Chroniques de Jammin’ Juan #2 : Que d’émotions !
Pour ce premier showcase de la journée, l’harmoniciste israélienne Ariel Bart était accompagnée du pianiste Arseny Rykov. Sur un répertoire d’une tonalité globalement sombre et mélancolique – avec un art de la dissonance maîtrisée qui lui un apportait piquant bienvenu – elle s’est illustrée d’emblée une technique assurée : traits rapides, notes tenues, dédoublées, growl, et toute l’ampleur du registre est parcourue avec ce même touché (on peut dire ça pour un harmonica ?) frissonant. Jamais rien de démonstratif ni chez elle ni chez Arseny Rykov, tout est au service de la mélodie, dans les thèmes comme dans ses improvisations au long cours. Voilà qui mérite bien d’être ma Révélation du jour !
Beaucoup plus écrite, la musique de la chanteuse Margarita Cordogli (nom de scène Magi Aleksieva Mey) d’origine bulgare, puise aussi dans des références plus modernes, les harmonies moirées du Fender Rhodes de Miroslav Turiyski évoquant çà et là celles dont Eric Legnini où Robert Glasper sont coutumiers. Sa voix manque un peu d’assurance au début, mais elle a vite repris confiance démontrant son placement est très précis et développant un univers où jazz et pop vont main dans la main, voisin de celui de chanteuses comme Alma Naidu ou Pamina Beroff, et fidèlement représenté par un groupe parfaitement rodé (Thomas Cordogli à la basse, Kristian Jelev à la batterie). Une bonne surprise qui a de sérieux arguments.
Quelques minutes plus tard, le pianiste Adrien Brandeis présentait la musique de son troisième album “Siempre Mas Alla”, qui rend hommage aux différentes régions et cultures du Mexique où il l’a enregistré. Des l’entrée dans la salle du concert, une ambiance spéciale, électrique, règne dans le public tandis que son quartette superlatif entame avec lui un premier morceau à l’énergie jubilatoire. Le leader assure, et sa rythmique du feu de dieu le porte au sommet : les fantastiques Arnaud Dolmen (batterie) et Philippe Ciminato (percussions) font des étincelles tandis que l’imperturbable présence tranquillisante du contrebassiste Felipe Cabrera tient la barque avec une tranquille autorité. Les applaudissements reflètent l’enthousiasme d’un public où guère de tête est restée immobile. Un superbe concert qui se conclut par une belle surprise : le pianiste est décoré du prix Jeune Talent 2022 de l’UNAC, qu’il est l’un des tous premiers musiciens de jazz à l’obtenir.
En préambule de son showcase, le guitariste David Laborier, à la tête du groupe NE:X:T jure qu’il n’a pas amené de son Luxembourg natal à Juan les Pins la pluie battante qui sévit aujourd’hui. Son programme met d’abord a l’honneur Wes Montgomery, entouré d’une remarquable section de soufflants : Pierre Cocq-Amman (sax alto), Tim Daemen (trombone) et Marc Huynen (trompette) qui donne au groupe des allures de mini big band et une section rythmique plutôt moderne : Sebastian “Schlapbe” Fach à la basse électrique et le batteur Antonin Violot dont les influences vont bien au-delà de la batterie jazz. Celles du leader aussi d’ailleurs, puisqu’il ne tarde pas à prouver que la guitare rock, avec des accents hendrixiens, ne lui est pas du tout étrangère. Tous sont excellents à leurs postes et les compositions mettent efficacement en valeur leurs qualités.
Le contrebassiste François Poitou et la rappeuse Pumpkin sortent un nouvel album (chronique dans le prochain numéro de votre magazine préféré). Associé à une frontline sax ténor (Maxime Berton)-trompette (Olivier Laisney), et un batteur impérial (Stéphane Adsuar, quelle frappe, et quel son !), ils proposent leur propre approche du mélange fécond entre jazz et hip-hop. Ça joue, n’en doutez pas, mais Pumpkin n’est pas en reste et son autorité mêlée de malice, avec un placement affûté, donnent à ses textes en français ou en espagnol un aplomb qui force l’admiration.
L’Espagnol Daniel Garcia Diego nous a fait une frayeur : le reste du trio du pianiste, le contrebassiste Reinier Elizarde Ruango et le batteur Michael Olivera Garcia cubains tous deux, a été retardé et arrive avec un peu de retard. Son style pétri de flamenco, paré d’ornementations foisonnantes, met d’emblée le public dans l’ambiance (c’est un hommage à Paco de Lucia) tandis que le bassiste contrebalance joliment le côté léger et aérien du pianiste et du batteur avec un son boisé à l’enracinement très profond, même s’il sait se montrer agile et félin. Les morceaux suivants montreront combien Daniel Garcia Diego connaît aussi la tradition du piano jazz. Comme il l’a déjà mainte fois prouvé, sa technique est sans faille mais c’est sans doute son lyrisme hors du commun qui le distingue vraiment de bien des instrumentistes aux styles voisins.
Direction l’auditorium pour le concert du trio du pianiste et chanteur Meddy Gerville, tout la fois une leçon de groove, de swing, de blues et plus généralement de trio piano-basse-batterie. Dans son maloya-jazz il s’est aménagé de larges espaces d’expression qui permettent de mesurer la finesse de son jeu et l’étendue de son vocabulaire, mais on reste scotché devant le groove du bassiste Johan Saartave comme du batteur Emmanuel Félicité, qui n’a fait qu’exceller. Il ne restait plus qu’à foncer à l’Artview pour le concert de Coccolite (Nicolas Derand, claviers, Timothée Robert, basse, Julien Serié, batterie) et quelle que soit la salle, rien à faire : quand ces trois-là passent à l’attaque, on ne répond plus de nos actes – j’en ai une nouvelle ride au front à force de bouger la tête avec les sourcils froncés, merci messieurs ! Yazid Kouloughli