Claude Cagnasso à l’honneur rue de Madrid
Hier 18 décembre, le Big Band des conservatoires de la Ville de Paris rejouait la musique de Claude Cagnasso, précurseur du renouveau des big bands français des années 1980. À cette occasion, pas tout à fait un hasard, nous était remis le disque du dernier répertoire d’Ivan Jullien enregistré au studio Davout par ses amis à titre posthume.
Ce sont deux big bands qui se succédaient hier à l’auditorium Marcel Landowski de l’historique conservatoire de la rue de Madrid, le Big Band des conservatoires de la ville de Paris (où l’on remarquait, signe des temps, des sections soufflantes très féminisées : pas moins de cinq femmes, 2 trompettistes, 2 trombonistes et 1 saxophoniste) sous la direction de Denis Leloup, et l’Universal Big Band du Grand Paris Seine Ouest qui travaille au conservatoire de Boulogne-Billancourt sous la direction du pianiste Luc Saint-James (en soutien de la section de trombones, la baguette étant entre les mains de Serge Forté). Le tout dans le cadre d’un partenariat entre les deux structures pour un double concert à Boulogne (le jeudi 13 décembre) et à Paris.
Qu’est-ce qui peut bien pousser un rédacteur en chef sur-sollicité à aller écouter un concert d’élèves de conservatoire ? Le souvenir du Cim, école de jazz pionnière fondée par le saxophoniste Alain Guerrini au milieu des années 1970, dont, en voisin, j’ai fréquenté cours, concerts et répétitions. Soit le goût, étant moi-même un étudiant tardif et assez médiocre, de voir étudier de jeunes musiciens, de voir comment s’y prenaient leurs professeurs, de voir émerger de jeunes talents (Louis Winsberg, Alain DeBiossat, Francis Bourrec, Denis Badault, Yves Rousseau, Bojan Zulfikarpasic, Youn Sun Nah…). Je me souviens notamment des stages de l’AFDAS où je venais voir répéter des musiciens confirmés dans le cadre de la formation professionnelle sous la direction de Martial Solal, André Hodeir, Jef Gilson, Patrice Caratini, Ivan Jullien… et un certain Claude Cagnasso (photo ci-dessus au CIM, en ouverture de ce compte rendu), un peu oublié aujourd’hui, mais qui fut l’un des très rares porteurs de flambeau du jazz français en “grand format” dans les années 1970, avant que le genre ne retrouve des couleurs au tournant des années 1980 avec François Jeanneau, Patrice Caratini, Martial Solal, Antoine Hervé…
C’est donc pour Claude Cagnasso que son public de l’époque et ses anciens collaborateurs côtoyaient hier parents et amis de ses jeunes interprètes d’un soir. Décédé en 2015, Claude Cagnasso, surnommé “Dino”, était né le 25 juillet 1939, d’un père italien ayant fui le régime de Mussolini en France. Sa passion pour la masse du big band le fit étudier l’arrangement et l’orchestration en autodidacte, puis gagner sa vie dans les studios, avant de constituer son premier big band sur un répertoire que l’on redécouvrait hier avec ce big band des Conservatoires épaulé par les trompettistes Tony Russo et Joël Chausse dans les sections et Pierre Bertrand soliste à la flûte et au soprano, sur un répertoire inédit sur disque.
À commencer par Standing With Stan typique d’une époque encore très marquée par la venue Stan Kenton à Paris dans les années 1950, mais aussi plus récemment par le big band de Thad Jones et Mel Lewis comme en témoigne Vol 003 et Suite pour JMB (hommage au flûtiste Jean-Marie Billière, avec section de flûtes réunissant Pierre Bertrand et deux co-fondateurs de l’orchestre Bernard Duplaix et Claude Thirifays). À cette exception du trio de flûte, l’organigramme classique du big band est respecté mais pour un circulation des voix parmi les sections toujours très active au profit d’une luxuriance qui explose dans Si Soy Latino. Avec cette dernière pièce, d’autres vétérans se mêlent aux jeunes étudiants – Jacques Bolognesi (principal soliste, qui a laissé son trombone pour l’accordina), Tony Bonfils (basse électrique), Christian Lété (batterie) –, sur le terrain de prédilection de Claude Cagnasso, la tradition afro-cubaine découverte auprès de Benny Bennett et dont il parlait toujours avec enthousiasme (je tiens d’une conférence qu’il donna au CIM, les premiers rudiments de mes connaissances dans ce domaine) et à laquelle il donnait une large part dans les années 1980, en pleine vogue de la salsa.
Avec la présentation de main de maître d’un programme Walt Disney par Serge Forté à la tête du Big Band de Boulogne, contraste une présentation un peu foutraque de Denis Leloup, au secours duquel viendra, trop brièvement Bernard Dupleix, qui évoquera les premières répétitions de 1967, encore tâtonnantes (comparativement aux interprétations des étudiants parmi lesquels citons au moins un nom, celui de l’altiste Pierre Carbonneaux auquel revenait la lourde tâche de nous faire oublier la défection d’Alain Hatot). On aurait aimer une évocation un peu mieux préparée du personnage. Citons quelques uns des compagnons de route de “Dino” au fil des années, véritable who’s who de la scène française de l’époque : les trompettistes Michel Barrot, Michel Boss et François Chassagnite, les trombonistes Christian Guizien et Luis Fuentes, les tubistes Marc Steckar et Daniel Landreat, les saxophonistes Patrick Bourgoin, Alain Hatot, Francis Cournet, Jean-Pierre Debarbat, les pianistes Georges Arvanitas et Michel Graillier, les contrebassistes Didier Levallet et Patrice Caratini (qui faisait ici un peu ses classes avant de prendre le relai du flambeau à la tête de son Onztet), les batteurs percussionnistes Guy Hayat et “Tiboum” Guignon…
Pas tout à fait un hasard, en sortant de la rue de Madrid, je me fais remettre un CD par la compagne d’Ivan Jullien (1934-2015), un quasi contemporain de Cagnasso. Je les vois encore en Une du numéro 5 du Jazzophone (le journal du CIM), tous deux une bière à la main avec Jef Gilson à l’issue d’un concert de fin de stage AFDAS. À la fin de sa vie, encouragé par une bande de jeunes enthousiastes (Sylvain Gontard, Daniel Zimmermann, Olivier Zanot, Boris Pokora, Pierre Bertrand…) emmenés par le saxophoniste Dominique Mandin, Ivan Jullien avait remonté un big band en résidence au Petit Journal Montparnasse.
Ce nouveau répertoire fut enregistré après sa mort au studio Davout avec le concours de quelques vétérans (Tony Russo, Didier Havet, André Villéger, André Ceccarelli …) et invités (Didier Lockwood, David Linx, Stéphane Belmondo…). L’album est là… qui n’attend plus qu’un distributeur. Qu’on se le dise ! • Franck Bergerot