Dix ans de Rugissants
Le Big Band de Grégoire Letouvet (du très créatif collectif Pegazz et l’Helicon) fêtait ses dix ans d’existence autour de leur dernier album, Le Cri. Studio de l’Ermitage, mercredi 13 mars 2023, avec Grégoire Letouvet (fender), jean-baptiste Paliès (batterie), Alexandre Perrot (contrebasse), Corentin Giniaux (clarinette, et clarinette basse), Jules Boittin (trombone), rémi Scribe (saxophones), Thibaud Merle (saxophone ténor), Raphaël Herlem (saxophone Baryton), Léo Jeannet (trompette), Leïla martial (voix)
L’orchestre de Grégoire Letouvet explore le thème du cri. Il y a de quoi faire : Cri primal, cri d’amour, cri de panique… Les morceaux sont de la plume de Grégoire Letouvet, ou de certains des musiciens (Rémi Scribe, Léo Jeannet, Raphael Herlem, Alexandre Perrot) arrangées par lui. Pour chaque cri, un univers sonore, une métrique, une ambiance musicale différente. Cela donne une musique contrastée : certaines compositions semblent des uppercuts, d’autres ont une dimension narrative plus affirmée. Le premier morceau, Fission, est plutôt dans la veine « uppercut ». Il repose sur des phrases be-bop superposées (« Sur ce disque j’ai joué avec les superpositions sur plusieurs compositions » commente Grégoire Letouvet quelques jours plus tard). Un groove élaboré par Grégoire Letouvet (fender), Alexandre Perrot (contrebasse), et jean-Baptiste Paliès (batterie) structure l’ensemble. Cela sonne un peu comme du Mingus. C’est rageur, rapeux, vindicatif.
Mânes, de la plume du trompettiste Léo Jeannet, aborde de tout autres rivages. « L’idée initiale était d’ évoquer le cri des fantômes. C’est une pièce plus longue, plus dramaturgique, arrangée avec des intentions qui rappellent un peu la musique classique, par exemple dans le travail sur les timbres » précise Grégoire Letouvet. Une musique chercheuse, donc, reposant parfois sur des idées rythmiques ou harmoniques complexes. Ce qui la rassemble et lui donne la cohérence c’est la conviction et l’énergie des musiciens, et aussi son côté organique, où la masse orchestrale n’est jamais détricotée par les solos. Dans l’indécision (de Raphael herlem) le saxophone baryton semble se débattre devant une grande vague orchestrale qui vient le recouvrir. Après quelques morceaux, la chanteuse Leïla Martial rejoint l’orchestre.
Elle joue de sa voix comme d’une instrumentiste et se fond merveilleusement dans l’orchestre. La finesse de ses inflexions, de son jeu sur les timbres, son utilisation musicale de certains modes de jeu ethniques épate.
Elle joue d’un petit instrument bricolé, à base de bouteilles, d’origine subsaharienne, qui est tout sauf un gadget. Elle en sort des choses merveilleuses, car elle arrive ainsi à faire des contrepoints soufflés à son improvisation vocale. A un certain moment, une fugue de Bach sort de son modeste instrument, comme un génie de la lampe d’Aladdin. Magie pure.
Avant l’orchestre de Grégoire Letouvet, la chanteuse Ellinoa, dans un très beau projet autour d’Ophélia, l’héroïne malheureuse de Hamlet. Douceur, lyrisme, voix prenante d’Ellinoa, avec une orchestration d’une grande finesse : tout en soutenant la chanteuse, les dialogues entre guitare acoustique (Pierre tereygeol) et guitare électrique (Paul Jarret) délectent, tout comme les dialogues entre violoncelle (juliette Serrad) et contrebasse (Arthur Henn). L’utilisation des choeurs (tous les musiciens chantent à certains moments) donne une ampleur magnifique au chant d’Ellinoa. Il y a quelque chose de très pur et de très beau dans cette musique.
Texte JF Mondot
Dessins AC Alvoet (autres dessins, peintures à découvrir sur son site annie-claire.com)