D'jazz Nevers: Fidel Fourneyron, Tony Allen et PJ5
Hier 11 novembre, D’jazz Nevers ouvrait ses portes hier avec le PJ5 de Paul Jarret, ¿Que vola? de Fidel Fourneyron et le Tribute to Art Blakey and the Jazz Messengers.
- La Loire file un cours tranquille, le long du quai de Médine au pied de mon hôtel, vestige insoupçonnable du port de Médine que baignait autrefois le confluent avec la Nièvre et d’où partirent, de 1781 à 1878, les produits des Forges royales de la Chaussade (à Guérigny) ancres et canons destinés à la marine de guerre, le confluent accueillant également des activités moins belliqueuses attestées entre autres par la présence d’un port commercial et de bateaux lavoir… Une topographie définitivement effacée par le tracé de la Nationale 7. Les eaux qui semblent mortes sous ma fenêtre appartiennent-elles à la Loire ou à la Nièvre désormais si discrète ? Et ce que je prenais tout à l’heure pour le courant, comme encore agité de l’élan pris par sa source au Mont Gerbier-de-Jonc et par ses affluents de montagne, n’était en fait que la houle créée par la tempête qui souffla toute la nuit à contre-courant et contre laquelle encore – j’assiste de ma fenêtre , solidaire à ses efforts,– un héron lutte de son vol ample et faussement paresseux, rompu de soudaines embardées, ignorant les activités roturières des corneilles, corbeaux et autres cormorans. Sait-il seulement qu’il y 12h, sur les bords du fleuve, dans les murs de la belle salle Philippe-Genty de la maison de la culture d’Angers tremblèrent, lorsque mille mains semblèrent s’abattre sur autant de peaux pour invoquer les Orishas, les divinités cubaines ?
- Fidel Fourneyron ¿ Que vola ? : Adonis Panter Calderon, Barbaro Crespo Richard, Ramon Tamayo Martinez (congas, batas, claves…), Aymeric Avice (trompette), Fidel Fourneyron (trombone, direction artistique), Hugues Mayot (sax ténor), Benjamin Dousteyssier (saxes alto et baryton), Thibaud Soulas (contrebasse, direction artistique), Elie Duris (batterie).
- Tonnerre paisible, tranquilité fébrile, la polyphonie des tambours de la rumba invite à l’oxymore, puissance inexorable habitée par l’inédit que suscitent les formules ancestrales articulée autour de la clave du guaguanco. Suivrons quelques toques, rythmes sacrés dédiées chacun à un dieu, puis d’autres claves et toujours cette sage folie, cette science folle de la polyrythmie qui crépite en un grand embrasement sonore. C’est cet univers que le tromboniste Fidel Fourneyron a voulu visiter, guidé par le contrebassiste Thibaud Soulas. Ce dernier, grandi aux environs de Marciac, a vécu à Cuba où il est entré en intimité avec les musiques du cru, comme en témoigne la façon dont il incruste les variantes de sa tumbao parmi frappes des tambours, contribuant à cette subtile possession des corps qui, s’en emparant de toutes parts à la fois, tend à les les tordre et les torsader selon des logiques indéchiffrables, aussi sûrement qu’on pourrait le fait d’une liane.Ce Trio Peligroso de Cuba – auquel se sera joint Thibaud Soulas, mais cette fois aux claves et percussions, à 17h30 ce dimanche 12 novembre au Café Charbon de Nevers, peut-être avant même que ce compte rendu n’apparaissent en ligne – ce Trio Peligroso, donc, participe au renouveau de ces musiques cubaines, renouveau qu’aura souligné le nom choisi par Fourneyron pour son groupe ¿ Que vola ? (quoi de neuf ?). Ce qu’il y a ici de neuf, c’est notamment l’association de ces percussions et de la front line d’instruments à vent que le trombone dresse face à ses percussions. À la lumière d’une belle mise en lumière de Thibaut Lacas, ces deux sections forment les deux branches d’un V qui participent surement de la très lisible sonorisation de Pierre Favrez que je découvre du balcon du théâtre. Riffs rougeoyants, contrepoints polyphoniques embrasés, solos de lave basaltique explosant en incendies collectifs… Face à ce discours pyrométrique, la métaphore de la motricité s’impose en retournant vers les tambours, dont l’ensemble évoque la puissance machinique, la multiplicité synchronisée des engrenages, arbres à cames, bielles-manivelles et contre-manivelles, l’élan et l’inertie des locomotives à vapeur d’antan, de leur mise en chauffe à leur accélération progressive jusqu’au régime à pleine vapeur, puis leur retour au ralenti…Derrière l’orchestre, à l’articulation des deux branches du V, la batterie réalise une sorte de synthèse de l’ensemble clave-tambours, formules mères et variations. Derrière les tambours, le fender joue un drôle de rôle, à la fois trait d’union entre les deux sections par ses allers et retours entre les percussions dont il semble commenter les frappes et vents auxquels il se joint parfois même pour lancer telle ou telle partie, tantôt solidaire, tantôt électron libre haluciné. Et voici soudain, Bruno Ruder entraînant Thibaud Soulas et Elie Duris sur quelques figures abstraites, tandis que le reste de l’orchestre fait mine de sortir de scène. Concert dans le concert ? Hors-sujet ? Pensez donc ! Revoici nos Cubains, et voyez comme ils dansent déjà sur ces abstractions du trio qui vous avaient laissés perplexes.
- Tony Allen “A Tribute To Art Blakey and the Jazz Messengers” : Rémi Sciuto (sax alto), Irving Acao (sax ténor), Jean-Philippe Dary (piano, piano électrique Fender-Rhodes), Rody Cereyon (guitare basse électrique), Tony Allen (batterie).
En toute logique, il convient que la vedette de la soirée, en l’occurrence Tony Allen, batteur historique de Fela Kuti, se produise en dernière partie. Hier, il aurait peut-être fallu inverser l’ordre de passage, l’incandescence de la première partie ayant émoussé notre perception un peu plus que ne l’aurait su faire la seule question « en quoi s’agit-il d’un hommage à Art Blakey. » Reprenons le programme de Tony Allen : Moanin’ et The Drum Thunder Suite (respectivement de Bobby Timmons et Benny Golons “Moanin’”, 1958, Blue Note), Politely (de Bill Hardman, “Au Club Saint-Germain”, 1958, RCA ou “The Big Beat”, 1960, Blue Note), Night In Tunisia (de Dizzy Gillespie, “A Night In Tunisia”, 1960, Blue Note), Invitation et A la mode (respectivement de Bronislaw Kaper et Curtis Fuller “The Jazz Messengers”, 1961, Impulse)… plus On Fire qui semble être de la plume de Tony Allen. Le tout nous a semblé raboté au format Tony Allen, toujours un peu le même genre de groove et de tempo binaire, démonstratif, certes suffisamment admirable pour que le démonstratif se suffise à lui-même, où certes l’on retrouve cette formidable motricité qui faisait la puissance irrésistible de la musique de Fela, sur des grooves à la régularité ferroviaire, avec ici et là de longues variations imprévues qui vous réduirez un TGV en miettes, mais sur lesquelles l’orchestre passe sans un soubresaut.Mais il y manquait un peu de cette interaction, de cette diversité, de ce sens des couleurs, du grandiose, d’un certain sens de l’entertainment*, en somme d’humanité qui habitait les Jazz Messengers ou les chœurs de Fela. Soit un spectacle un peu froid où piano et contrebasse servaient à mettre en valeur le drumming du maître et où Irving Acao et Rémi Sciuto (ce dernier plus encore avec des solos d’une construction, d’une originalité, d’une angularité époustouflante) surent nous donner ce que nous attendions, du grand jazz.PJ5 : Léo Pellet (trombone), Maxence Ravelomanantsoa (sax ténor), Paul Jarret (guitare électrique), Alexandre Perrot (contrebasse), Ariel Tessier (batterie).Auparavant, le public fidèle de D’jazz Nevers s’était rassemblé pour le traditionnel concert de 18h30 à l’auditorium Jean Jaurès. Ouverture par le tromboniste Léo Pellet qui d’emblée – densité du timbre dans toutes les nuances, finesse des multiphoniques, délicatesse des glissandos, perfection de l’articulation, dosage de la réverb – affiche la qualité première du groupe : l’attention au son. Son individuel d’abord, tant l’instrument lui-même que son amplification pour laquelle le sonorisateur de la salle sera remercié à l’issue du concert pour son travail que le son collectif qui s’impose avec l’entrée de l’orchestre. Nouveau dans le répertoire, le premier morceau, par sa solennité élégiaque, me rappelle – de façon certes très impressionniste puisque je me réfère à un disque dont je n’ai qu’un très vague souvenir, et qui échappe totalement à mon domaine de compétence – l’esprit du “Blackstar” de David Bowie. Il y a là une cohérence de projet et de son orchestral qui explique le succès de ce PJ5, soutenu par la structure de diffusion Jazz Migrations mais, avant même qu’il y accède, par la lucidité de son leader, Paul Jarret, depuis 2010, sur le plan artistique comme sur ce lui du management.
Soit une musique qui relève au moins autant sinon plus de la pop et du rock que du jazz, la cohésion reposant moins sur le solo que sur l’endossement (et l’adhésion à) une écriture orchestrale par ces cinq musiciens qui mettent à profit ce qu’ils ont appris du jazz improvisé pour réinventer l’interaction au service d’un répertoire fait d’ostinatos, de boucles minimalistes, de refrains enivrés de leurs propres répétitions jusqu’à de formidables tutti ou polyphonies, et où l’initiative improvisée est indissociable d’un tout. Et reconnaissant l’aboutissement de ce travail, je dois bien reconnaître que “ça n’est pas ma came”, que je me trouve un peu isolé face à l’unanimité qui l’accueille à Nevers comme ailleurs, et que je ne m’y retrouverai vraiment que lors du pénultième morceau qui laisse la bride sur le cou à un duo. Maxence Ravelomanantsoa y part d’un motif mélodique en adéquation avec la mythologie nordique qui en a inspiré le titre (Yggdrasil) et construit sans essoufflement un véritable développement au long cours, Ariel Tessier y désactive le timbre de sa caisse claire et favorise les sonorités claires de ses cymbales et de ses toms pour une partie de percussions dont la musicalité m’a un peu manqué tout au long du concert. Entrée du tempo, montée collective, surgissement d’un tutti final massif et triomphant, rappel enthousiaste et sans appel. • Franck Bergerot
* Art Blakey à son public du Birdland : « Si vous avez envie de taper du pied, faites-le. Si le besoin vous prend de taper dans vos mains, allez-y. Si vous voulez enlever vos chaussures, enlevez vos chaussures. Nous sommes là pour vous donner du plaisir. On n’existe pas sans les chauffeurs de taxi et les éboueurs – ils sont importants. Aussi, lorsqu’ils viennent nous écouter en sortant de leur boulot, le mien consiste à les rendre heureux, à leur faire oublier la grisaille de la vie quotidienne. »
|Hier 11 novembre, D’jazz Nevers ouvrait ses portes hier avec le PJ5 de Paul Jarret, ¿Que vola? de Fidel Fourneyron et le Tribute to Art Blakey and the Jazz Messengers.
- La Loire file un cours tranquille, le long du quai de Médine au pied de mon hôtel, vestige insoupçonnable du port de Médine que baignait autrefois le confluent avec la Nièvre et d’où partirent, de 1781 à 1878, les produits des Forges royales de la Chaussade (à Guérigny) ancres et canons destinés à la marine de guerre, le confluent accueillant également des activités moins belliqueuses attestées entre autres par la présence d’un port commercial et de bateaux lavoir… Une topographie définitivement effacée par le tracé de la Nationale 7. Les eaux qui semblent mortes sous ma fenêtre appartiennent-elles à la Loire ou à la Nièvre désormais si discrète ? Et ce que je prenais tout à l’heure pour le courant, comme encore agité de l’élan pris par sa source au Mont Gerbier-de-Jonc et par ses affluents de montagne, n’était en fait que la houle créée par la tempête qui souffla toute la nuit à contre-courant et contre laquelle encore – j’assiste de ma fenêtre , solidaire à ses efforts,– un héron lutte de son vol ample et faussement paresseux, rompu de soudaines embardées, ignorant les activités roturières des corneilles, corbeaux et autres cormorans. Sait-il seulement qu’il y 12h, sur les bords du fleuve, dans les murs de la belle salle Philippe-Genty de la maison de la culture d’Angers tremblèrent, lorsque mille mains semblèrent s’abattre sur autant de peaux pour invoquer les Orishas, les divinités cubaines ?
- Fidel Fourneyron ¿ Que vola ? : Adonis Panter Calderon, Barbaro Crespo Richard, Ramon Tamayo Martinez (congas, batas, claves…), Aymeric Avice (trompette), Fidel Fourneyron (trombone, direction artistique), Hugues Mayot (sax ténor), Benjamin Dousteyssier (saxes alto et baryton), Thibaud Soulas (contrebasse, direction artistique), Elie Duris (batterie).
- Tonnerre paisible, tranquilité fébrile, la polyphonie des tambours de la rumba invite à l’oxymore, puissance inexorable habitée par l’inédit que suscitent les formules ancestrales articulée autour de la clave du guaguanco. Suivrons quelques toques, rythmes sacrés dédiées chacun à un dieu, puis d’autres claves et toujours cette sage folie, cette science folle de la polyrythmie qui crépite en un grand embrasement sonore. C’est cet univers que le tromboniste Fidel Fourneyron a voulu visiter, guidé par le contrebassiste Thibaud Soulas. Ce dernier, grandi aux environs de Marciac, a vécu à Cuba où il est entré en intimité avec les musiques du cru, comme en témoigne la façon dont il incruste les variantes de sa tumbao parmi frappes des tambours, contribuant à cette subtile possession des corps qui, s’en emparant de toutes parts à la fois, tend à les les tordre et les torsader selon des logiques indéchiffrables, aussi sûrement qu’on pourrait le fait d’une liane.Ce Trio Peligroso de Cuba – auquel se sera joint Thibaud Soulas, mais cette fois aux claves et percussions, à 17h30 ce dimanche 12 novembre au Café Charbon de Nevers, peut-être avant même que ce compte rendu n’apparaissent en ligne – ce Trio Peligroso, donc, participe au renouveau de ces musiques cubaines, renouveau qu’aura souligné le nom choisi par Fourneyron pour son groupe ¿ Que vola ? (quoi de neuf ?). Ce qu’il y a ici de neuf, c’est notamment l’association de ces percussions et de la front line d’instruments à vent que le trombone dresse face à ses percussions. À la lumière d’une belle mise en lumière de Thibaut Lacas, ces deux sections forment les deux branches d’un V qui participent surement de la très lisible sonorisation de Pierre Favrez que je découvre du balcon du théâtre. Riffs rougeoyants, contrepoints polyphoniques embrasés, solos de lave basaltique explosant en incendies collectifs… Face à ce discours pyrométrique, la métaphore de la motricité s’impose en retournant vers les tambours, dont l’ensemble évoque la puissance machinique, la multiplicité synchronisée des engrenages, arbres à cames, bielles-manivelles et contre-manivelles, l’élan et l’inertie des locomotives à vapeur d’antan, de leur mise en chauffe à leur accélération progressive jusqu’au régime à pleine vapeur, puis leur retour au ralenti…Derrière l’orchestre, à l’articulation des deux branches du V, la batterie réalise une sorte de synthèse de l’ensemble clave-tambours, formules mères et variations. Derrière les tambours, le fender joue un drôle de rôle, à la fois trait d’union entre les deux sections par ses allers et retours entre les percussions dont il semble commenter les frappes et vents auxquels il se joint parfois même pour lancer telle ou telle partie, tantôt solidaire, tantôt électron libre haluciné. Et voici soudain, Bruno Ruder entraînant Thibaud Soulas et Elie Duris sur quelques figures abstraites, tandis que le reste de l’orchestre fait mine de sortir de scène. Concert dans le concert ? Hors-sujet ? Pensez donc ! Revoici nos Cubains, et voyez comme ils dansent déjà sur ces abstractions du trio qui vous avaient laissés perplexes.
- Tony Allen “A Tribute To Art Blakey and the Jazz Messengers” : Rémi Sciuto (sax alto), Irving Acao (sax ténor), Jean-Philippe Dary (piano, piano électrique Fender-Rhodes), Rody Cereyon (guitare basse électrique), Tony Allen (batterie).
En toute logique, il convient que la vedette de la soirée, en l’occurrence Tony Allen, batteur historique de Fela Kuti, se produise en dernière partie. Hier, il aurait peut-être fallu inverser l’ordre de passage, l’incandescence de la première partie ayant émoussé notre perception un peu plus que ne l’aurait su faire la seule question « en quoi s’agit-il d’un hommage à Art Blakey. » Reprenons le programme de Tony Allen : Moanin’ et The Drum Thunder Suite (respectivement de Bobby Timmons et Benny Golons “Moanin’”, 1958, Blue Note), Politely (de Bill Hardman, “Au Club Saint-Germain”, 1958, RCA ou “The Big Beat”, 1960, Blue Note), Night In Tunisia (de Dizzy Gillespie, “A Night In Tunisia”, 1960, Blue Note), Invitation et A la mode (respectivement de Bronislaw Kaper et Curtis Fuller “The Jazz Messengers”, 1961, Impulse)… plus On Fire qui semble être de la plume de Tony Allen. Le tout nous a semblé raboté au format Tony Allen, toujours un peu le même genre de groove et de tempo binaire, démonstratif, certes suffisamment admirable pour que le démonstratif se suffise à lui-même, où certes l’on retrouve cette formidable motricité qui faisait la puissance irrésistible de la musique de Fela, sur des grooves à la régularité ferroviaire, avec ici et là de longues variations imprévues qui vous réduirez un TGV en miettes, mais sur lesquelles l’orchestre passe sans un soubresaut.Mais il y manquait un peu de cette interaction, de cette diversité, de ce sens des couleurs, du grandiose, d’un certain sens de l’entertainment*, en somme d’humanité qui habitait les Jazz Messengers ou les chœurs de Fela. Soit un spectacle un peu froid où piano et contrebasse servaient à mettre en valeur le drumming du maître et où Irving Acao et Rémi Sciuto (ce dernier plus encore avec des solos d’une construction, d’une originalité, d’une angularité époustouflante) surent nous donner ce que nous attendions, du grand jazz.PJ5 : Léo Pellet (trombone), Maxence Ravelomanantsoa (sax ténor), Paul Jarret (guitare électrique), Alexandre Perrot (contrebasse), Ariel Tessier (batterie).Auparavant, le public fidèle de D’jazz Nevers s’était rassemblé pour le traditionnel concert de 18h30 à l’auditorium Jean Jaurès. Ouverture par le tromboniste Léo Pellet qui d’emblée – densité du timbre dans toutes les nuances, finesse des multiphoniques, délicatesse des glissandos, perfection de l’articulation, dosage de la réverb – affiche la qualité première du groupe : l’attention au son. Son individuel d’abord, tant l’instrument lui-même que son amplification pour laquelle le sonorisateur de la salle sera remercié à l’issue du concert pour son travail que le son collectif qui s’impose avec l’entrée de l’orchestre. Nouveau dans le répertoire, le premier morceau, par sa solennité élégiaque, me rappelle – de façon certes très impressionniste puisque je me réfère à un disque dont je n’ai qu’un très vague souvenir, et qui échappe totalement à mon domaine de compétence – l’esprit du “Blackstar” de David Bowie. Il y a là une cohérence de projet et de son orchestral qui explique le succès de ce PJ5, soutenu par la structure de diffusion Jazz Migrations mais, avant même qu’il y accède, par la lucidité de son leader, Paul Jarret, depuis 2010, sur le plan artistique comme sur ce lui du management.
Soit une musique qui relève au moins autant sinon plus de la pop et du rock que du jazz, la cohésion reposant moins sur le solo que sur l’endossement (et l’adhésion à) une écriture orchestrale par ces cinq musiciens qui mettent à profit ce qu’ils ont appris du jazz improvisé pour réinventer l’interaction au service d’un répertoire fait d’ostinatos, de boucles minimalistes, de refrains enivrés de leurs propres répétitions jusqu’à de formidables tutti ou polyphonies, et où l’initiative improvisée est indissociable d’un tout. Et reconnaissant l’aboutissement de ce travail, je dois bien reconnaître que “ça n’est pas ma came”, que je me trouve un peu isolé face à l’unanimité qui l’accueille à Nevers comme ailleurs, et que je ne m’y retrouverai vraiment que lors du pénultième morceau qui laisse la bride sur le cou à un duo. Maxence Ravelomanantsoa y part d’un motif mélodique en adéquation avec la mythologie nordique qui en a inspiré le titre (Yggdrasil) et construit sans essoufflement un véritable développement au long cours, Ariel Tessier y désactive le timbre de sa caisse claire et favorise les sonorités claires de ses cymbales et de ses toms pour une partie de percussions dont la musicalité m’a un peu manqué tout au long du concert. Entrée du tempo, montée collective, surgissement d’un tutti final massif et triomphant, rappel enthousiaste et sans appel. • Franck Bergerot
* Art Blakey à son public du Birdland : « Si vous avez envie de taper du pied, faites-le. Si le besoin vous prend de taper dans vos mains, allez-y. Si vous voulez enlever vos chaussures, enlevez vos chaussures. Nous sommes là pour vous donner du plaisir. On n’existe pas sans les chauffeurs de taxi et les éboueurs – ils sont importants. Aussi, lorsqu’ils viennent nous écouter en sortant de leur boulot, le mien consiste à les rendre heureux, à leur faire oublier la grisaille de la vie quotidienne. »
|Hier 11 novembre, D’jazz Nevers ouvrait ses portes hier avec le PJ5 de Paul Jarret, ¿Que vola? de Fidel Fourneyron et le Tribute to Art Blakey and the Jazz Messengers.
- La Loire file un cours tranquille, le long du quai de Médine au pied de mon hôtel, vestige insoupçonnable du port de Médine que baignait autrefois le confluent avec la Nièvre et d’où partirent, de 1781 à 1878, les produits des Forges royales de la Chaussade (à Guérigny) ancres et canons destinés à la marine de guerre, le confluent accueillant également des activités moins belliqueuses attestées entre autres par la présence d’un port commercial et de bateaux lavoir… Une topographie définitivement effacée par le tracé de la Nationale 7. Les eaux qui semblent mortes sous ma fenêtre appartiennent-elles à la Loire ou à la Nièvre désormais si discrète ? Et ce que je prenais tout à l’heure pour le courant, comme encore agité de l’élan pris par sa source au Mont Gerbier-de-Jonc et par ses affluents de montagne, n’était en fait que la houle créée par la tempête qui souffla toute la nuit à contre-courant et contre laquelle encore – j’assiste de ma fenêtre , solidaire à ses efforts,– un héron lutte de son vol ample et faussement paresseux, rompu de soudaines embardées, ignorant les activités roturières des corneilles, corbeaux et autres cormorans. Sait-il seulement qu’il y 12h, sur les bords du fleuve, dans les murs de la belle salle Philippe-Genty de la maison de la culture d’Angers tremblèrent, lorsque mille mains semblèrent s’abattre sur autant de peaux pour invoquer les Orishas, les divinités cubaines ?
- Fidel Fourneyron ¿ Que vola ? : Adonis Panter Calderon, Barbaro Crespo Richard, Ramon Tamayo Martinez (congas, batas, claves…), Aymeric Avice (trompette), Fidel Fourneyron (trombone, direction artistique), Hugues Mayot (sax ténor), Benjamin Dousteyssier (saxes alto et baryton), Thibaud Soulas (contrebasse, direction artistique), Elie Duris (batterie).
- Tonnerre paisible, tranquilité fébrile, la polyphonie des tambours de la rumba invite à l’oxymore, puissance inexorable habitée par l’inédit que suscitent les formules ancestrales articulée autour de la clave du guaguanco. Suivrons quelques toques, rythmes sacrés dédiées chacun à un dieu, puis d’autres claves et toujours cette sage folie, cette science folle de la polyrythmie qui crépite en un grand embrasement sonore. C’est cet univers que le tromboniste Fidel Fourneyron a voulu visiter, guidé par le contrebassiste Thibaud Soulas. Ce dernier, grandi aux environs de Marciac, a vécu à Cuba où il est entré en intimité avec les musiques du cru, comme en témoigne la façon dont il incruste les variantes de sa tumbao parmi frappes des tambours, contribuant à cette subtile possession des corps qui, s’en emparant de toutes parts à la fois, tend à les les tordre et les torsader selon des logiques indéchiffrables, aussi sûrement qu’on pourrait le fait d’une liane.Ce Trio Peligroso de Cuba – auquel se sera joint Thibaud Soulas, mais cette fois aux claves et percussions, à 17h30 ce dimanche 12 novembre au Café Charbon de Nevers, peut-être avant même que ce compte rendu n’apparaissent en ligne – ce Trio Peligroso, donc, participe au renouveau de ces musiques cubaines, renouveau qu’aura souligné le nom choisi par Fourneyron pour son groupe ¿ Que vola ? (quoi de neuf ?). Ce qu’il y a ici de neuf, c’est notamment l’association de ces percussions et de la front line d’instruments à vent que le trombone dresse face à ses percussions. À la lumière d’une belle mise en lumière de Thibaut Lacas, ces deux sections forment les deux branches d’un V qui participent surement de la très lisible sonorisation de Pierre Favrez que je découvre du balcon du théâtre. Riffs rougeoyants, contrepoints polyphoniques embrasés, solos de lave basaltique explosant en incendies collectifs… Face à ce discours pyrométrique, la métaphore de la motricité s’impose en retournant vers les tambours, dont l’ensemble évoque la puissance machinique, la multiplicité synchronisée des engrenages, arbres à cames, bielles-manivelles et contre-manivelles, l’élan et l’inertie des locomotives à vapeur d’antan, de leur mise en chauffe à leur accélération progressive jusqu’au régime à pleine vapeur, puis leur retour au ralenti…Derrière l’orchestre, à l’articulation des deux branches du V, la batterie réalise une sorte de synthèse de l’ensemble clave-tambours, formules mères et variations. Derrière les tambours, le fender joue un drôle de rôle, à la fois trait d’union entre les deux sections par ses allers et retours entre les percussions dont il semble commenter les frappes et vents auxquels il se joint parfois même pour lancer telle ou telle partie, tantôt solidaire, tantôt électron libre haluciné. Et voici soudain, Bruno Ruder entraînant Thibaud Soulas et Elie Duris sur quelques figures abstraites, tandis que le reste de l’orchestre fait mine de sortir de scène. Concert dans le concert ? Hors-sujet ? Pensez donc ! Revoici nos Cubains, et voyez comme ils dansent déjà sur ces abstractions du trio qui vous avaient laissés perplexes.
- Tony Allen “A Tribute To Art Blakey and the Jazz Messengers” : Rémi Sciuto (sax alto), Irving Acao (sax ténor), Jean-Philippe Dary (piano, piano électrique Fender-Rhodes), Rody Cereyon (guitare basse électrique), Tony Allen (batterie).
En toute logique, il convient que la vedette de la soirée, en l’occurrence Tony Allen, batteur historique de Fela Kuti, se produise en dernière partie. Hier, il aurait peut-être fallu inverser l’ordre de passage, l’incandescence de la première partie ayant émoussé notre perception un peu plus que ne l’aurait su faire la seule question « en quoi s’agit-il d’un hommage à Art Blakey. » Reprenons le programme de Tony Allen : Moanin’ et The Drum Thunder Suite (respectivement de Bobby Timmons et Benny Golons “Moanin’”, 1958, Blue Note), Politely (de Bill Hardman, “Au Club Saint-Germain”, 1958, RCA ou “The Big Beat”, 1960, Blue Note), Night In Tunisia (de Dizzy Gillespie, “A Night In Tunisia”, 1960, Blue Note), Invitation et A la mode (respectivement de Bronislaw Kaper et Curtis Fuller “The Jazz Messengers”, 1961, Impulse)… plus On Fire qui semble être de la plume de Tony Allen. Le tout nous a semblé raboté au format Tony Allen, toujours un peu le même genre de groove et de tempo binaire, démonstratif, certes suffisamment admirable pour que le démonstratif se suffise à lui-même, où certes l’on retrouve cette formidable motricité qui faisait la puissance irrésistible de la musique de Fela, sur des grooves à la régularité ferroviaire, avec ici et là de longues variations imprévues qui vous réduirez un TGV en miettes, mais sur lesquelles l’orchestre passe sans un soubresaut.Mais il y manquait un peu de cette interaction, de cette diversité, de ce sens des couleurs, du grandiose, d’un certain sens de l’entertainment*, en somme d’humanité qui habitait les Jazz Messengers ou les chœurs de Fela. Soit un spectacle un peu froid où piano et contrebasse servaient à mettre en valeur le drumming du maître et où Irving Acao et Rémi Sciuto (ce dernier plus encore avec des solos d’une construction, d’une originalité, d’une angularité époustouflante) surent nous donner ce que nous attendions, du grand jazz.PJ5 : Léo Pellet (trombone), Maxence Ravelomanantsoa (sax ténor), Paul Jarret (guitare électrique), Alexandre Perrot (contrebasse), Ariel Tessier (batterie).Auparavant, le public fidèle de D’jazz Nevers s’était rassemblé pour le traditionnel concert de 18h30 à l’auditorium Jean Jaurès. Ouverture par le tromboniste Léo Pellet qui d’emblée – densité du timbre dans toutes les nuances, finesse des multiphoniques, délicatesse des glissandos, perfection de l’articulation, dosage de la réverb – affiche la qualité première du groupe : l’attention au son. Son individuel d’abord, tant l’instrument lui-même que son amplification pour laquelle le sonorisateur de la salle sera remercié à l’issue du concert pour son travail que le son collectif qui s’impose avec l’entrée de l’orchestre. Nouveau dans le répertoire, le premier morceau, par sa solennité élégiaque, me rappelle – de façon certes très impressionniste puisque je me réfère à un disque dont je n’ai qu’un très vague souvenir, et qui échappe totalement à mon domaine de compétence – l’esprit du “Blackstar” de David Bowie. Il y a là une cohérence de projet et de son orchestral qui explique le succès de ce PJ5, soutenu par la structure de diffusion Jazz Migrations mais, avant même qu’il y accède, par la lucidité de son leader, Paul Jarret, depuis 2010, sur le plan artistique comme sur ce lui du management.
Soit une musique qui relève au moins autant sinon plus de la pop et du rock que du jazz, la cohésion reposant moins sur le solo que sur l’endossement (et l’adhésion à) une écriture orchestrale par ces cinq musiciens qui mettent à profit ce qu’ils ont appris du jazz improvisé pour réinventer l’interaction au service d’un répertoire fait d’ostinatos, de boucles minimalistes, de refrains enivrés de leurs propres répétitions jusqu’à de formidables tutti ou polyphonies, et où l’initiative improvisée est indissociable d’un tout. Et reconnaissant l’aboutissement de ce travail, je dois bien reconnaître que “ça n’est pas ma came”, que je me trouve un peu isolé face à l’unanimité qui l’accueille à Nevers comme ailleurs, et que je ne m’y retrouverai vraiment que lors du pénultième morceau qui laisse la bride sur le cou à un duo. Maxence Ravelomanantsoa y part d’un motif mélodique en adéquation avec la mythologie nordique qui en a inspiré le titre (Yggdrasil) et construit sans essoufflement un véritable développement au long cours, Ariel Tessier y désactive le timbre de sa caisse claire et favorise les sonorités claires de ses cymbales et de ses toms pour une partie de percussions dont la musicalité m’a un peu manqué tout au long du concert. Entrée du tempo, montée collective, surgissement d’un tutti final massif et triomphant, rappel enthousiaste et sans appel. • Franck Bergerot
* Art Blakey à son public du Birdland : « Si vous avez envie de taper du pied, faites-le. Si le besoin vous prend de taper dans vos mains, allez-y. Si vous voulez enlever vos chaussures, enlevez vos chaussures. Nous sommes là pour vous donner du plaisir. On n’existe pas sans les chauffeurs de taxi et les éboueurs – ils sont importants. Aussi, lorsqu’ils viennent nous écouter en sortant de leur boulot, le mien consiste à les rendre heureux, à leur faire oublier la grisaille de la vie quotidienne. »
|Hier 11 novembre, D’jazz Nevers ouvrait ses portes hier avec le PJ5 de Paul Jarret, ¿Que vola? de Fidel Fourneyron et le Tribute to Art Blakey and the Jazz Messengers.
- La Loire file un cours tranquille, le long du quai de Médine au pied de mon hôtel, vestige insoupçonnable du port de Médine que baignait autrefois le confluent avec la Nièvre et d’où partirent, de 1781 à 1878, les produits des Forges royales de la Chaussade (à Guérigny) ancres et canons destinés à la marine de guerre, le confluent accueillant également des activités moins belliqueuses attestées entre autres par la présence d’un port commercial et de bateaux lavoir… Une topographie définitivement effacée par le tracé de la Nationale 7. Les eaux qui semblent mortes sous ma fenêtre appartiennent-elles à la Loire ou à la Nièvre désormais si discrète ? Et ce que je prenais tout à l’heure pour le courant, comme encore agité de l’élan pris par sa source au Mont Gerbier-de-Jonc et par ses affluents de montagne, n’était en fait que la houle créée par la tempête qui souffla toute la nuit à contre-courant et contre laquelle encore – j’assiste de ma fenêtre , solidaire à ses efforts,– un héron lutte de son vol ample et faussement paresseux, rompu de soudaines embardées, ignorant les activités roturières des corneilles, corbeaux et autres cormorans. Sait-il seulement qu’il y 12h, sur les bords du fleuve, dans les murs de la belle salle Philippe-Genty de la maison de la culture d’Angers tremblèrent, lorsque mille mains semblèrent s’abattre sur autant de peaux pour invoquer les Orishas, les divinités cubaines ?
- Fidel Fourneyron ¿ Que vola ? : Adonis Panter Calderon, Barbaro Crespo Richard, Ramon Tamayo Martinez (congas, batas, claves…), Aymeric Avice (trompette), Fidel Fourneyron (trombone, direction artistique), Hugues Mayot (sax ténor), Benjamin Dousteyssier (saxes alto et baryton), Thibaud Soulas (contrebasse, direction artistique), Elie Duris (batterie).
- Tonnerre paisible, tranquilité fébrile, la polyphonie des tambours de la rumba invite à l’oxymore, puissance inexorable habitée par l’inédit que suscitent les formules ancestrales articulée autour de la clave du guaguanco. Suivrons quelques toques, rythmes sacrés dédiées chacun à un dieu, puis d’autres claves et toujours cette sage folie, cette science folle de la polyrythmie qui crépite en un grand embrasement sonore. C’est cet univers que le tromboniste Fidel Fourneyron a voulu visiter, guidé par le contrebassiste Thibaud Soulas. Ce dernier, grandi aux environs de Marciac, a vécu à Cuba où il est entré en intimité avec les musiques du cru, comme en témoigne la façon dont il incruste les variantes de sa tumbao parmi frappes des tambours, contribuant à cette subtile possession des corps qui, s’en emparant de toutes parts à la fois, tend à les les tordre et les torsader selon des logiques indéchiffrables, aussi sûrement qu’on pourrait le fait d’une liane.Ce Trio Peligroso de Cuba – auquel se sera joint Thibaud Soulas, mais cette fois aux claves et percussions, à 17h30 ce dimanche 12 novembre au Café Charbon de Nevers, peut-être avant même que ce compte rendu n’apparaissent en ligne – ce Trio Peligroso, donc, participe au renouveau de ces musiques cubaines, renouveau qu’aura souligné le nom choisi par Fourneyron pour son groupe ¿ Que vola ? (quoi de neuf ?). Ce qu’il y a ici de neuf, c’est notamment l’association de ces percussions et de la front line d’instruments à vent que le trombone dresse face à ses percussions. À la lumière d’une belle mise en lumière de Thibaut Lacas, ces deux sections forment les deux branches d’un V qui participent surement de la très lisible sonorisation de Pierre Favrez que je découvre du balcon du théâtre. Riffs rougeoyants, contrepoints polyphoniques embrasés, solos de lave basaltique explosant en incendies collectifs… Face à ce discours pyrométrique, la métaphore de la motricité s’impose en retournant vers les tambours, dont l’ensemble évoque la puissance machinique, la multiplicité synchronisée des engrenages, arbres à cames, bielles-manivelles et contre-manivelles, l’élan et l’inertie des locomotives à vapeur d’antan, de leur mise en chauffe à leur accélération progressive jusqu’au régime à pleine vapeur, puis leur retour au ralenti…Derrière l’orchestre, à l’articulation des deux branches du V, la batterie réalise une sorte de synthèse de l’ensemble clave-tambours, formules mères et variations. Derrière les tambours, le fender joue un drôle de rôle, à la fois trait d’union entre les deux sections par ses allers et retours entre les percussions dont il semble commenter les frappes et vents auxquels il se joint parfois même pour lancer telle ou telle partie, tantôt solidaire, tantôt électron libre haluciné. Et voici soudain, Bruno Ruder entraînant Thibaud Soulas et Elie Duris sur quelques figures abstraites, tandis que le reste de l’orchestre fait mine de sortir de scène. Concert dans le concert ? Hors-sujet ? Pensez donc ! Revoici nos Cubains, et voyez comme ils dansent déjà sur ces abstractions du trio qui vous avaient laissés perplexes.
- Tony Allen “A Tribute To Art Blakey and the Jazz Messengers” : Rémi Sciuto (sax alto), Irving Acao (sax ténor), Jean-Philippe Dary (piano, piano électrique Fender-Rhodes), Rody Cereyon (guitare basse électrique), Tony Allen (batterie).
En toute logique, il convient que la vedette de la soirée, en l’occurrence Tony Allen, batteur historique de Fela Kuti, se produise en dernière partie. Hier, il aurait peut-être fallu inverser l’ordre de passage, l’incandescence de la première partie ayant émoussé notre perception un peu plus que ne l’aurait su faire la seule question « en quoi s’agit-il d’un hommage à Art Blakey. » Reprenons le programme de Tony Allen : Moanin’ et The Drum Thunder Suite (respectivement de Bobby Timmons et Benny Golons “Moanin’”, 1958, Blue Note), Politely (de Bill Hardman, “Au Club Saint-Germain”, 1958, RCA ou “The Big Beat”, 1960, Blue Note), Night In Tunisia (de Dizzy Gillespie, “A Night In Tunisia”, 1960, Blue Note), Invitation et A la mode (respectivement de Bronislaw Kaper et Curtis Fuller “The Jazz Messengers”, 1961, Impulse)… plus On Fire qui semble être de la plume de Tony Allen. Le tout nous a semblé raboté au format Tony Allen, toujours un peu le même genre de groove et de tempo binaire, démonstratif, certes suffisamment admirable pour que le démonstratif se suffise à lui-même, où certes l’on retrouve cette formidable motricité qui faisait la puissance irrésistible de la musique de Fela, sur des grooves à la régularité ferroviaire, avec ici et là de longues variations imprévues qui vous réduirez un TGV en miettes, mais sur lesquelles l’orchestre passe sans un soubresaut.Mais il y manquait un peu de cette interaction, de cette diversité, de ce sens des couleurs, du grandiose, d’un certain sens de l’entertainment*, en somme d’humanité qui habitait les Jazz Messengers ou les chœurs de Fela. Soit un spectacle un peu froid où piano et contrebasse servaient à mettre en valeur le drumming du maître et où Irving Acao et Rémi Sciuto (ce dernier plus encore avec des solos d’une construction, d’une originalité, d’une angularité époustouflante) surent nous donner ce que nous attendions, du grand jazz.PJ5 : Léo Pellet (trombone), Maxence Ravelomanantsoa (sax ténor), Paul Jarret (guitare électrique), Alexandre Perrot (contrebasse), Ariel Tessier (batterie).Auparavant, le public fidèle de D’jazz Nevers s’était rassemblé pour le traditionnel concert de 18h30 à l’auditorium Jean Jaurès. Ouverture par le tromboniste Léo Pellet qui d’emblée – densité du timbre dans toutes les nuances, finesse des multiphoniques, délicatesse des glissandos, perfection de l’articulation, dosage de la réverb – affiche la qualité première du groupe : l’attention au son. Son individuel d’abord, tant l’instrument lui-même que son amplification pour laquelle le sonorisateur de la salle sera remercié à l’issue du concert pour son travail que le son collectif qui s’impose avec l’entrée de l’orchestre. Nouveau dans le répertoire, le premier morceau, par sa solennité élégiaque, me rappelle – de façon certes très impressionniste puisque je me réfère à un disque dont je n’ai qu’un très vague souvenir, et qui échappe totalement à mon domaine de compétence – l’esprit du “Blackstar” de David Bowie. Il y a là une cohérence de projet et de son orchestral qui explique le succès de ce PJ5, soutenu par la structure de diffusion Jazz Migrations mais, avant même qu’il y accède, par la lucidité de son leader, Paul Jarret, depuis 2010, sur le plan artistique comme sur ce lui du management.
Soit une musique qui relève au moins autant sinon plus de la pop et du rock que du jazz, la cohésion reposant moins sur le solo que sur l’endossement (et l’adhésion à) une écriture orchestrale par ces cinq musiciens qui mettent à profit ce qu’ils ont appris du jazz improvisé pour réinventer l’interaction au service d’un répertoire fait d’ostinatos, de boucles minimalistes, de refrains enivrés de leurs propres répétitions jusqu’à de formidables tutti ou polyphonies, et où l’initiative improvisée est indissociable d’un tout. Et reconnaissant l’aboutissement de ce travail, je dois bien reconnaître que “ça n’est pas ma came”, que je me trouve un peu isolé face à l’unanimité qui l’accueille à Nevers comme ailleurs, et que je ne m’y retrouverai vraiment que lors du pénultième morceau qui laisse la bride sur le cou à un duo. Maxence Ravelomanantsoa y part d’un motif mélodique en adéquation avec la mythologie nordique qui en a inspiré le titre (Yggdrasil) et construit sans essoufflement un véritable développement au long cours, Ariel Tessier y désactive le timbre de sa caisse claire et favorise les sonorités claires de ses cymbales et de ses toms pour une partie de percussions dont la musicalité m’a un peu manqué tout au long du concert. Entrée du tempo, montée collective, surgissement d’un tutti final massif et triomphant, rappel enthousiaste et sans appel. • Franck Bergerot
* Art Blakey à son public du Birdland : « Si vous avez envie de taper du pied, faites-le. Si le besoin vous prend de taper dans vos mains, allez-y. Si vous voulez enlever vos chaussures, enlevez vos chaussures. Nous sommes là pour vous donner du plaisir. On n’existe pas sans les chauffeurs de taxi et les éboueurs – ils sont importants. Aussi, lorsqu’ils viennent nous écouter en sortant de leur boulot, le mien consiste à les rendre heureux, à leur faire oublier la grisaille de la vie quotidienne. »