Deux trios, s’il vous plaît !
Le festival Jazz sur son 31 proposait l’autre soir un concert avec deux trios avec piano dirigés par deux musiciens ayant entre (presque) 30 et 40 ans. Une bonne occasion de faire un carottage des tendances européennes de ce format éminemment jazz.
Mercredi 9 octobre 2024, Jazz sur son 31, Pavillon République, Toulouse (31)
1e partie : Marc Priore Trio
Marc Priore (p), Juan Villarroel (b), Elie Martin-Charrière (dr)
2e partie : Daniel García Trio
Daniel García (p), Reiner « El Negrón » Elizarde (b), Michael Olivera (dr)
Premier point commun, les deux leaders ont résolument opté pour des approches musicales qui, bien que différentes, sont à même de faire adhérer un large public. Leurs musiques sont en effet majoritairement consonantes, dominées par le paramètre mélodique, portées par des rythmiques la plupart du temps binaires mais avec des raffinements métriques qui épicent l’ensemble. Leurs ambitions musicales se situent donc moins du côté de l’élaboration d’un langage nourri de concepts propres que vers l’expression d’une gamme très large d’aimables sentiments. En somme, ce que proposent ces musiciens au public, c’est une sensibilité – bien sûr différente selon leur personnalité respective ; une sensibilité qui donne à entendre une musique en mesure d’émouvoir. Et ils font bien, car c’est ce que souhaitait manifestement le public toulousain au vu des standing ovations qu’il fit à l’une comme à l’autre formation.
Pour cela, les deux leaders prennent appui non seulement sur un son de piano qui doit autant au jazz qu’à la musique classique, mais aussi sur une attitude proche de cette dernière musique : très grand sens de la nuance, de la couleur, et même du rubato (tempo expressif, par exemple flottant en fin de phrase). Cette dimension se trouve soutenue par des tandems contrebasse/batterie en totale osmose avec leurs partenaires. Dans les deux groupes, les trois musiciens semblent en télépathie constantes, chacun soulignant/complétant les intentions des deux autres à la perfection.
Enfin, s’opère avec eux une synthèse personnelle de multiples influences décelables, que ce soit volontaire ou non. En écoutant le Marc Priore Trio, on entend du Ahmad Jamal (certes à l’occasion d’un morceau en son honneur), de la musique du XIXe siècle en plein (Hymn for Marcel est une romance sans parole), voire du Daniel Goyone dans Joie de pluie. Le Daniel García Trio fait songer à E.S.T. lorsque l’on entend le titre-éponyme de son dernier album en date, « Wonderland » (pas étonnant que ACT ait signé le pianiste), mais aussi Tigran Hamasyan, en particulier lorsque Daniel García chante des vocalises sur une rythmique très enlevée, ce qui fait alors aussi songer au Pat Metheny Group du fait de lignes très lyriques. En introduction solo au bis de la soirée, on sent qu’il a aussi sous les doigts et dans la tête la musique de Gabriel Fauré. À toutes ces influences, s’ajoute pour le trio du musicien originaire de Salamanque des éléments issus du flamenco au profit d’une musique à part, d’un équilibre plus qu’alléchant.
De beaux trios, donc, qui font aimer le jazz à un public large. Autant dire : de véritables Jazz Messengers !
Ludovic Florin