Jazz live
Publié le 7 Jan 2023

DELBECQ, RENARD, FLOUZAT : nouveau trio au Sunside

Tout premier concert de ce trio tout neuf, ‘Triple Fever’, né de sessions informelles durant le confinement. Des musiciens issus de deux générations distinctes, et qui se retrouvent dans le désir de faire une musique collective, dans une groupe sans leader, où chacun apporte ses compositions, son talent spécifique d’instrumentiste, d’improvisateur, et de concepteur d’une énergie partagée. Le chroniqueur, toujours handicapé par les suppressions de RER en soirée sur la ligne ‘E’ (dernier départ Gare du Nord à 23h02 ce soir-là…..), devra partir à l’issue du premier set. Frustration prévisible de l’amateur, mais plaisir de découvrir un nouveau groupe, dont les membres ne lui sont pas inconnus.

 

DELBECQ, RENARD, FLOUZAT : ‘Triple Fever’

Benoît Delbecq (piano), Étienne Renard (contrebasse), Guilhem Flouzat (batterie)

Paris, Sunside, 6 janvier 2023, 21h30

Dès le premier morceau, la fièvre d’inventer est bien là. C’est un trio équilatéral, en nom collectif. Sur un ostinato de la contrebasse et de la batterie, qui n’est pas exempt de quelques fusées stimulantes, le piano évolue en grande liberté tonale. Le (très) vieil amateur que je suis jubile, retrouvant la jouissance à lui prodiguée au milieu des années 60 par les premiers trios de Paul Bley, avec cet art si particulier d’esquiver avec espièglerie les injonctions du système tonal. C’est infiniment vivant, plus que vif. Voici un autre thème, mystérieux, sinueux, où la déambulation presque monkienne du piano est fracturée par le couple basse-batterie. La musique est comme un labeur consenti, assumé, une marche, ou plutôt une quête vers une promesse d’étonnement et de beauté, une liberté à l’œuvre. L’écoute du public est intense. Les bruits de verres et de bouteilles ne sont pas incongrus. Comme au Village Vanguard en juin 1961, ils sont comme le décor d’une cérémonie secrète. Il y a bien au fond, près du bar et comme souvent, deux ou trois bavard(e)s qui choisissent presque l’instant du pianississimo pour reprendre leur babil, mais cela ne suffira pas à gâter le plaisir des attentifs. Après le premier thème, signé par le pianiste et titre éponyme du groupe, puis une composition du bassiste intitulée Courbet, c’est au tour du batteur de proposer son terrain de jeu. Tempo affirmé, sans précipitation, très jazz (mais pas que….), c’est une sorte de rébus rythmique d’où émergera l’énergie collective. Au thème suivant, sur un groove appuyé du couple basse-batterie, le piano s’égaille avec une libre insolence. Ses partenaires ont constamment pris leur essor au fil du concert, dans cette configuration interactive où le collectif favorise l’expression individuelle. Et la première partie se conclura sur une ancienne composition de Benoît Delbecq, Le Ruisseau, inspirée voici quelques années par le souvenir de Jean-Jacques Avenel, disparu peu avant, et avec qui le pianiste avait eu le bonheur de jouer : un souvenir qu’il retrouve dans le jeu du contrebassiste de ce trio. Le chroniqueur quitte à regret le Sunside avant la reprise pour un deuxième, voire un troisième set. Mais ce qu’il a écouté l’a enchanté, et aussi convaincu que ce nouveau trio a devant lui un bel avenir.

Xavier Prévost