hall à l’écart de quelques officiels trois vieux monsieur attendent en silence. Lorsque le musicien s’avance vers les premiers nommés, l’un des vétérans engoncé dans son fauteuil roulant l’interpelle « Hé Portal, putain tu ne nous remets pas ? Tu as oublié le jazz band ou quoi? »
Michel Portal s’arrête d’un coup, s’approche. Et soudain, le regard ébahi s’exclame « Mais c’est pas vrai, c’est toi Pouliche ? Qu’est ce que tu fais là ?
– On voulait te saluer nous que tu n’as plus vu depuis cinquante ans sacré lâcheur » Vingt minutes plus tard, suite à moultes embrassades, tapes dans le dos et bout d’histoires de jeunesse à peine entamées, Michel Portal abordera la cérémonie d’intronisation dans les «figuras» de sa ville natale, une larme perlant à son oeil. Ce Pouliche du jazz band d’après guerre, de son vrai nom Dumoulin, pianiste de son état, musicien de baloche reconnu de tous dans le pays, est le père de Daniel Dumoulin, directeur de l’école de batterie Dante Agostini de Toulouse et créateur de la pièce « Ali Baba et les 40 batteurs » programmé en tête d’affiche au Capbreton Jazz Festival.
Arnaud Dolmen (dm), Ricardo Izquierdo (ts), Francesco Geminiani (ts), Samuel F’hima (b)
Capbreton Jazz Festival, Jardin publc, Cap-Breton (40130), 9 juillet
On se trouve plongé directement dans un pur décor de vacances d’été dans la petite ville côtière du sud des Landes. La scène a été plantée entre pin et chênes, Le concert programmé ce jour d’un week end d’arrivée d’un premier contingent de juilletistes débute sous une douce chaleur à la lune montante. Debout ou assis, partagé entre bandes d’herbe diffuse et sable emblématique du département, le public venu nombreux de prime abord à des allures très familiale. Allées et venues autour de la buvette sous toile sise en fond de jardin public, feeling découverte de ce jazz proposé en quartet pour beaucoup. On serait curieux de savoir qui, ce soir sait que le batteur guadeloupéen là sur les planches vient d’être élu Révélatiion de l’année aux Victoires du jazz. Au total se diffuse tel un parfum bon marché, une ambiance que l’on sent d’entrée bon enfant.
De quoi décontracter si besoin était les musiciens qui débutent au jour finissant. Avec en introduction du concert ces deux sax qui partent en campagne joints à l’unisson. Sur une telle séquence très cuivrée en rondeurs notoires les baguettes mises en mouvement d’Arnaud Dolmen offrent elles même déjà une musicalité réelle en même temps que du beat, que du rythme. On a pu le noter dans l’album sorti en début d’année (Adjusting ) Arnaud Dolmen a fait le pari d’associer au plus près le souffle des sax à son travail rythmique. Hey cousin, inspiré des tambours du « grand bélé », musique traditionnelle emblématique de la Martinique matérialise cette inspiration. Le solo de ténor de Ricardo Izquierdo lancé en longues salves tel un roulement inscrit le moment musical dans la longueur, une présence forte et qui dure. Arnaud Dolmen y contribue à base de judicieuses relances.
La prégnance du rythme n’est jamais trop loin du compte pour autant. The Gap, morceau griffé funky superpose des strates mélodiques précisément découpées, régulièrement impulsées. Sur ce canevas imprimé de couleurs fortes basse/batterie à dominante tambour l’autre sax, Francesco Geminiani livre un flot dense d’un son plus droit au ténor lui aussi. Architecture plus angulée d’un instrument en recherche d’appui rythmique, notes et phrases formules lâchées comme autant de marques du temps.
Dans ce contenu plutôt serré Arnaud Dolmen, en leader prend, dans une annonce, le temps d’une respiration « Je tiens à remercier ce soir en sa présence, Daniel Dumoulin qui a été mon prof à l’école Agostini de Toulouse. J’y ai beaucoup appris » Dans le continuum du concert le batteur antillais veille lui même à faire quelques breaks de son instrument histoire de laisser à ses musiciens des fenêtres d’expression plus personnelle. Tel ce moment d’interaction sax/basse de pleine intensité. Ou cette passe finale à deux ténors en surchauffe remémorant dans leur montée soudaine en température le souffle torride de la « Music is a healin’ force » chère à Albert Ayler « Je veille à ne pas trop imposer de batterie à tout prix, l’effet volume forcé pourrait lasser le public » justifie le leader.
Reste que le thème joué en rappel, Les oubliés, venait bien en démonstration de savoir faire sur l’instrument, manière de simplicité du jeu en apparence, marqué par une attention maintenue à la qualité du son, avec prédominance du tambour en rapport avec ses racines caribéennes, sens de la nuance dans l’intensité à donner, appel à la danse au final comme élan majeur imprimé. Révélation ou non Arnaud Dolmen a fait le choix pour sa musique d’une certaine originalité. Et pour sa personne de musicien d’une humilité certaine.
Robert Latxague