Charlie Jazz Festival, 19ème édition : retour vers le futur
Ça fleure bon les vacances en ce premier week end de juillet qui voit s’ouvrir la 19ème édition du Charlie Jazz Festival à Vitrolles (13) (http://www.charliejazzfestival.com), coincée entre des matchs décisifs de l’Euro. Une programmation intelligente qui, si elle garde en tête l’aspect festif ( Stéphane Belmondo et son trio Love for Chet, suivi du pianiste Jacky Terrasson « All stars » , n’oublie pas les jeunes pousses sur la petite scène émergente du Moulin, à 18 heures ( Imperial Quartet, le trio Un Poco Loco (Fourneyron/ Gesser/ Beliah), groupe Jazz migration du réseau de festivals AJC . La création du quartet en résidence, Ion, met en avant des groupes de la scène locale.
Le festival, bien ancré dans le terroir de Marseille Métropole, accueille selon les soirs entre 1000 et 2000 personnes. Au fil du temps, il a su se forger une identité, imposer un large éventail de propositions artistiques, mixer générations et nationalités, groupes instrumentaux et chant (Cécile McLorin Salvant invite le dernier soir l’accordéoniste Vincent Peirani).
Charlie Jazz Festival, c’est d’abord un site exceptionnel de verdure, le parc de Fontblanche, qui n’ a rien à envier à celui de La Roque d’Anthéron avec son allée de platanes tricentenaires : la voûte étoilée et feuillue qui vous enserre, est mise en lumière par des artistes de la lumière, Du Show . On peut aussi flâner dans le parc, se restaurer auprès de foodtrucks inventives, se retrouver au bar surmonté de voiles avec la boutique des vaillants Allumés du Jazz
ou voir l’exposition annuelle de « l’œil du festival », Gérard Tissier.
Sans suivre nécessairement la chronologie du festival, il est intéressant, non pas de comparer mais de montrer la diversité des musiciens écoutés. Au piano par exemple, on put apprécier un art du duo renouvelé, vivifié Yaron Herman avec Ziv Ravitz, (« non pas batteur mais musicien qui joue de la batterie »), sur le programme de ce premier disque sorti chez Blue note, Everyday. Une formation épatante, rare, sans contrebasse où le pianiste brille dans son approche mathématique, philosophique, improvise en temps réel, après avoir laissé décanter, revient sur l’idée avec un regard neuf, mettant en pratique un « éco-système » d’idées parfois improbables. Il ne semble plus faire qu’un avec son complice, penché sur le piano, qui en joue de toutes les manières, frappant du poing et des mailloches sur les cordes préparées. Un engagement qui fait résonner la musique à travers ce corps à deux têtes. Une musique rythmique qui coule avec fluidité, envahissant l’espace sonore entre classique (Scriabine), jazz (Jarrett bien sûr), tradition (arrière plan folk israélien), pop (Radiohead entre autre). Un dialogue parfois exacerbé que rompt un silence profond…Déplacer les frontières de l’instrument, en croisant leur rôle respectif, répéter, ruminer, dans une transe « fast and furious ».
Jacky Terrasson, pianiste franco-américain, aime le jazz dont il connaît les arcanes : il sait aussi la valeur de l’échange et pratique une conversation émouvante avec un ami de trente ans (une alliance assurément plus solide qu’en politique), Stéphane Belmondo : le duo va sortir à la rentrée un album intitulé Mother sur Impulse, dont le titre éponyme, une tendre ballade, clôturera le Jacky Terrasson All Stars, sextet international dont Vitrolles est la seule date en Europe, en deuxième partie de la soirée du samedi 2 juillet. Sans reprendre le programme de son dernier album Take this, on aura d’ailleurs droit à « Take five », le tube inoxydable de la paire Brubeck/ Desmond qui depuis sa création en 1959, n’ a jamais cessé d’être repris. Ce qui confirme que les belles mélodies sont intemporelles : le pianiste s’en donne à cœur joie, passant prestement du clavier au fender. Avec ce groupe festif, entraîné par la rythmique de feu de Minino Garay, percussionniste argentin au groove solaire, Lukmil Perez, batteur cubain, Terrasson, infatigable, se livre à un sacré exercice de style : il déconstruit, dérange des standards plus que rebattus : généreux jusque dans la longueur des citations, il étire leur développement en insérant des longues incises. «But not for me», « Smile » seront ainsi livrés aux oreilles attentives, avec des effluves de «Summertime», de « Blue in Green » . Le public s’anime avec le guitariste-chanteur Marcio Faraco : bossa nova de « Berimbau » du tandem Baden Powell /Vinicius de Moraes, entré dans notre mémoire collective avec le « Bidonville » du cher Nougaro ou encore « Fio Maravilla » de Jorge Ben. Autres musiciens du sextet, le trompettiste-bugliste Stéphane Belmondo et le contrebassiste Thomas Bramerie qui enchaîne après le set précédent.
Stéphane Belmondo en trio, sur la corde sensible, celle des sentiments, dédie son programme à l’ami, le mentor, le trompettiste Chet Baker. Pourtant, les albums en hommage à Chet ne manquent pas : de celui du contrebassiste italien Riccardo del Fra, My Chet, my song, où il redessinait « son » portrait de Chet, se souvenant de son compagnonnage dès 1979, aidé de Nicolas Folmer et Pierrick Pedron, au disque collectif de la nouvelle génération, plus « variétoche » « Autour de Chet » où chant et trompette réunissent une pleïade de talents.
Il s’agit avec ce Love for Chet, titre clin d’œil à la composition de Cole Porter, « Love for sale », l’un des chevaux de bataille du trompettiste de l’Oklahoma, de rester dans la tonalité intime, voire intimiste, dans une formule en trio ( g/ cb/dm) qu’avait pratiquée Chet dans sa période Steeplechase . Ajoutons que la pochette et le teaser de cet album furent réalisés par le photographe Bertrand Fèvre dont nous avions découvert l’émouvant film Chet’s Romance tourné en 1987, lors d’un mémorable Tremplin Jazz d’ Avignon.
Au bugle qui confère un son onctueux, plus moelleux, Belmondo laisse la part belle à ses camarades de jeu qui, s’ils ne font pas tout le boulot, entraînent hardiment l’équipage : Thomas Bramerie, pilier du trio, s’en donne à coeur joie, tout en laissant respirer la musique, aidé d’un formidable guitariste, le Néerlandais Jesse van Ruller qui expose la ligne mélodique de « You can’t go home again », « I remember you » à « la chanson d’Hélène » , nouveau standard du jazz, dû à Philippe Sarde pour Les choses de la vie de Claude Sautet, cinéaste mélomane et portraitiste d’une France qui apprenait à connaître la crise. Aucune fausse note dans le répertoire, Chet ayant participé à des musiques de film de ce grand compositeur de musiques de films.
En rédigeant ces lignes, je me rends compte que le fil rouge de ces deux soirées est le travail d’arrangement de tous ces jazzmen, sur de superbes compositions, assez fidèlement pour que la mélodie soit reconnaissable ; créer d’autres orchestrations, comme le fait le trio Un poco loco, qui redécouvre des airs passés, d’avant même les années soixante- le bop de Powell pour aller vite, « qui ont fait en leur temps la folie du jazz ».
Last but not least, entrons dans The Fourth Dimension avec John Mc Laughlin, en quartet depuis 9 ans, et ce Black Light dans la nuit vitrollaise : on se prend la porte du temps dans la figure avec cette légende (le mot n’est pas trop fort) de la musique. A ses débuts, la guitare se célébrait au pluriel et s’essayait à toutes les pluralités. L’Anglais, devenu citoyen du monde, a su déployer, avec le temps, toute une gamme d’intensités. Il n’y a pas que des accents de guitare rock saturée dans son jeu : de l’acoustique avec des cordes de nylon, de l’électricité avec des envolées reconnaissables qui font tressaillir de joie le public d’amoureux de l’instrument, jeunes et vieux. De l’indo scat, période raga, des litanies « Love and understanding », du flamenco en hommage à son « brother » Paco di Lucia, parti en 2014 (un tendre « El hombre que sabia », du jazz simplement avec un émouvant « Django » (John Lewis). C’est que ce groupe est composé de musiciens hors pair, « la crème de la crème », un bassiste éclatant, le camerounais Etienne M’ Bappé, que le guitariste a repéré dans le Joe Zawinul Syndicate, un exubérant batteur, très vigoureux et omni présent, l’Indien Ranjit Barot aux rythmes « konokkol » ; aux claviers mais également aux percussions, le terrible Gary Husband, découvert dans le groupe du guitariste d’Allan Holdsworth. ..
Je ne rentrerai pas dans l’énumération des périodes ou styles du virtuose McLaughlin, depuis ses débuts en solo, en 69 avec « Extrapolation », le Mahavishnu Orchestra, la période Miles Davis… Pour moi, avec Love Devotion Surrender (1973) qui accompagnait ma découverte ébahie de John Coltrane, le guitariste, qui se prête, avec une élégance exquise, à la séance de dédicaces sur des vinyles apportés par les fans, aura toujours les traits de la photo épinglée sur la pochette de Electric guitarist de 1978 « Are you the one » ?
Sophie Chambon|Ça fleure bon les vacances en ce premier week end de juillet qui voit s’ouvrir la 19ème édition du Charlie Jazz Festival à Vitrolles (13) (http://www.charliejazzfestival.com), coincée entre des matchs décisifs de l’Euro. Une programmation intelligente qui, si elle garde en tête l’aspect festif ( Stéphane Belmondo et son trio Love for Chet, suivi du pianiste Jacky Terrasson « All stars » , n’oublie pas les jeunes pousses sur la petite scène émergente du Moulin, à 18 heures ( Imperial Quartet, le trio Un Poco Loco (Fourneyron/ Gesser/ Beliah), groupe Jazz migration du réseau de festivals AJC . La création du quartet en résidence, Ion, met en avant des groupes de la scène locale.
Le festival, bien ancré dans le terroir de Marseille Métropole, accueille selon les soirs entre 1000 et 2000 personnes. Au fil du temps, il a su se forger une identité, imposer un large éventail de propositions artistiques, mixer générations et nationalités, groupes instrumentaux et chant (Cécile McLorin Salvant invite le dernier soir l’accordéoniste Vincent Peirani).
Charlie Jazz Festival, c’est d’abord un site exceptionnel de verdure, le parc de Fontblanche, qui n’ a rien à envier à celui de La Roque d’Anthéron avec son allée de platanes tricentenaires : la voûte étoilée et feuillue qui vous enserre, est mise en lumière par des artistes de la lumière, Du Show . On peut aussi flâner dans le parc, se restaurer auprès de foodtrucks inventives, se retrouver au bar surmonté de voiles avec la boutique des vaillants Allumés du Jazz
ou voir l’exposition annuelle de « l’œil du festival », Gérard Tissier.
Sans suivre nécessairement la chronologie du festival, il est intéressant, non pas de comparer mais de montrer la diversité des musiciens écoutés. Au piano par exemple, on put apprécier un art du duo renouvelé, vivifié Yaron Herman avec Ziv Ravitz, (« non pas batteur mais musicien qui joue de la batterie »), sur le programme de ce premier disque sorti chez Blue note, Everyday. Une formation épatante, rare, sans contrebasse où le pianiste brille dans son approche mathématique, philosophique, improvise en temps réel, après avoir laissé décanter, revient sur l’idée avec un regard neuf, mettant en pratique un « éco-système » d’idées parfois improbables. Il ne semble plus faire qu’un avec son complice, penché sur le piano, qui en joue de toutes les manières, frappant du poing et des mailloches sur les cordes préparées. Un engagement qui fait résonner la musique à travers ce corps à deux têtes. Une musique rythmique qui coule avec fluidité, envahissant l’espace sonore entre classique (Scriabine), jazz (Jarrett bien sûr), tradition (arrière plan folk israélien), pop (Radiohead entre autre). Un dialogue parfois exacerbé que rompt un silence profond…Déplacer les frontières de l’instrument, en croisant leur rôle respectif, répéter, ruminer, dans une transe « fast and furious ».
Jacky Terrasson, pianiste franco-américain, aime le jazz dont il connaît les arcanes : il sait aussi la valeur de l’échange et pratique une conversation émouvante avec un ami de trente ans (une alliance assurément plus solide qu’en politique), Stéphane Belmondo : le duo va sortir à la rentrée un album intitulé Mother sur Impulse, dont le titre éponyme, une tendre ballade, clôturera le Jacky Terrasson All Stars, sextet international dont Vitrolles est la seule date en Europe, en deuxième partie de la soirée du samedi 2 juillet. Sans reprendre le programme de son dernier album Take this, on aura d’ailleurs droit à « Take five », le tube inoxydable de la paire Brubeck/ Desmond qui depuis sa création en 1959, n’ a jamais cessé d’être repris. Ce qui confirme que les belles mélodies sont intemporelles : le pianiste s’en donne à cœur joie, passant prestement du clavier au fender. Avec ce groupe festif, entraîné par la rythmique de feu de Minino Garay, percussionniste argentin au groove solaire, Lukmil Perez, batteur cubain, Terrasson, infatigable, se livre à un sacré exercice de style : il déconstruit, dérange des standards plus que rebattus : généreux jusque dans la longueur des citations, il étire leur développement en insérant des longues incises. «But not for me», « Smile » seront ainsi livrés aux oreilles attentives, avec des effluves de «Summertime», de « Blue in Green » . Le public s’anime avec le guitariste-chanteur Marcio Faraco : bossa nova de « Berimbau » du tandem Baden Powell /Vinicius de Moraes, entré dans notre mémoire collective avec le « Bidonville » du cher Nougaro ou encore « Fio Maravilla » de Jorge Ben. Autres musiciens du sextet, le trompettiste-bugliste Stéphane Belmondo et le contrebassiste Thomas Bramerie qui enchaîne après le set précédent.
Stéphane Belmondo en trio, sur la corde sensible, celle des sentiments, dédie son programme à l’ami, le mentor, le trompettiste Chet Baker. Pourtant, les albums en hommage à Chet ne manquent pas : de celui du contrebassiste italien Riccardo del Fra, My Chet, my song, où il redessinait « son » portrait de Chet, se souvenant de son compagnonnage dès 1979, aidé de Nicolas Folmer et Pierrick Pedron, au disque collectif de la nouvelle génération, plus « variétoche » « Autour de Chet » où chant et trompette réunissent une pleïade de talents.
Il s’agit avec ce Love for Chet, titre clin d’œil à la composition de Cole Porter, « Love for sale », l’un des chevaux de bataille du trompettiste de l’Oklahoma, de rester dans la tonalité intime, voire intimiste, dans une formule en trio ( g/ cb/dm) qu’avait pratiquée Chet dans sa période Steeplechase . Ajoutons que la pochette et le teaser de cet album furent réalisés par le photographe Bertrand Fèvre dont nous avions découvert l’émouvant film Chet’s Romance tourné en 1987, lors d’un mémorable Tremplin Jazz d’ Avignon.
Au bugle qui confère un son onctueux, plus moelleux, Belmondo laisse la part belle à ses camarades de jeu qui, s’ils ne font pas tout le boulot, entraînent hardiment l’équipage : Thomas Bramerie, pilier du trio, s’en donne à coeur joie, tout en laissant respirer la musique, aidé d’un formidable guitariste, le Néerlandais Jesse van Ruller qui expose la ligne mélodique de « You can’t go home again », « I remember you » à « la chanson d’Hélène » , nouveau standard du jazz, dû à Philippe Sarde pour Les choses de la vie de Claude Sautet, cinéaste mélomane et portraitiste d’une France qui apprenait à connaître la crise. Aucune fausse note dans le répertoire, Chet ayant participé à des musiques de film de ce grand compositeur de musiques de films.
En rédigeant ces lignes, je me rends compte que le fil rouge de ces deux soirées est le travail d’arrangement de tous ces jazzmen, sur de superbes compositions, assez fidèlement pour que la mélodie soit reconnaissable ; créer d’autres orchestrations, comme le fait le trio Un poco loco, qui redécouvre des airs passés, d’avant même les années soixante- le bop de Powell pour aller vite, « qui ont fait en leur temps la folie du jazz ».
Last but not least, entrons dans The Fourth Dimension avec John Mc Laughlin, en quartet depuis 9 ans, et ce Black Light dans la nuit vitrollaise : on se prend la porte du temps dans la figure avec cette légende (le mot n’est pas trop fort) de la musique. A ses débuts, la guitare se célébrait au pluriel et s’essayait à toutes les pluralités. L’Anglais, devenu citoyen du monde, a su déployer, avec le temps, toute une gamme d’intensités. Il n’y a pas que des accents de guitare rock saturée dans son jeu : de l’acoustique avec des cordes de nylon, de l’électricité avec des envolées reconnaissables qui font tressaillir de joie le public d’amoureux de l’instrument, jeunes et vieux. De l’indo scat, période raga, des litanies « Love and understanding », du flamenco en hommage à son « brother » Paco di Lucia, parti en 2014 (un tendre « El hombre que sabia », du jazz simplement avec un émouvant « Django » (John Lewis). C’est que ce groupe est composé de musiciens hors pair, « la crème de la crème », un bassiste éclatant, le camerounais Etienne M’ Bappé, que le guitariste a repéré dans le Joe Zawinul Syndicate, un exubérant batteur, très vigoureux et omni présent, l’Indien Ranjit Barot aux rythmes « konokkol » ; aux claviers mais également aux percussions, le terrible Gary Husband, découvert dans le groupe du guitariste d’Allan Holdsworth. ..
Je ne rentrerai pas dans l’énumération des périodes ou styles du virtuose McLaughlin, depuis ses débuts en solo, en 69 avec « Extrapolation », le Mahavishnu Orchestra, la période Miles Davis… Pour moi, avec Love Devotion Surrender (1973) qui accompagnait ma découverte ébahie de John Coltrane, le guitariste, qui se prête, avec une élégance exquise, à la séance de dédicaces sur des vinyles apportés par les fans, aura toujours les traits de la photo épinglée sur la pochette de Electric guitarist de 1978 « Are you the one » ?
Sophie Chambon|Ça fleure bon les vacances en ce premier week end de juillet qui voit s’ouvrir la 19ème édition du Charlie Jazz Festival à Vitrolles (13) (http://www.charliejazzfestival.com), coincée entre des matchs décisifs de l’Euro. Une programmation intelligente qui, si elle garde en tête l’aspect festif ( Stéphane Belmondo et son trio Love for Chet, suivi du pianiste Jacky Terrasson « All stars » , n’oublie pas les jeunes pousses sur la petite scène émergente du Moulin, à 18 heures ( Imperial Quartet, le trio Un Poco Loco (Fourneyron/ Gesser/ Beliah), groupe Jazz migration du réseau de festivals AJC . La création du quartet en résidence, Ion, met en avant des groupes de la scène locale.
Le festival, bien ancré dans le terroir de Marseille Métropole, accueille selon les soirs entre 1000 et 2000 personnes. Au fil du temps, il a su se forger une identité, imposer un large éventail de propositions artistiques, mixer générations et nationalités, groupes instrumentaux et chant (Cécile McLorin Salvant invite le dernier soir l’accordéoniste Vincent Peirani).
Charlie Jazz Festival, c’est d’abord un site exceptionnel de verdure, le parc de Fontblanche, qui n’ a rien à envier à celui de La Roque d’Anthéron avec son allée de platanes tricentenaires : la voûte étoilée et feuillue qui vous enserre, est mise en lumière par des artistes de la lumière, Du Show . On peut aussi flâner dans le parc, se restaurer auprès de foodtrucks inventives, se retrouver au bar surmonté de voiles avec la boutique des vaillants Allumés du Jazz
ou voir l’exposition annuelle de « l’œil du festival », Gérard Tissier.
Sans suivre nécessairement la chronologie du festival, il est intéressant, non pas de comparer mais de montrer la diversité des musiciens écoutés. Au piano par exemple, on put apprécier un art du duo renouvelé, vivifié Yaron Herman avec Ziv Ravitz, (« non pas batteur mais musicien qui joue de la batterie »), sur le programme de ce premier disque sorti chez Blue note, Everyday. Une formation épatante, rare, sans contrebasse où le pianiste brille dans son approche mathématique, philosophique, improvise en temps réel, après avoir laissé décanter, revient sur l’idée avec un regard neuf, mettant en pratique un « éco-système » d’idées parfois improbables. Il ne semble plus faire qu’un avec son complice, penché sur le piano, qui en joue de toutes les manières, frappant du poing et des mailloches sur les cordes préparées. Un engagement qui fait résonner la musique à travers ce corps à deux têtes. Une musique rythmique qui coule avec fluidité, envahissant l’espace sonore entre classique (Scriabine), jazz (Jarrett bien sûr), tradition (arrière plan folk israélien), pop (Radiohead entre autre). Un dialogue parfois exacerbé que rompt un silence profond…Déplacer les frontières de l’instrument, en croisant leur rôle respectif, répéter, ruminer, dans une transe « fast and furious ».
Jacky Terrasson, pianiste franco-américain, aime le jazz dont il connaît les arcanes : il sait aussi la valeur de l’échange et pratique une conversation émouvante avec un ami de trente ans (une alliance assurément plus solide qu’en politique), Stéphane Belmondo : le duo va sortir à la rentrée un album intitulé Mother sur Impulse, dont le titre éponyme, une tendre ballade, clôturera le Jacky Terrasson All Stars, sextet international dont Vitrolles est la seule date en Europe, en deuxième partie de la soirée du samedi 2 juillet. Sans reprendre le programme de son dernier album Take this, on aura d’ailleurs droit à « Take five », le tube inoxydable de la paire Brubeck/ Desmond qui depuis sa création en 1959, n’ a jamais cessé d’être repris. Ce qui confirme que les belles mélodies sont intemporelles : le pianiste s’en donne à cœur joie, passant prestement du clavier au fender. Avec ce groupe festif, entraîné par la rythmique de feu de Minino Garay, percussionniste argentin au groove solaire, Lukmil Perez, batteur cubain, Terrasson, infatigable, se livre à un sacré exercice de style : il déconstruit, dérange des standards plus que rebattus : généreux jusque dans la longueur des citations, il étire leur développement en insérant des longues incises. «But not for me», « Smile » seront ainsi livrés aux oreilles attentives, avec des effluves de «Summertime», de « Blue in Green » . Le public s’anime avec le guitariste-chanteur Marcio Faraco : bossa nova de « Berimbau » du tandem Baden Powell /Vinicius de Moraes, entré dans notre mémoire collective avec le « Bidonville » du cher Nougaro ou encore « Fio Maravilla » de Jorge Ben. Autres musiciens du sextet, le trompettiste-bugliste Stéphane Belmondo et le contrebassiste Thomas Bramerie qui enchaîne après le set précédent.
Stéphane Belmondo en trio, sur la corde sensible, celle des sentiments, dédie son programme à l’ami, le mentor, le trompettiste Chet Baker. Pourtant, les albums en hommage à Chet ne manquent pas : de celui du contrebassiste italien Riccardo del Fra, My Chet, my song, où il redessinait « son » portrait de Chet, se souvenant de son compagnonnage dès 1979, aidé de Nicolas Folmer et Pierrick Pedron, au disque collectif de la nouvelle génération, plus « variétoche » « Autour de Chet » où chant et trompette réunissent une pleïade de talents.
Il s’agit avec ce Love for Chet, titre clin d’œil à la composition de Cole Porter, « Love for sale », l’un des chevaux de bataille du trompettiste de l’Oklahoma, de rester dans la tonalité intime, voire intimiste, dans une formule en trio ( g/ cb/dm) qu’avait pratiquée Chet dans sa période Steeplechase . Ajoutons que la pochette et le teaser de cet album furent réalisés par le photographe Bertrand Fèvre dont nous avions découvert l’émouvant film Chet’s Romance tourné en 1987, lors d’un mémorable Tremplin Jazz d’ Avignon.
Au bugle qui confère un son onctueux, plus moelleux, Belmondo laisse la part belle à ses camarades de jeu qui, s’ils ne font pas tout le boulot, entraînent hardiment l’équipage : Thomas Bramerie, pilier du trio, s’en donne à coeur joie, tout en laissant respirer la musique, aidé d’un formidable guitariste, le Néerlandais Jesse van Ruller qui expose la ligne mélodique de « You can’t go home again », « I remember you » à « la chanson d’Hélène » , nouveau standard du jazz, dû à Philippe Sarde pour Les choses de la vie de Claude Sautet, cinéaste mélomane et portraitiste d’une France qui apprenait à connaître la crise. Aucune fausse note dans le répertoire, Chet ayant participé à des musiques de film de ce grand compositeur de musiques de films.
En rédigeant ces lignes, je me rends compte que le fil rouge de ces deux soirées est le travail d’arrangement de tous ces jazzmen, sur de superbes compositions, assez fidèlement pour que la mélodie soit reconnaissable ; créer d’autres orchestrations, comme le fait le trio Un poco loco, qui redécouvre des airs passés, d’avant même les années soixante- le bop de Powell pour aller vite, « qui ont fait en leur temps la folie du jazz ».
Last but not least, entrons dans The Fourth Dimension avec John Mc Laughlin, en quartet depuis 9 ans, et ce Black Light dans la nuit vitrollaise : on se prend la porte du temps dans la figure avec cette légende (le mot n’est pas trop fort) de la musique. A ses débuts, la guitare se célébrait au pluriel et s’essayait à toutes les pluralités. L’Anglais, devenu citoyen du monde, a su déployer, avec le temps, toute une gamme d’intensités. Il n’y a pas que des accents de guitare rock saturée dans son jeu : de l’acoustique avec des cordes de nylon, de l’électricité avec des envolées reconnaissables qui font tressaillir de joie le public d’amoureux de l’instrument, jeunes et vieux. De l’indo scat, période raga, des litanies « Love and understanding », du flamenco en hommage à son « brother » Paco di Lucia, parti en 2014 (un tendre « El hombre que sabia », du jazz simplement avec un émouvant « Django » (John Lewis). C’est que ce groupe est composé de musiciens hors pair, « la crème de la crème », un bassiste éclatant, le camerounais Etienne M’ Bappé, que le guitariste a repéré dans le Joe Zawinul Syndicate, un exubérant batteur, très vigoureux et omni présent, l’Indien Ranjit Barot aux rythmes « konokkol » ; aux claviers mais également aux percussions, le terrible Gary Husband, découvert dans le groupe du guitariste d’Allan Holdsworth. ..
Je ne rentrerai pas dans l’énumération des périodes ou styles du virtuose McLaughlin, depuis ses débuts en solo, en 69 avec « Extrapolation », le Mahavishnu Orchestra, la période Miles Davis… Pour moi, avec Love Devotion Surrender (1973) qui accompagnait ma découverte ébahie de John Coltrane, le guitariste, qui se prête, avec une élégance exquise, à la séance de dédicaces sur des vinyles apportés par les fans, aura toujours les traits de la photo épinglée sur la pochette de Electric guitarist de 1978 « Are you the one » ?
Sophie Chambon|Ça fleure bon les vacances en ce premier week end de juillet qui voit s’ouvrir la 19ème édition du Charlie Jazz Festival à Vitrolles (13) (http://www.charliejazzfestival.com), coincée entre des matchs décisifs de l’Euro. Une programmation intelligente qui, si elle garde en tête l’aspect festif ( Stéphane Belmondo et son trio Love for Chet, suivi du pianiste Jacky Terrasson « All stars » , n’oublie pas les jeunes pousses sur la petite scène émergente du Moulin, à 18 heures ( Imperial Quartet, le trio Un Poco Loco (Fourneyron/ Gesser/ Beliah), groupe Jazz migration du réseau de festivals AJC . La création du quartet en résidence, Ion, met en avant des groupes de la scène locale.
Le festival, bien ancré dans le terroir de Marseille Métropole, accueille selon les soirs entre 1000 et 2000 personnes. Au fil du temps, il a su se forger une identité, imposer un large éventail de propositions artistiques, mixer générations et nationalités, groupes instrumentaux et chant (Cécile McLorin Salvant invite le dernier soir l’accordéoniste Vincent Peirani).
Charlie Jazz Festival, c’est d’abord un site exceptionnel de verdure, le parc de Fontblanche, qui n’ a rien à envier à celui de La Roque d’Anthéron avec son allée de platanes tricentenaires : la voûte étoilée et feuillue qui vous enserre, est mise en lumière par des artistes de la lumière, Du Show . On peut aussi flâner dans le parc, se restaurer auprès de foodtrucks inventives, se retrouver au bar surmonté de voiles avec la boutique des vaillants Allumés du Jazz
ou voir l’exposition annuelle de « l’œil du festival », Gérard Tissier.
Sans suivre nécessairement la chronologie du festival, il est intéressant, non pas de comparer mais de montrer la diversité des musiciens écoutés. Au piano par exemple, on put apprécier un art du duo renouvelé, vivifié Yaron Herman avec Ziv Ravitz, (« non pas batteur mais musicien qui joue de la batterie »), sur le programme de ce premier disque sorti chez Blue note, Everyday. Une formation épatante, rare, sans contrebasse où le pianiste brille dans son approche mathématique, philosophique, improvise en temps réel, après avoir laissé décanter, revient sur l’idée avec un regard neuf, mettant en pratique un « éco-système » d’idées parfois improbables. Il ne semble plus faire qu’un avec son complice, penché sur le piano, qui en joue de toutes les manières, frappant du poing et des mailloches sur les cordes préparées. Un engagement qui fait résonner la musique à travers ce corps à deux têtes. Une musique rythmique qui coule avec fluidité, envahissant l’espace sonore entre classique (Scriabine), jazz (Jarrett bien sûr), tradition (arrière plan folk israélien), pop (Radiohead entre autre). Un dialogue parfois exacerbé que rompt un silence profond…Déplacer les frontières de l’instrument, en croisant leur rôle respectif, répéter, ruminer, dans une transe « fast and furious ».
Jacky Terrasson, pianiste franco-américain, aime le jazz dont il connaît les arcanes : il sait aussi la valeur de l’échange et pratique une conversation émouvante avec un ami de trente ans (une alliance assurément plus solide qu’en politique), Stéphane Belmondo : le duo va sortir à la rentrée un album intitulé Mother sur Impulse, dont le titre éponyme, une tendre ballade, clôturera le Jacky Terrasson All Stars, sextet international dont Vitrolles est la seule date en Europe, en deuxième partie de la soirée du samedi 2 juillet. Sans reprendre le programme de son dernier album Take this, on aura d’ailleurs droit à « Take five », le tube inoxydable de la paire Brubeck/ Desmond qui depuis sa création en 1959, n’ a jamais cessé d’être repris. Ce qui confirme que les belles mélodies sont intemporelles : le pianiste s’en donne à cœur joie, passant prestement du clavier au fender. Avec ce groupe festif, entraîné par la rythmique de feu de Minino Garay, percussionniste argentin au groove solaire, Lukmil Perez, batteur cubain, Terrasson, infatigable, se livre à un sacré exercice de style : il déconstruit, dérange des standards plus que rebattus : généreux jusque dans la longueur des citations, il étire leur développement en insérant des longues incises. «But not for me», « Smile » seront ainsi livrés aux oreilles attentives, avec des effluves de «Summertime», de « Blue in Green » . Le public s’anime avec le guitariste-chanteur Marcio Faraco : bossa nova de « Berimbau » du tandem Baden Powell /Vinicius de Moraes, entré dans notre mémoire collective avec le « Bidonville » du cher Nougaro ou encore « Fio Maravilla » de Jorge Ben. Autres musiciens du sextet, le trompettiste-bugliste Stéphane Belmondo et le contrebassiste Thomas Bramerie qui enchaîne après le set précédent.
Stéphane Belmondo en trio, sur la corde sensible, celle des sentiments, dédie son programme à l’ami, le mentor, le trompettiste Chet Baker. Pourtant, les albums en hommage à Chet ne manquent pas : de celui du contrebassiste italien Riccardo del Fra, My Chet, my song, où il redessinait « son » portrait de Chet, se souvenant de son compagnonnage dès 1979, aidé de Nicolas Folmer et Pierrick Pedron, au disque collectif de la nouvelle génération, plus « variétoche » « Autour de Chet » où chant et trompette réunissent une pleïade de talents.
Il s’agit avec ce Love for Chet, titre clin d’œil à la composition de Cole Porter, « Love for sale », l’un des chevaux de bataille du trompettiste de l’Oklahoma, de rester dans la tonalité intime, voire intimiste, dans une formule en trio ( g/ cb/dm) qu’avait pratiquée Chet dans sa période Steeplechase . Ajoutons que la pochette et le teaser de cet album furent réalisés par le photographe Bertrand Fèvre dont nous avions découvert l’émouvant film Chet’s Romance tourné en 1987, lors d’un mémorable Tremplin Jazz d’ Avignon.
Au bugle qui confère un son onctueux, plus moelleux, Belmondo laisse la part belle à ses camarades de jeu qui, s’ils ne font pas tout le boulot, entraînent hardiment l’équipage : Thomas Bramerie, pilier du trio, s’en donne à coeur joie, tout en laissant respirer la musique, aidé d’un formidable guitariste, le Néerlandais Jesse van Ruller qui expose la ligne mélodique de « You can’t go home again », « I remember you » à « la chanson d’Hélène » , nouveau standard du jazz, dû à Philippe Sarde pour Les choses de la vie de Claude Sautet, cinéaste mélomane et portraitiste d’une France qui apprenait à connaître la crise. Aucune fausse note dans le répertoire, Chet ayant participé à des musiques de film de ce grand compositeur de musiques de films.
En rédigeant ces lignes, je me rends compte que le fil rouge de ces deux soirées est le travail d’arrangement de tous ces jazzmen, sur de superbes compositions, assez fidèlement pour que la mélodie soit reconnaissable ; créer d’autres orchestrations, comme le fait le trio Un poco loco, qui redécouvre des airs passés, d’avant même les années soixante- le bop de Powell pour aller vite, « qui ont fait en leur temps la folie du jazz ».
Last but not least, entrons dans The Fourth Dimension avec John Mc Laughlin, en quartet depuis 9 ans, et ce Black Light dans la nuit vitrollaise : on se prend la porte du temps dans la figure avec cette légende (le mot n’est pas trop fort) de la musique. A ses débuts, la guitare se célébrait au pluriel et s’essayait à toutes les pluralités. L’Anglais, devenu citoyen du monde, a su déployer, avec le temps, toute une gamme d’intensités. Il n’y a pas que des accents de guitare rock saturée dans son jeu : de l’acoustique avec des cordes de nylon, de l’électricité avec des envolées reconnaissables qui font tressaillir de joie le public d’amoureux de l’instrument, jeunes et vieux. De l’indo scat, période raga, des litanies « Love and understanding », du flamenco en hommage à son « brother » Paco di Lucia, parti en 2014 (un tendre « El hombre que sabia », du jazz simplement avec un émouvant « Django » (John Lewis). C’est que ce groupe est composé de musiciens hors pair, « la crème de la crème », un bassiste éclatant, le camerounais Etienne M’ Bappé, que le guitariste a repéré dans le Joe Zawinul Syndicate, un exubérant batteur, très vigoureux et omni présent, l’Indien Ranjit Barot aux rythmes « konokkol » ; aux claviers mais également aux percussions, le terrible Gary Husband, découvert dans le groupe du guitariste d’Allan Holdsworth. ..
Je ne rentrerai pas dans l’énumération des périodes ou styles du virtuose McLaughlin, depuis ses débuts en solo, en 69 avec « Extrapolation », le Mahavishnu Orchestra, la période Miles Davis… Pour moi, avec Love Devotion Surrender (1973) qui accompagnait ma découverte ébahie de John Coltrane, le guitariste, qui se prête, avec une élégance exquise, à la séance de dédicaces sur des vinyles apportés par les fans, aura toujours les traits de la photo épinglée sur la pochette de Electric guitarist de 1978 « Are you the one » ?
Sophie Chambon