Christiane Bopp « Pause On(e) »
“Pausone”, le trombone en allemand. Ah, ah! C’est malin! “Pause”, c’est le nom de la série de mini concerts filmés au studio Sextan par les étudiants de l’EMC, l’école supérieure d’audiovisuelle, mitoyenne et partenaire de Sextan. Christiane Bopp est tromboniste. Avec deux p, pas comme “bebop”.
On l’avait déjà entendue avec Marc Ducret, Dominique Pifarély, Joëlle Léandre, Betty Hovette, Sophia Domancich, Hélène Breschand. Et aussi au sein de l’ONJ de Fred Maurin. Devant le public du 104 de Radio France, elle avait fait sensation. À Sextan, elle est comme surprise par la caméra, seule devant son couple de micros, une main balançant un tintinnabulement de gourdes au bout d’une ficelle, l’autre maintenant son trombone, la coulisse retenue en première position par la dernière phalange de l’index. Est-ce qu’elle chante ? Est-ce le trombone qui chante tout seul ? Peut-être un peu des deux. Les alpages, le grand cor des Alpes tout déroulé, les vaches au loin broutant et secouant doucement leurs toupins. Un paysage sonore, une appel, une prière, une action de grâce.
Puis la coulisse entre en action : jeu rythmique, jeu d’intervalles, jeu de phrases legato, jeu de timbres ici et là doublés de la voix. Multiphoniques. On pense à Albert Mangelsdorff, évidemment. Mais on ne le regrette pas. Son héritage est vivant, au-delà de toute nostalgie, de toute copie conforme. Là-haut ou ailleurs, s’il entend, il doit sourire. La sourdine ventouse entre en jeu. La “plunger”, le mot sonne comme le trombone lorsqu’il en est muni, comme de l’argile brute qu’à force de modeler elle rend douce, très douce. Maintenant, voici le trombone qui chante à tue-tête: on dirait vraiment une voix, une voix de tête, un truc de pygmée, une clairière après la chasse. La caméra nous montre ses lèvres et on ne comprend pas bien comment elle fait tout ça…
Tiens voilà une sourdine “harmon”, la sourdine de Miles mais en beaucoup plus gros. Montrée de près par la caméra, c’est impressionnant. Sa main qui fait wah wah à sa sortie a l’air toute petite. Mais l’imagination est immense. On la croit nourrie d’une grande collection de disques d’ethnomusicologie, des jeux de souffles inuits aux liturgies thibétaines, avec un sens mélodique jamais dépourvu d’idées nouvelles et une sens des nuances et des textures inouï.
Plus quelque chose d’enfantin lorsque son trombone dialogue avec des embouchures qu’elle fait rouler sur des plateaux de différentes matières (dont un moule à tarte renversé) qui lui donnent de nouvelles idées. Ça excite l’instrument qui jappe staccato. Elle le calme puis l’abandonne, pour faire tourner les embouchures en continu, l’une et l’autre, trois en tout, et ça fait comme le tonnerre roulant au loin. Elle y ajoute un métronome, puis un autre, et encore un autre. Tiens, il pleut ! Elle sonne la fin de la partie en se tapant la tête avec de grands diapasons qu’elle fait résonner sur la table où est posé son petit attirail. Mais pourquoi je vous raconte tout ça, puisque c’est en ligne et qu’il vous suffit de cliquer ci-dessous pour voir et entendre. Ça dure 26 minutes, il est minuit et lorsque vous l’aurez vu et entendu, je serai déjà en train de rêver de vaches et de diapasons volants. Franck Bergerot