Christian Scott: un nouveau cru de Bordeaux pour un Grand Chef à Palmer
Un quart d’heure au bas mot ! Chez Christian Scott la présentation des musiciens est sans conteste la plus longue de tous les orchestres de jazz. On sait tout sur la date, le lieu, les circonstances, le contexte, bref le pourquoi du comment de la présence de chaque membre du groupe.
Christian Scott (tp), Braxton Cook (as, ts), Lawrence Fields (p), Kristofer Fun (b), Corey Fonville (dm)
Le Rocher de Palmer, Cenon (33152), 9 février
Christian Scott, toujours, peaufine son discours. Celui, au travers des mots permettant d’introduire et de contextualiser sa démarche comme les notes choisies pour exprimer le(s) contenu(s) propres à sa musique. Avant un thème conclusif (Last Chieftain) se lance-t-il ainsi dans un long monologue fait de phrases graves, senties, à la limite de la harangue. De quoi exprimer, expliquer un sentiment profond sur l’histoire passée et présente de tribu des Indiens Creeks dont il fait partie pour sa branche louisianaise « A la suite de mon grand père qui a occupé cette fonction trente années durant, je suis devenu Grand Chef à mon tour depuis l’an passé. Une grande responsabilité qui m’honore… » Cette part d’histoire d’un peuple indien américain, ce vécu lui fait partager, comprendre « les difficultés, les problèmes des communautés, des minorités dans le monde »
Et inspire directement l’expressivité inscrite dans sa musique. Un panorama musical aux multiples facettes qu’il se risque à définir, l’air d’en rire, par la négative « Ma musique n’est ni seulement du jazz, ni du rap, ni juste du funk…même si l’on peut y trouver tous ses ingrédients… » De la même façon se plait-il à changer selon les thèmes la sonorité de son instrument. Du souffle de trompette restitué dans son mode le plus classique jusqu’à la saturation voir la distorsion la plus agressive possible. Et si l’on devait allier chercher une référence du côté d’un maître -celle-là est tout sauf une ineptie, il suffit d’écoputer- les moments oscillent de la veine pure de Kind of Blue jusqu’aux extrêmes de Bitche’s Brew, veines aux couleurs fortes reconduites dans une version d’un (sic) Kind of new, composition éclatante empruntée à Donald Harrison. Le matériau choisi pour marquer cette tourne européenne touche donc aussi bien aux sonorités électriques qu’aux climats acoustiques. Le trompettiste trentenaire de la Nouvelle Orléans à l’évidence se donne du plaisir à voyager dans l’histoire du jazz et de ses différents chemins liés à l’improvisation. Le groupe très soudé -seul Laurence Fields au piano est un élément nouveau dans l’orchestre- le suit pas à pas, l’épaule, le pousse vers plus d’intensité au besoin. Une qualité dans le travail assumé collectivement, une originalité dans la démarche qui a de quoi surprendre dès lors que Christian Scott avoue, très cash, au moment de remercier le public bordelais « Vous avez entendu des morceaux tout neufs…que l’on jouait en public pour le première fois vu que ce concert inaugure notre tournée en Europe! »
A Palmer, sans le savoir, à l’avance on a donc pu goûter à un cru d’exception. Question arômes et longueur en…oreille.
Robert Latxague